Vulvodynie : “J’ai subi de nombreuses violences médicales.”
Publié le 4 sept. 2024 • Par Candice Salomé
Claire, dite @C.est_pas_dans_ta_tete sur Instagram, a souffert de vulvodynie (vestibulodynie) pendant 3 années consécutives. Elle a connu une année d’errance diagnostique pendant laquelle les médecins rencontrés ne la prenaient pas au sérieux, lui prescrivaient des traitements non adaptés, et ne lui proposaient pas d’alternatives. Cela a grandement mis à mal sa santé mentale.
Claire a fini par rencontrer des professionnelles à l’écoute et spécialisées dans la santé féminine. Après une prise en charge adéquate, elle se dit enfin guérie.
Elle a décidé de partager son parcours avec d’autres patientes pour permettre une prise en charge adaptée mais surtout une reconnaissance des problématiques rencontrées par ces patientes.
Découvrez son histoire !
Bonjour Claire, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
J’ai 26 ans. Je suis une femme cisgenre, française, blanche, valide, mince, de classe moyenne. Je suis en couple hétérosexuel avec un homme cisgenre. Je suis architecte de formation. Je suis militante féministe. J’aime voyager, faire du sport : randonnée, yoga, natation… J’adore lire, écrire et dessiner.
Vous avez souffert de vulvodynie/vestibulodynie. Pourriez-vous nous parler de la maladie et de ses symptômes ?
La vulvodynie est une douleur persistante au niveau de la vulve, on parle de “vestibulodynie“ quand la douleur est localisée au niveau du vestibule, la zone à l’entrée du vagin (c’est le cas le plus fréquent).
La vulvodynie est une douleur « neuropathique », en lien avec le dérèglement du système de perception de la douleur.
Voici les symptômes : douleur aigüe, brûlure, irritation ou inconfort “provoqué” lors de contact au quotidien (avec des vêtements serrés ou à vélo) ou “spontané” (sans aucun contact), dyspareunies...
Les facteurs prédisposants ou déclencheurs peuvent être multiples : infections ou mycoses à répétition qui fragilisent et sensibilisent la vulve, pathologies dermatologiques mal soignées, hypertonie du périnée, hypersensibilité généralisée, contraceptifs oraux, stress, anxiété, fatigue, état dépressif, hygiène abusive, post partum, chirurgie, ménopause, traumatismes, manque d’éducation sexuelle, tabou... Une des premières causes est la mycose à répétition.
Le diagnostic se fait par un diagnostic d’exclusion et par le “test du coton-tige”, par un·e profesionnel·le de santé : médecins (généraliste, gynécologue, dermatologue) mais aussi par les sage-femmes et kinésithérapeutes spécialisé·e·s.
La prise en charge est multidisciplinaire : dermatologue, gynécologue, sage-femme, kinésithérapeute, sexologue/psychologue, ostéopathe, algologue, acupuncteur…
Il y a plusieurs pistes de solutions en première intention : tout d’abord, un traitement local avec crèmes ou huiles hydratantes, à base d’hormones ou anesthésiantes, une rééducation périnéale, des auto-massages externes et internes, une utilisation de dilatateurs vaginaux…
Quel est son impact au quotidien ?
Au quotidien, l’impact est très différent selon les personnes. Dans mon cas, j’avais une douleur ou une hypersensibilité qui était surtout provoquée, c’est-à-dire causée par un contact. Cela se traduisait par une douleur à porter certains vêtements. Je n’ai pas pu porter de jean (même large) pendant au moins un an. Il fallait que le vêtement soit léger ou souple pour que la couture n’appuie pas sur la zone. En revanche, les vêtements serrés comme un collant ou un legging de sport, ce n’était pas possible car trop proche. Donc l’idéal, c’était une jupe, léger et pas de contact direct sur la vulve.
Parfois, si je marchais trop longtemps, même avec des vêtements adaptés, j’avais des douleurs et j’étais obligée de m’arrêter. Je ne pouvais plus non plus faire de vélo car ça me faisait vraiment trop mal. En position assise pendant plusieurs heures, j’avais parfois aussi des douleurs donc, ça m’impactait au travail, par exemple. Parfois, j’avais aussi des douleurs spontanées, sans contact particulier mais c’était plus rare.
Pour calmer les douleurs, parfois je prenais des bains ou j’appliquais des poches de froid sur la zone. Enfin, je ne pouvais plus être touchée sur la vulve et autour, et donc les rapports sexuels étaient très douloureux, j’ai dû faire une pause pendant plusieurs mois, y compris de la masturbation car je craignais d’empirer les choses.
Au quotidien, c’est aussi beaucoup de rendez-vous médicaux et les déceptions qui vont avec dans le cas de l’errance médicale. Dans ce cadre, j’ai subi des violences : de la non-écoute, des examens sans consentement et surtout des examens douloureux pendant lesquels on ne prenait pas en compte mes larmes et ma douleur. Cette errance a beaucoup impacté mon mental, j’étais triste, je me sentais seule et désespérée.
Quelle a été votre prise en charge ? En êtes-vous satisfaite ?
J’ai eu environ un an d’errance diagnostique pendant lequel j’ai eu des mycoses à répétition dont je n’arrivais pas à me débarrasser malgré les différents types de traitements. Pour finir, j’ai fait retirer mon stérilet car apparemment, dans certains cas, les mycoses peuvent être dessus et résister aux traitements. A la suite de ça, je n’avais plus de mycoses mais mes douleurs étaient toujours là.
Une gynécologue m’a conseillé de rencontrer une dermatologue vénérologue. J’ai eu un rendez-vous plusieurs mois après. La dermatologue était spécialisée, elle m’a diagnostiquée une vulvodynie et plus précisément une vestibulodynie car localisée au niveau du vestibule.
Ensuite, la prise en charge a été pluridisciplinaire. Elle m’a prescrit des crèmes (anesthésiantes, à base d’hormones) pour réduire les douleurs. La première prescription n’a pas été efficace mais la deuxième prescription, environ 3 mois après, m’a beaucoup soulagée.
En parallèle, elle m’a prescrit des séances de rééducation périnéale chez une kiné spécialisée qui ont duré environ 9 mois (une fois par semaine au départ puis plus espacé à la fin). La kiné m’a appris les auto-massages (externe et interne) et l’utilisation des bougies vaginales, que je pouvais utiliser en autonomie chez moi.
A la suite de la kiné, j’ai commencé une sexothérapie puis j’ai arrêté au bout de 5 mois car elle n’était pas spécialisée dans ces douleurs. J’ai fait une pause et plus tard, j’ai vu une sexologue spécialisée dans ces douleurs pendant 5 mois également. C’est à la suite de ce parcours que je me suis estimée « guérie ». C’était 2 ans après mon diagnostic et 3 ans après l’apparition des premières douleurs. Je suis satisfaite de ma prise en charge par la dermatologue, la kiné et la seconde sexologue, qui étaient très compétentes. J’ai trouvé la première sexologue culpabilisante sur certains points, certainement par méconnaissance. En revanche, je ne suis pas du tout satisfaite de ma période d’errance diagnostique qui a duré près d’un an et pendant laquelle j’ai vu beaucoup de médecins qui ne connaissaient pas du tout ces problématiques et qui m’ont donné des traitements inadaptés, qui ont d’ailleurs peut-être fragilisé la zone et donc aggravé les douleurs et ont souvent été violents. Pendant cette période, on ne m’a pas proposé d’alternatives comme l’auto-prélèvement vaginal, qui aurait été beaucoup plus adapté dans mon cas.
Désormais, vous tenez un compte Instagram nommé @C.est_pas_dans_ta_tete, où vous recueilliez notamment des témoignages de patientes souffrant de dyspareunies, vulvodynie, vaginisme, endométriose…, partagez des ressources pertinentes, etc. Pourquoi avoir décidé de parler de tout cela sur Internet ?
Pour moi, c’est très important d’aider les personnes qui sont aujourd’hui concernées par ces douleurs. J’aurai aimé avoir accès à une communauté lors de mon errance diagnostique. C’est la première chose que j’ai cherché quand j’ai été diagnostiquée : pouvoir parler avec des personnes concernées.
Avant ce compte Instagram, j’ai fait partie d'un groupe de parole en tant que patiente puis j’ai co-crée une communauté sur discord où on est aujourd’hui près de 200 patientes ou anciennes patientes. Le compte Instagram s’inscrit dans la continuité. Les mêmes questions reviennent souvent chez les patientes et donc cette page permet de regrouper de nombreuses ressources que je conseille : livres, podcasts, annuaire de pros pour donner des clés, des pistes.
Pendant 3 ans, j’ai accumulé beaucoup de matière sur ce sujet, je me suis beaucoup renseignée, j’ai consulté plein de ressources et donc je souhaite le partager au maximum pour sensibiliser le plus grand nombre : les patientes mais aussi leur partenaire, leur entourage et même les pros de santé. C’est important de s’entraider entre nous, se donner des conseils, se guider pour essayer de limiter l’errance diagnostique ou médicale et la souffrance voire la détresse qui l’accompagne bien souvent.
En tant que patiente, on ne remplace par les professionnels mais on est une communauté solidaire où les patientes confient leurs expériences, on se soutient dans notre parcours, au quotidien. Les témoignages que je récolte dans le cadre de mon livre, ça permet de laisser une trace des parcours de ces patientes et parfois de dénoncer certaines pratiques, par exemple. Quand j’ai découvert que ça touchait beaucoup de femmes mais qu’on n'en parlait pas, j’ai trouvé cela révoltant.
Encore une fois, la parole des femmes n’est pas écoutée, elle est remise en question. Les pathologies féminines sont peu enseignées dans les formations des pros de santé et il y a peu de recherches médicales sur les causes et les traitements, donc il faut faire un gros travail de sensibilisation en amont pour espérer que ça change dans les prochaines années.
Enfin, c’est parfois plus facile de parler de tout cela sur Internet que dans la réalité. Pendant longtemps et encore aujourd’hui, j’ai un tabou à parler de ça alors que je sais combien c’est important. Si les patientes n’en parlent pas, personne n’en parlera à leur place. Donc ce compte Instagram et mon projet de livre, c’est aussi un prétexte pour faciliter, pour ouvrir la discussion avec des membres de ma famille ou des amis par exemple. C’est un peu un coming-out.
Quel était votre constat quant à l’information disponible au sujet de la santé des femmes sur Internet avant de créer votre compte Instagram ?
Il y a quelques comptes Instagram sur le sujet des dyspareunies, de la vulvodynie et du vaginisme. Il y a quelques sites Internet, surtout deux qui parlent de ces sujets. Il y a encore davantage d’informations sur l’endométriose et aussi beaucoup sur la sexualité féminine (ou générale) qui, parfois, abordent aussi les dyspareunies.
Mais c'est encore trop peu, en tout cas, pas assez, donc il faut en parler encore plus, multiplier les initiatives pour faire émerger ces sujets dans la société. Le constat que je fais, c’est que très peu de personnes connaissent les mots vulvodynie et vaginisme et leurs significations donc il faut réussir à toucher ces gens-là. Ça devrait faire partie de l’éducation sexuelle.
Que pensez-vous de la prise en charge des différentes pathologies liées à la santé des femmes ?
Les différentes pathologies féminines ne sont encore pas assez connues ni étudiées donc elles sont sous-diagnostiquées. Il y a aussi un gros retard dans la recherche qui se répercute sur les traitements. On voit qu’il y a des freins. Par exemple, le test salivaire développé pour diagnostiquer l’endométriose qui tarde à être commercialisé et qui ne sera pas accessible à toutes. Ça témoigne d’un manque de volonté politique. La médecine est encore ancrée dans le patriarcat, le sexisme et plein d’autres oppressions et discriminations. Il faut absolument qu’elle se remette en question et qu’elle change ces pratiques pour bien prendre en charge la santé des femmes et des minorités de genre. La banalisation des douleurs féminines, l’errance médicale et le refus d’écouter les douleurs des personnes à vulve, y compris pendant des examens intrusifs est une forme de violence sexiste et sexuelle.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Je suis en train d’écrire un livre sur la prise en charge de la vulvodynie et du vaginisme en France, avec un point de vue social et féministe. Cela vise notamment à dénoncer les impacts sur les patient·e·s mais aussi à réfléchir à des pistes possibles pour améliorer la prise en charge dans le futur. Avec la communauté de patientes, nous avons créé un flyer de sensibilisation sur la vulvodynie, le vaginisme, l’endométriose et les dyspareunies. J’espère qu’on va pouvoir les diffuser très prochainement. J’espère aussi pouvoir mener des actions plus militantes sur ces sujets.
Qu’aimeriez-vous conseiller aux membres Carenity également touchés par une maladie chronique ?
Je pense qu’il faut essayer de toujours croire en vous, en vos ressentis et perceptions, même si des professionnel·le·s les remettent en question et que cela vous fragilise dans votre parcours. Vous pouvez vous faire confiance, vous écouter, faire des pauses quand vous en avez besoin et faire vos propres choix : c’est votre corps. Sentez-vous légitimes à être bien pris en charge, c’est un droit fondamental.
Je voudrais dire à chacun·e : je te crois. Le diagnostic et le traitement d’une maladie chronique est parfois un parcours du combattant. Vous n’êtes pas seul·e dans ce parcours et si vous le souhaitez, vous pouvez vous regrouper avec d’autres personnes pour vous soutenir et vous entraider, tous ensemble.
Vous pourrez peut-être tirer du positif de votre expérience : de belles rencontres, des découvertes, de l’apprentissage de votre corps. En tant que patient·e, c’est vous le personnage principal de votre parcours de soin, ne l’oubliez pas. Même si des personnes autour de vous vous aident, c’est vous qui faites le gros du travail et vous pouvez en être très fier·e : je vous félicite et vous encourage, vous êtes fort·e·s !
Un dernier mot ?
J’espère que ces prochaines années seront positives avec des évolutions sur la connaissance de la vulvodynie, du vaginisme, de l’endométriose et plus globalement des pathologies dites féminines, pour permettre à toutes les personnes qui en souffrent d’être mieux prises en charge. J’espère aussi que la lutte contre les violences sexistes et sexuelles portera ses fruits car toutes ces violences ont des conséquences directes sur la santé des femmes et des minorités de genre.
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