Dermatillomanie : “Mes années de souffrance m’ont permis de faire quelque chose de positif, pour les autres.”
Publié le 4 déc. 2024 • Par Candice Salomé
Camille, dite peau.ssible sur les réseaux sociaux, est atteinte de dermatillomanie depuis le début de l’adolescence, avec l’arrivée des problèmes hormonaux et de l’acné. La dermatillomanie consiste à se triturer la peau du visage et/ou du corps, dans le but d’enlever les “reliefs” présents sur celle-ci. Cela entraîne de nombreux effets secondaires : problèmes de peau encore plus importants, baisse de l’estime de soi, de la confiance en soi...
Après avoir compris que la dermatillomanie était une maladie et que la volonté seule ne permettrait pas à Camille d’éviter ses crises, elle a cherché une aide psychologique et a réussi à mettre cela derrière elle !
Désormais, elle aide de nombreuses personnes dans le combat contre la dermatillomanie.
Découvrez vite son histoire !
Bonjour Camille, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
Je m’appelle Camille, j’ai 34 ans. Je suis originaire de Grenoble mais vis à Annecy. J’ai une petite fille qui est née cet été ! Sinon j’adore le sport (course à pied, ski…), la nature, la lecture, les chats, écouter des podcasts, écrire et dessiner !
Vous avez longtemps souffert de dermatillomanie, pourriez-vous nous parler du trouble et de ses manifestations ? Quel est son impact au quotidien ?
La dermatillomanie est un trouble peu connu, qui touche pourtant des milliers de personnes (surtout des femmes). C’est une véritable addiction qui consiste à se triturer la peau (du corps et/ou du visage) de façon obsessionnelle. On se crée des lésions sur la peau sans pouvoir s’empêcher de le faire, car sur le coup, cela nous rassure, nous apaise. Personnellement, je pouvais passer des heures dans la salle de bain (surtout le soir) à scruter ma peau de très près, et à percer / gratter / arracher tous les “reliefs” que je voyais, même les plus petits ! J’attaquais des boutons mais aussi des points noirs, des croûtes, des peaux mortes, des piqûres d’insectes, ou juste mes pores… Parfois, je passais d’une peau quasiment uniforme à une peau toute rouge et boursouflée en quelques minutes à cause des triturages… Je “créais” mes problèmes de peau. J’étais dans une sorte de transe, durant laquelle je ne voyais pas le temps passer ! Et une fois la “crise” passée, je revenais à la réalité, je m’en voulais, et ressentais beaucoup de tristesse, de peur, de culpabilité… C’est un trouble très difficile à vivre car il amène beaucoup de honte : honte de notre peau lésée, honte de parler de la dermatillomanie aux autres. Je l’ai vécu ainsi dans le secret pendant de nombreuses années et cela a beaucoup affecté ma confiance et mon estime de moi, mais aussi mes relations amicales et amoureuses.
Quand la dermatillomanie s’est-elle déclarée ? Comment s’est-elle manifestée dans votre vie ?
Tout a commencé durant l’adolescence, vers 11-12 ans, avec l’arrivée de l’acné. Il est important de rappeler que la dermatillomanie n’est pas toujours liée à l’acné (certains attaquent juste leur peau et créent des lésions à partir de rien). Chez moi l’acné est devenue obsessionnelle, je voulais lisser le moindre relief, et c’est ainsi que l’addiction s’est mise en place. J’y passais de plus en plus de temps, et les lésions étaient de plus en plus nombreuses. Chaque soir lorsque je rentrais du collège, j’allais dans la salle de bain regarder ma peau et passer des heures à essayer de la “lisser”. Je me cachais beaucoup. J’étais très mal dans ma peau, dans tous les sens du terme. Et comme je ne connaissais pas ce trouble, je pensais juste manquer de volonté… Après chaque crise je me disais : cette fois c’était la dernière ! Mais je recommençais sans cesse…
A quel moment avez-vous décidé de vous faire prendre en charge ? Et quelle a été cette prise en charge ?
Après 10 années de souffrance à cause de ce trouble, j’ai pris conscience que quelque chose n’allait pas et que je n’avais pas “juste” un manque de volonté. J’ai alors découvert le mot “dermatillomanie” sur Facebook, via des groupes de soutien en anglais (“skin picking”). J’ai lu des témoignages et vu des photos dans lesquels je me reconnaissais à 100%. Quel soulagement ! C’est alors que j’ai réalisé que c’était un trouble et donc que j’allais peut-être pouvoir trouver une façon de m’en sortir. Je me suis dit : si durant toutes ces années, la volonté n’a pas suffi, il faut que j’attaque le problème autrement. J’ai alors commencé plusieurs années de thérapie : d’abord avec un psychiatre puis avec une thérapie TCC. Chaque approche, chaque thérapeute m’a permis d’en apprendre un peu plus sur moi et sur ce trouble, et d’avancer.
Comment avez-vous réussi à sortir de la dermatillomanie ? Combien de temps a-t-il fallu ?
J’ai eu un long chemin de guérison, avec différentes étapes, mais aussi des rechutes. Elles font finalement partie de la guérison. Plusieurs choses m’ont permis de m’en sortir : déjà, découvrir que la dermatillomanie était un trouble et pas juste une mauvaise habitude. Puis accepter de me faire aider. Ce n’est pas facile au début, on se persuade qu’on va y arriver seule ! Mais en parler permet de prendre du recul sur son trouble, sur son histoire. J’ai vu plusieurs thérapeutes : psy, mais aussi des approches plus énergétiques, de l’hypnose. Chaque approche m’a aidée à aller un peu plus loin. J’ai aussi beaucoup lu, je me suis renseignée sur la peau, le système nerveux, la nutrition, les addictions. J’ai changé des choses dans mon hygiène de vie, mon travail, mon bien-être, réintégré des loisirs. Et petit à petit, j’ai eu la sensation d’être plus alignée avec moi-même, avec ce que j’aimais vraiment. De faire tomber une sorte de masque. La dermatillomanie touche souvent des personnes très perfectionnistes : c’était mon cas. Et accepter et assumer ma propre vulnérabilité, ne plus vouloir toujours viser la perfection dans tout, ont été des clés de guérison.
Ce chemin de guérison a été long, jalonné d’étapes. Mais je suis persuadée que tout le monde ne doit pas forcément passer par les mêmes étapes que moi. J’ai beaucoup tâtonné et essayé de choses, car on trouvait peu d’informations sur ce trouble à l’époque… C’est justement mon objectif désormais avec le projet “Peaussible” que j’ai lancé en 2019 : informer sur la dermatillomanie, aider les personnes qui en souffrent à se sentir moins seules et leur permettre de gagner du temps dans leur propre guérison grâce à mon retour d’expérience.
Finalement, ma guérison aura duré environ 5 ans (de mes 21 à mes 27 ans), même s’il y a eu plein de positif et de victoires aussi sur le chemin !
Quel est ou a été l’impact social de la dermatillomanie ?
C’est un trouble qui a malheureusement un très fort impact sur notre vie sociale car il touche à notre physique. La peau est une “interface” avec les autres, elle en dévoile beaucoup de nous et on ne peut pas la “cacher” à 100%. De mon côté, la dermatillomanie ne touchait que mon visage donc j’ai vécu des situations très compliquées, durant lesquelles ma peau était toute rouge, boursouflée, pleine de croûtes et de lésions. Il m’est arrivé plein de fois d’annuler des sorties, d’inventer des mensonges pour justifier une absence, de ne pas aller au travail. La dermatillomanie m’a beaucoup gênée aussi dans ma vie amoureuse et intime. Et il m’était très difficile d’en parler à mes proches : j’en avais honte déjà, et puis souvent ils ne comprenaient pas vraiment ce que je vivais donc leurs réactions n’étaient pas toujours adaptées…
Désormais, vous accompagnez de nombreuses personnes vers le chemin de la guérison grâce, notamment, à votre compte Instagram, votre livre, votre podcast… Diriez-vous que vous en avez fait votre combat ? Pourquoi avoir décidé d’aider les autres à s’en sortir ?
Oui, je dis parfois que c’est comme une mission de vie ! J’ai tellement manqué de soutien, d’information, d’espoir aussi, pendant mes années de dermatillomanie, que lorsque ça a commencé à aller mieux, j’ai eu envie de partager tout ce qui m’avait aidée. Ce projet “Peaussible” m’aide à faire de ces années de souffrance quelque chose de positif, pour les autres. Ça donne du sens à ce qui m’est arrivé : je peux transmettre.
Également, vous avez mis en place un programme d’accompagnement. Pourriez-vous nous en parler ?
Oui, j’ai voulu sortir un programme en ligne pour toutes les personnes qui souhaitent aller plus loin dans leur chemin de guérison de la dermatillomanie.
Je reçois en effet de plus en plus de messages de personnes qui ont des prises de conscience via mes différents contenus (posts Instagram, articles de blog, épisodes de podcast, newsletters…), ou suite à la lecture de mon livre papier, mais qui ont du mal à changer leurs habitudes sur le long terme. Elles ont besoin d’un cadre, d’avancer pas à pas en suivant une méthode, tout en ayant un soutien tout au long de ce processus. C’est ça qui m’a motivée à créer ce programme !
Il est sorti en juillet 2024 après des mois de travail. Il consiste en des vidéos à regarder à son rythme avec différents exercices à réaliser, des fiches pratiques, ainsi qu’un groupe de soutien privé sur WhatsApp avec d’autres personnes atteintes.
Le programme est structuré en 5 modules pour avancer pas à pas sur son chemin de guérison de la dermatillomanie. Dans ces modules, j’aide les personnes à mieux comprendre la dermatillomanie et à observer les manifestations du trouble chez elles. J’aborde aussi de nombreux sujets comme les émotions, l’estime de soi, la connexion au corps, mais aussi plus spécifiquement des astuces anti-crises, des conseils pour la cicatrisation et le soin de la peau, ainsi que des bonnes pratiques d’hygiène de vie. Je transmets dans ce programme tout ce qui m’a aidée à aller mieux et ce que j’aurais aimé savoir avant pour gagner du temps dans ma propre guérison. C’est un condensé d’années d’observation personnelle, de thérapies, de lectures, d’échanges avec d’autres personnes atteintes de dermatillomanie. En bonus il y a aussi des séances de sophrologie, hypnose, EFT et des méditations spéciales dermatillomanie à effectuer chez soi.
Pour l’instant, les retours des personnes qui se sont procurées le programme sont super positifs et il y a beaucoup d’entraide dans les groupes de soutien sur WhatsApp donc ça me touche beaucoup ! J’ai hâte de voir toutes ces personnes évoluer et se sentir mieux… dans leur peau !
Quel regard portez-vous sur l’avenir ? Quels sont vos projets ?
Je souhaite continuer à m’investir pour la cause de la dermatillomanie et pourquoi pas en faire un métier ! Aujourd’hui, j’ai encore une activité à côté de ce projet Peaussible : je suis freelance dans la Communication. Mais j’aimerais peut-être écrire d’autres livres sur la dermatillomanie, faire des conférences, des groupes de parole, peut-être des événements aussi en physique. Les idées ne manquent pas ! À court terme, je continue déjà d’animer le compte Instagram, le blog, de faire des interviews pour le podcast et d’écrire des newsletters.
Enfin, que conseilleriez-vous aux membres Carenity également touchés par la dermatillomanie ou par tout autre CRCC (Comportements Répétitifs Centrés sur le Corps) ?
Je leur conseillerai de ne pas perdre espoir : il est possible d’aller mieux ! Nos troubles ne sont jamais une fatalité. Et même si la guérison n’est jamais facile, il faut s’accrocher. J’aime aussi dire qu’il ne faut pas attendre de déclic : c’est souvent une excuse pour ne pas agir maintenant. Non, guérir c’est agir, c’est essayer des choses, faire des efforts, même si c’est dur. Les efforts paient toujours ! Et ne pas hésiter à se faire aider si on sent qu’on peine à avancer seul.
Un dernier mot ?
Ça va aller. Tout passe 💜
Cliquez sur J'aime et partagez vos réflexions et vos questions avec la communauté dans les commentaires ci-dessous !
1 commentaire
Vous aimerez aussi
Santé Mentale : “Il faut savoir s’entourer d’une équipe de professionnels bienveillants.”
13 avr. 2022 • 7 commentaires
Dépression - “La recherche en psychiatrie doit être soutenue afin de mieux soigner et prendre en charge les troubles mentaux”
10 mars 2021 • 16 commentaires
Troubles bipolaires : “Il faut être tolérant avec soi-même, s’aimer et s’accepter comme on est.”
26 juin 2024 • 11 commentaires
Dépression résistante : “Mon podcast est un espace sans tabou, pour libérer la parole et désamorcer toute forme de culpabilité.”
27 mars 2024 • 11 commentaires