Bipolarité : comprendre les causes, parvenir à un diagnostic et adopter les bons traitements
Publié le 25 oct. 2019 • Par Louise Bollecker
Ayant connu la dépression depuis son enfance, Dorothée, @Dolasol, n’a été diagnostiquée qu’en 2010 de troubles bipolaires. Elle nous raconte son parcours avec sincérité, des origines de la maladie à ses traitements, en passant par de longues années d’errance diagnostique.
Bonjour Dorothée, merci d’avoir accepté de témoigner. Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?
J'ai 49 ans et suis née à Fontainebleau d'un père militaire et d'une mère vietnamienne. Leur mariage était le fruit du hasard des plus cocasses : le frère de ma mère était dans l'armée avec mon père et il lui a tout simplement proposé de faire venir sa sœur du Vietnam afin de l'épouser. Elle a donc accepté de venir en France mais je suis née avant même qu'elle n'épouse mon père. J'ai appris plus tard qu'il l'avait violée... Cela causa beaucoup d'amertume à ma mère, en plus certainement de sa douleur, car elle était très croyante (elle l'est toujours) : avoir un enfant hors mariage était un immense péché pour lequel elle pria, je pense, toute sa vie.
Mon enfance fut difficile. Un père militaire alcoolique et violent, au mieux odieux. Une mère dépassée et soumise, souvent dépressive. Un cocktail souvent explosif dans des soirées de drame faites de hurlements, de cris, de larmes, d'effroi. Je sais que je suis malade parce que j'ai été une enfant maltraitée et mal aimée par mon père. Mais ce qui me sauva, ce fut certainement l'amour inconditionnel de ma maman, quels que soient ses défauts, elle a toujours été aimante.
Leur divorce fut (enfin) prononcé quand j'avais 22 ans ! Pourquoi avoir tant attendu était pour moi la seule question ; ma mère m'a répondu en me disant qu'elle n'avait tout simplement pas les moyens de le faire avant. Je l'ai compris et accepté.
A quand remontent vos premiers souvenirs de dépression ?
A l'âge de 6 ans. Je pleurais très souvent dans mon lit le soir. Je me retrouvais tous les matins avec les yeux gonflés et collés ; ma mère passait des cotons d'eau chaude pour m'ouvrir les yeux avant d'aller à l'école.
Puis de nombreux épisodes de dépression ont suivi : à 12 ans, à 16 ans, à 18 ans, à 20 ans longuement, puis à nouveau à 30 ans suite à la mort prématurée de ma petite sœur de 19 ans, tout juste un an après la naissance de mon premier enfant... Cette période de dépression fut longue, entrecoupée toutefois de périodes heureuses notamment à l'arrivée de mes deux autres enfants. Puis nouvelle dépression à 40 ans dont je termine tout juste d'en voir le bout.
Savez-vous à quoi ces états dépressifs sont liés ?
Un père militaire violent, alcoolique et odieux : pas le droit d'écouter de la musique, ni regarder la télé (nous l'avons eue tard), ne faire aucun bruit (il nous avait appris à ouvrir et fermer une porte doucement !). Une mère soumise et apeurée par son mari, comme nous l'étions tous. En dehors de la maison, quand j'étais à l'école ou chez un oncle, ma vie changeait totalement ! J'étais heureuse de vivre et m'épanouissais complètement dans la joie et les rires. Peut-être la dichotomie de mon âme vient-elle de là ?
Aviez-vous consulté des médecins dans votre jeunesse ? Avez-vous obtenu un diagnostic ?
Seulement des médecins qui m'ont toujours soignée pour dépression chronique, souvent l'hiver, sans que je ne prenne jamais d'antidépresseurs. En effet, j'ai toujours refusé d'en prendre, donc j'ai souvent pris du Lysanxia. Cela me permettait d'être moins angoissée et de pouvoir aller travailler. Les effets secondaires étaient souvent la fatigue, jusqu'à ce que je comprenne que la fatigue était surtout liée à la maladie dont je n'avais toujours pas le nom. Et pourtant, je ressentais en moi autre chose que des épisodes dépressifs. Peut-être m'étais-je mal exprimée à l'époque ? Je pense qu'il faut beaucoup de précision pour parvenir à diagnostiquer ce type de troubles, et les médecins n'ont pas le temps pour des investigations approfondies...
Je n'ai jamais eu aucun diagnostic jusqu'à mes 40 ans.
Vous avez fait une psychothérapie à 20 ans. En quoi cela vous a-t-il aidée ?
Ma première formation juste après le bac fut des études de psychologie et sociologie à la Sorbonne, car je souhaitais comprendre pourquoi je ressentais tant d'atermoiements dans mon cœur, dans mon ventre, dans mon esprit, dans mon âme. Il était évident pour moi que je ferais des études de psychologie. Mais mes Humanités s'arrêtèrent rapidement. D'abord parce que ça ne me plaisait pas. Mais surtout parce que je n'avais plus aucun moyen de subsistance car mon père m'avait coupé les vivres dès la deuxième année car j'avais écrit une lettre de témoignage en faveur de ma mère dans son affaire de divorce. C'est là qu'il m'a dit que je n'étais plus sa fille ; je lui répondis qu'il n'était plus mon père non plus. Et j'ai continué ma vie en cherchant du travail, logeant à droite ou à gauche.
Puis je suis entrée au Journal officiel à 19 ans. J'avais alors un petit ami dont le père et la belle-mère étaient thérapeutes. C'est tout naturellement qu'ils m'ont conseillé d'entreprendre une thérapie, ce que je fis avec une merveilleuse thérapeute qui m'a soutenue pendant 6 ans. Je souhaitais débroussailler mes jeunes années afin de prendre un bon départ dans ma vie d'adulte.
Et cela m'a beaucoup aidée car je pleurais souvent, pour rien. Alors que tout allait bien dans ma vie : un compagnon adorable, des voyages autour du monde, un bon travail bien rémunéré, un logement sympa dans Paris... Et pourtant... pendant longtemps j'ai dû me battre contre mes idées noires. La thérapie m'a beaucoup soutenue et rassurée, même s'il n'avait toujours pas de nom sur ma maladie.
Comment avez-vous été finalement diagnostiquée de la bipolarité ?
En 2010, au Centre Expert Bipolaire de Créteil fondée par Marion Leboyer. J'ai 40 ans et enfin, le diagnostic est posé : troubles bipolaires de type 1. Mais je ne prends pas la mesure à ce moment-là de ce diagnostic. Je décide de voir une psychiatre de ma ville de banlieue. Le traitement se limite à un Dépamide par jour pendant 2 ans, parce que je refuse d'en prendre plus. Puis je retourne voir Mme Leboyer. Je comprends et accepte alors que je suis malade et que seul un véritable traitement aura raison de mes symptômes. Elle m'envoie alors voir un psychiatre de la Pitié-Salpêtrière qui me suit depuis 7 ans maintenant. Le traitement de Dépamide est augmenté et suppléé d'un petit antidépresseur Seroplex pendant environ deux ans. Puis il me fait essayer le Xéroquel et très vite il me le propose comme monothérapie et il me convient bien depuis 5 ans, à raison de 300mg par jour.
Quels sont vos symptômes, en tant que patiente atteinte de troubles bipolaires ?
En période de dépression : apathie (manque d'intérêt et de motivation), procrastination (chaque journée est lourde à porter), repli sur soi (aucune envie de ne voir personne), idées morbides, chagrins inconsolables, envie de rien : ni manger, ni boire, ni faire quoique ce soit... Chaque action quotidienne dans ces moments-là sont des actes volontaires que mon cerveau décide. Si je ne décide pas de manger, alors je ne mange pas. Idem pour toutes les petites choses du quotidien.
En période de manie (qui ont été plus rares que les épisodes de dépression): exubérance, décisions inconsidérés. Financières par exemple : j'ai construit en période de manie en 2011 un mur que je n'aurais pas dû faire dépasser, mais je l'ai fait quand-même en me disant que la voisine ne dirait rien pour un dépassement d'un centimètre et demi sur une longueur d'un mètre. Cela m'a valu un procès pendant six ans, que j'ai perdu. Je devais détruire et reconstruire mais n'en avais pas les moyens, j'étais dans le rouge financièrement ; j'ai donc dû déménager... pour la 18ème fois de ma vie !
L'alimentation et l'hygiène de vie ne sont pas toujours assurées, quelle que soit la période. La seule chose qui a toujours bien fonctionné c'est le sommeil, je ne l'ai jamais perdu.
Quels traitements prenez-vous contre la bipolarité ? Sont-ils efficaces ?
Dépamide, Seroplex il y a 8 ans puis Xéroquel en monothérapie depuis 5 ans. Le traitement me convient très bien, à part quelques kilos en trop que je parviens à peu près à gérer car aujourd'hui je suis bénévole dans une petite association et je donne un cours de gym par semaine à des personnes du quartier dans le 12e à Paris.
Comment allez-vous aujourd’hui ?
Je n'ai plus de travail, je fume un peu pour tuer le temps perdu et je m'ennuie beaucoup. L'instabilité amoureuse m'a détruite ainsi que tout mon cercle social : je n'ai plus d'amis aujourd'hui. Le psy parle de séquelles de cette maladie : je cherche encore à savoir pourquoi je me retrouve sans amis. En revanche, je suis avec quelqu'un depuis deux ans et nous nous entendons bien. Il ne vit pas totalement à la maison (il a sa famille en Auvergne où il se rend souvent) et finalement je préfère.
Aujourd'hui j'ai pu racheter un appartement dans le centre de ma ville. Certes, ce n'est pas une maison (j'ai toujours vécu en maison) mais je suis heureuse d'avoir pu investir à nouveau.
J'ai rempli une mission comme bénévole aux Restos du cœur, au siège à Paris, pour harmoniser les fiches de missions de tous les bénévoles de France. Mission accomplie : un catalogue est sorti ! J'attends une nouvelle mission chez eux pour fin septembre au contrôle budgétaire.
Je sais que je ne pourrai plus jamais travailler comme j'ai pu le faire pendant 30 ans. Mais j'ai besoin d'une activité et suis heureuse de rendre service à cette grande association quelques heures par semaine ; ainsi qu'à l'association sportive du 12e.
Quel conseil donneriez-vous à un patient qui vient d’être diagnostiqué ?
De bien prendre son traitement, d'avoir une vie équilibrée sans alcool ou psychotrope, une bonne hygiène de vie.
Pratiquer le sport m'a toujours été salutaire. En effet j'ai fait de la gym pendant 20 ans au travail (entre 20 et 40 ans), dans l'association sportive dont je gérais la section gym. J'ai ensuite dû arrêter car mon travail de cadre était devenu énergivore et chronophage.
L'administration dans laquelle je travaillais est le Journal officiel ; entrée à 19 ans, j'y suis restée 28 ans ! Je suis en invalidité depuis 2 ans. Ils n'auront pas été de trop pour me remettre de tous mes déboires... et accepter que je ne travaille plus. J'y ai laissé beaucoup de tissu social mais peu d'amitiés finalement.
L'envie d'écrire a toujours été là, c'est même la seule envie que je me connaisse. Mais du fait de la procrastination, je n'ai jamais écrit une ligne. C'est donc un exploit pour nous autre bipolaires d'écrire enfin sur cette maladie, et je vous remercie de m'en avoir donné l'occasion... et l'envie !
Merci beaucoup à @Dolasol d'avoir partagé son histoire ! Rejoignez la discussion en commentaire, ci-dessous, pour apporter votre soutien, partager votre expérience ou poser vos questions.
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