Myasthénie : “J'ai du mal à me projeter, la myasthénie est pleine de surprises.”
Publié le 14 févr. 2024 • Par Candice Salomé
Thaïs, maman de 3 enfants et amoureuse de la vie, a commencé à avoir des symptômes qui l’ont alertée en 2021. D’abord, une paupière tombante, puis des difficultés à la marche, une faiblesse musculaire généralisée et une perte de poids drastique. Son parcours du combattant pour avoir un diagnostic clair a duré un an. Elle a vu un nombre incalculable de médecins et a passé de nombreux examens médicaux avant d’apprendre qu’elle était atteinte d’une myasthénie.
Désormais, elle est prise en charge correctement mais son traitement est lourd, et la maladie a évolué vers une myasthénie sévère.
Grâce à ses nombreuses recherches sur la maladie et son propre parcours, elle met un point d’honneur à aider les patients nouvellement diagnostiqués.
Découvrez vite son histoire !
Bonjour Thaïs, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
Je m'appelle Thaïs, j'ai 38 ans, je suis mariée et j'ai 3 enfants de 3, 6 et 9 ans dont un porteur d'un trouble du spectre autistique. Je vis en pleine campagne, au calme dans une maison au milieu d'un grand terrain. Je suis une amoureuse de la nature, des randonnées et je me suis prise de passion pour la course à pied, plus particulièrement le trail. Je m'entraînais plusieurs heures par semaine.
Je suis aussi très attirée par la création via diverses méthodes, j'aime découvrir, essayer, tester, rater et recommencer. Je bricole, j'adore ! J'aime construire.
Je suis une grande enfant, fan de Legos, de BD, de dessins animés et de bonbons acidulés, j'ai des baskets de toutes les couleurs, des lunettes multicolores, des bonnets à pompons, des chaussettes rigolotes, des autocollants partout et un grain de folie.
J'étais professeure des écoles, pendant 15 ans, j'ai arpenté les classes allant de la toute petite section de maternelle au collège, dans l'enseignement spécialisé mais aussi auprès de publics socialement défavorisés, bref j'ai beaucoup vu d'écoles différentes et me suis formée à diverses choses : le handicap cognitif, psychique, les troubles du neurodéveloppement… Avant de devoir changer d'activité professionnelle suite à la maladie.
En quelle année avez-vous reçu le diagnostic de la myasthénie ? Qu’est-ce qui vous a poussée à consulter ? Quels étaient vos premiers symptômes ?
Je me suis aperçue, le 28 février 2021, au réveil d'une sieste, que j'avais une paupière basse alors que l’autre non. Je n'avais identifié que ça comme symptôme ! Même si, en fait, il y en avait d'autres comme la fatigue physique, une sorte de lourdeur que je justifiais autrement.
Ma compagne étant médecin généraliste, elle m'a incitée à consulter dès le lendemain notre médecin de famille pour avoir son avis.
Le lendemain, je vais consulter pour ma paupière. La médecin ne trouvant rien, me prend un rendez-vous en urgence chez l'ophtalmologue.
Combien de temps a-t-il fallu pour poser le diagnostic ? Combien de médecins avez-vous rencontrés ? Quels examens avez-vous dus passer ?
L'ophtalmologue consulté en urgence décide que je dois faire des imageries immédiatement. Il m'a orientée vers un hôpital privé de Lille où il savait que je pourrais avoir une imagerie avec son courrier.
Finalement, je passerais deux IRM, un scanner, un EMG, un EEG, des tas de prises de sang, des tests en tout genre en étant hospitalisée une semaine. Ils ont annoncé le diagnostic comme quelque chose de bénin, d'esthétique, vraiment pas grave et très courant. Une myasthénie sûrement auto-immune et pour le moment uniquement oculaire. On me parle vaguement de médicaments à ne pas prendre au risque de faire pire que mieux, on ne me donne pas beaucoup d'explications et c'est surtout l'interne qui fait tout cela…
Je suis rentrée sans traitement mais avec des rendez-vous de suivi et un compte-rendu qui dit que j'ai une myasthénie oculaire probablement auto-immune (en attente des analyses).
Quelques jours passent, j'ai les deux paupières qui tombent. Ma doc appelle l'hôpital qui dit qu'il faut me prescrire le médicament typique de la myasthénie : le mestinon. Médicament qui a de suite des effets positifs, mes yeux restent ouverts toute la journée.
Mais les semaines passent et un soir, en fouettant dans une casserole pour faire ma béchamel, mes bras me lâchent, je n'y arrive plus. Je commence aussi à trébucher facilement quand il y a des irrégularités au sol, mes pas sont lents quand je promène le chien alors que j'ai l'impression de fournir un effort immense.
Ma doc rappelle l'hôpital, on prévoit une hospitalisation deux jours plus tard.
Première cure d'immunoglobulines, ils ont reçu les résultats des dosages des anticorps spécifiques de la myasthénie, c'est négatif. On m'a refait un EMG, c'est normal. Un scanner du thymus, il est là, il y a un résidu mais qui ne semble pas pathogène. Alors, ils doutent car mon état s'est empiré les premiers jours de la cure d'immunoglobulines.
Je sors avec un compte rendu qui dit que c'est peut être une myasthénie ou c'est psychogène.
Et ainsi jusqu'en début juin, les neurologues me diront qu'ils doutent, je n'aurais plus d’immunoglobulines, pas d'autre traitement que le mestinon jusqu'à une hospitalisation où on m'a dit que comme je n'ai pas d'anticorps ni d’EMG positif, c'est sûr à 99% que ce n'est pas une myasthénie. La neurologue va jusqu'à autoriser une chirurgie sans précautions médicamenteuses.
A la suite de cela j’ai vu 4 neurologues libéraux, j’ai consulté dans 2 centres de référence différents, des pointures en matière de myasthénie, et le même discours à chaque fois : c'est sûrement psychologique mais on ne peut pas être sûrs, dans le doute faites attention aux médicaments que vous prenez et ménagez-vous, mais on ne fera rien de plus.
Les deux neurologues des centres de référence vont me réorienter vers des psychiatres, qui eux-mêmes ne feront rien … pas de traitement envisagé, pas de prise en charge.
La dernière neurologue libérale que j'ai vue, qui m'a été recommandée par mon ORL, qui croyait dur comme fer au diagnostic de myasthénie, a directement dit que c'était la myasthénie, mais qu'elle, elle ne pouvait pas me soigner, il faut un hôpital.
Elle m'enverra dans un troisième centre de référence des maladies neuromusculaires. Une fois là-bas, un an après l'apparition des premiers symptômes, 28 kg en moins, 8 neurologues, des heures à chercher des informations via une association de malades… Le chef de service me dit en 5 minutes que mon cas est typique.
Les médecins, qui sont 3, ont pris mon dossier que je promenais avec moi, ils ont tout lu, absolument tout. Et ils ont tranché, c'est bien une myasthénie auto-immune généralisée. J'étais soulagée qu'enfin on me prenne en charge.
Qu’avez-vous ressenti à l’annonce de ce diagnostic ? Connaissiez-vous la myasthénie grave avant cela ?
J'étais soulagée de pouvoir avoir enfin accès aux traitements nécessaires. J'avais le sentiment que j'allais mourir sinon…
Je n'avais jamais entendu parler de myasthénie avant, donc j'ai dû chercher les informations par moi-même. À l'hôpital, j'ai découvert le site de l'association de malades de la myasthénie : les AMIS.
Ils ont fait des vidéos qui permettent d’expliquer la maladie, ses particularités, ses traitements, ses évolutions. Je me suis aussi inscrite sur le groupe de discussion sur Facebook, cela m'a énormément aidée car c'est un groupe dédié qu'aux malades, pas de personnes non malades pour respecter l'intimité. Et le partage d'expériences, de ressentis a été vraiment bénéfique pour comprendre la maladie.
Quel est votre suivi actuel ? Quels sont vos traitements ? Qu’en pensez-vous ?
Actuellement, mon traitement est en 3 parties. Des comprimés chaque jour : immunosuppresseurs, cortisone à forte dose (et donc protecteur gastrique, calcium, etc), mestinon, antidouleurs, antibiotiques au long cours, larmes artificielles et vitamine A pour les yeux.
Des perfusions tous les 10 jours, en hôpital de jour à l'hôpital à Garches d'anti-compléments, Eculizumab (Soliris) à vie et associées à des antibiotiques en prophylaxie.
Des perfusions toutes les 4 semaines sur 3 jours à domicile d’immunoglobulines, l'objectif est de les arrêter d'ici 6 mois en essayant d'introduire des perfusions d'anticorps monoclonaux (Rituximab).
Il y a parfois des hospitalisations en urgence, pour des cures d'immunoglobulines intermédiaires. Ces hospitalisations sont parfois en réanimation avec intubation pour aider mes muscles respiratoires qui sont défaillants.
Les effets secondaires, que ce soit les comprimés ou les perfusions, sont nombreux et difficiles à vivre : perte de cheveux, prise de poids, problèmes de peau, immunité réduite voire nulle, céphalées, méningites aseptiques, nausées, fatigue, insomnies, troubles de l’humeur, perte d'appétit…
Quel est l’impact de la maladie sur votre vie professionnelle et privée ?
J’ai arrêté d'enseigner dans les écoles et je me suis formée pendant un an (en semi-distanciel) pour devenir graphopédagogue (spécialiste de l'enseignement de l'écriture) et ouvrir mon cabinet.
Maintenant, je suis mon propre patron et je choisis mes horaires. Sauf que… si je ne travaille pas, je ne gagne rien !
D'autre part, je ne suis pas autonome non plus dans les gestes du quotidien à la maison. Je dois régulièrement demander à ma compagne de faire des choses pour moi car je n'y parviens pas.
Il y a des gestes du quotidien pour lesquels je dois faire des pauses : me laver les dents, les cheveux, me savonner, m'essuyer en sortant de la douche et tout un tas de choses qui paraissent si simples, mais qui ne le sont pas.
Je dois aussi faire attention, quand je sors, à me masquer car je suis lourdement immunodéprimée, cela me vaut beaucoup de regards en coin.
Vos rapports avec votre entourage ont-ils changé depuis l’annonce du diagnostic ? Vous sentez-vous entourée ?
Beaucoup d’amis ont disparu. C’est sûrement lié au fait que je ne peux pas sortir quand je veux, ni même recevoir à la maison… Sans parler du fait que je dois me protéger des virus et autres infections.
Quand je dis que je suis fatiguée, j'ai des réflexions désagréables. Et puis, un jour, j'ai craqué et j'ai envoyé un mail pour expliquer une énième fois pourquoi il était important de se tester pour pouvoir manger ensemble (c'était pendant une vague de Covid-19), j'ai expliqué ce qu'était devenue notre vie, mes limites, mes traitements, l'impact de la maladie. J'ai cru que le message était passé mais non…
Vous êtes active sur les réseaux sociaux. Pourquoi avoir décidé de parler de la maladie sur Internet ?
Quand j'accueille de nouvelles personnes sur le groupe Facebook de l'association, je m'aperçois que des personnes mal informées au sujet de la myasthénie, il y en a énormément ! Une mauvaise information, voire de la désinformation, peut être fatale dans le cadre de la myasthénie.
Par exemple, certains antibiotiques peuvent nous conduire directement en réanimation, ils accentuent les symptômes et cela provoque des crises myasthéniques. Mais pour cela il faut que les médecins informent les nouveaux malades. Il faut aussi qu'ils leur apprennent à reconnaître les signes de gravité qui demandent une nouvelle consultation.
Je veux partager aussi mes ressources, les livres qui m'aident, les reportages, les comptes Instagram, les stories d'autres personnes… La myasthénie touche toutes les sphères de la vie d'un malade, donc, autant essayer de toutes les traiter. Je veux aussi communiquer sur des stratégies pour s'économiser. En effet, le repos c'est 50% du traitement. Pour cela, j'utilise la théorie des cuillères que je trouve particulièrement adaptée.
Je suis en train de créer un album de jeunesse autour de la théorie des cuillères pour que les enfants s'approprient le mieux possible cette théorie qui est universelle.
Quel était votre constat avant de parler de la maladie sur Internet ? Manquait-il des informations essentielles à destination des patients ?
Il en manque, oui ! Sur le groupe de malades, il y a beaucoup de questionnements qui montrent que les personnes ne comprennent pas comment fonctionnent leurs traitements ni même la maladie. C'est le but de l'association, et le mien, par le biais de mon compte, j'essaie de diffuser nos supports et outils en dehors de Facebook.
Où en êtes-vous à l’heure actuelle ? Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Mon cabinet de graphopédagogie tourne bien, mon physique ne tient pas la route mais je m'adapte de mieux en mieux à mes limites. Sur le plan pro, je suis épanouie.
Sur le plan physique, j'espère que les traitements vont me sortir de ce bourbier où je suis depuis presque 3 ans…
J'ai énormément de mal à me projeter car la myasthénie est pleine de surprises, mais j'aimerais, pourquoi pas, écrire un livre retraçant mon parcours.
Je suis inscrite à une formation du Grieps pour devenir Patiente Experte dans les groupes d’éducation thérapeutique des patients. J'aimerais beaucoup que cela me donne une place dans des ETP.
Enfin, quels conseils aimeriez-vous donner aux membres Carenity également atteints de myasthénie grave ?
Ne surtout pas rester isolés, se tourner vers les associations AMIS ou AFM pour avoir des informations, des aides pour comprendre certaines choses.
Il faut aussi savoir que les personnes qui se portent le mieux avec la myasthénie, en parlent beaucoup moins que celles qui sont plus gravement atteintes. C'est normal ! Il ne faut donc pas s'inquiéter. Il n'y a pas une majorité de formes sévères, c’est juste que les autres vivent leur vie beaucoup plus normalement.
Et surtout, ne laissez aucun professionnel vous dire que c'est dans votre tête et remettre en cause le diagnostic une fois celui-ci posé par des personnes compétentes dans ce domaine !
Un dernier mot ?
Il ne faut pas lutter contre la myasthénie, vous serez perdant, accrochez-vous quand vous êtes au plus bas et apprenez à vivre avec elle, en la respectant car elle est là, désormais, mais surtout en respectant votre corps et ses nouveaux besoins. Écoutez-vous !
Un grand merci à Thaïs pour son témoignage !
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