Troubles du comportement alimentaire (TCA) : “Je me suis privée de beaucoup de moments de vie…”
Publié le 9 nov. 2022 • Par Candice Salomé
Inès, connue sur Instagram sous le nom de Lâche ton assiette, a connu de nombreux troubles du comportement alimentaire (TCA) pendant une dizaine d’année. Aujourd’hui guérie, elle prend la parole sur les réseaux sociaux afin de sensibiliser aux TCA mais aussi permettre de lever le tabou entourant bien souvent la maladie.
Elle se livre dans son témoignage pour Carenity. Découvrez vite son histoire !
Bonjour Inès, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
Je m’appelle Inès, j’ai 26 ans et je suis consultante en stratégie financière dans un cabinet de conseil. En dehors du travail, j’ai un amoureux, un chat et un compte Instagram que j’alimente quasi quotidiennement pour aider les personnes souffrant de TCA à guérir puisque j’en ai moi-même souffert pendant une dizaine d’années.
Vous avez été atteinte pendant de nombreuses années de TCA (troubles du comportement alimentaire). Pourriez-vous nous parler des premières manifestations de vos troubles ? Par quelles « phases » êtes-vous passée ?
Je considère que je suis passée par trois phases pendant ces dix ans de TCA.
L’hyperphagie et alimentation troublée (14 ans à 18 ans) - Le début de mes troubles remonte à ma classe de troisième, à ce moment-là en plein dans la puberté, j’avais un très léger surpoids. Malgré le caractère très léger de ce surpoids, mes camarades n’ont pas manqué de me répéter jour après jour que j’étais « trop grosse ». Les moqueries répétées ont fait que je me suis réfugiée dans la nourriture et que j’ai développé de l’hyperphagie.
Mes crises d’hyperphagie m’ont naturellement conduite à prendre encore davantage de poids, ce qui n’a fait qu’accentuer les moqueries de mes camarades…
L’été entre ma troisième et ma seconde a également été l’été de mes premiers régimes. A ce moment-là, je ne souffrais pas encore d’anorexie mais j’avais clairement ce que l’on pourrait appeler « une alimentation troublée ». Cette alimentation troublée s’est exprimée pendant tout le lycée car j’étais tétanisée à l’idée de reprendre le poids perdu donc je faisais partie de ces filles qui sont finalement quasiment « toujours au régime ».
L’anorexie (19 ans à 20 ans) - Bac en poche et une fois arrivée en classes préparatoires, j’ai pris une pilule pour limiter mon acné qui m’a fait prendre du poids. J’ai été affolée par cette prise de poids qui me renvoyait à mes moments traumatisants du collège. J’ai replongé dans un régime, cette fois ci beaucoup plus drastique… J’allais petit à petit vers l’anorexie en me restreignant de plus en plus mais « l’apogée » de tout ça est allé de pair avec mon arrivée en école de commerce. Je me suis mise en couple avec un garçon, j’ai très mal vécu notre rupture que j’ai vécu comme un réel abandon… Décidée à le récupérer et sachant qu’il n’aimait pas “les filles grosses”, j’ai décidé de devenir “la fille la plus mince de l’école”. C’est cette volonté qui m’a plongée dans l’anorexie. Pendant les deux années qui ont suivi cette maladie a fait partie intégrante de ma vie…
La boulimie (20 ans à 25 ans) - Je m’en suis finalement sortie en bifurquant vers… un nouveau TCA ? En effet, les alertes de mes proches (ami.e.s/famille) ainsi que de mon médecin traitant m’ont poussée à me faire suivre pour tenter de guérir. Seulement la réintroduction de certains aliments que je jugeais comme étant des « fear food » m’a conduite à avoir le même genre de crises que celles que je pouvais avoir au collège lorsque je souffrais d’hyperphagie.
Ne supportant pas l’idée de grossir, j’ai cherché à compenser ces crises par énormément de sport, la prise de laxatifs… C’est ce qui m’a plongée dans la boulimie pendant les cinq années qui ont suivi.
Avez-vous déjà été hospitalisée ? Avez-vous ou êtes-vous suivi par un psychologue et/ou psychiatre ? Quels bénéfices en tirez-vous ?
Je n’ai jamais été hospitalisée, j’ai cependant été suivie par un psychologue et également par un psychiatre. Je ne suis plus suivie aujourd’hui mais je considère que ces deux professionnels de santé ont été très bénéfiques dans ma guérison. Le premier m’a permis de comprendre la cause de mes troubles et l’impact de mes croyances sur mes actes. Le second m’a permis d’être médicalisée quand j’en ai eu à une période besoin.
Connaissez-vous la cause de vos TCA ?
Pour moi, il y a plusieurs causes à mes TCA. La première cause est clairement liée aux moqueries subies au collège. Ces moqueries répétées ont clairement mis dans ma tête la croyance suivante : « quand on est mince : on est aimé, quand on est grosse : on est moqué ». La seconde cause est clairement le regard des autres de manière plus globale, pas seulement celui de mes camarades de classe mais aussi celui de ma famille où la pression et les remarques sur le corps sont omniprésentes mais également celles de mes ami.e.s de l’époque qui commentaient beaucoup les pertes ou prises de poids éventuelles des gens.
Quel a été l’impact de vos TCA sur votre vie privée et professionnelle ?
Vie privée : je me suis privée de beaucoup de moments de vie à cause de mes TCA, j’ai refusé des invitations en week-end, en soirée, en vacances, au restaurant, au bar… Bref, je me suis privée d’énormément de souvenirs et de moments à cause de ma peur de prendre du poids et ma peur de l’imprévu de manière générale.
Vie professionnelle : mes TCA ont également eu un impact sur ma vie professionnelle puisque j’ai, pendant longtemps, redouté les déjeuners entre collègues, les déplacements professionnels par peur, là aussi, de prendre du poids… Souvent, je ramenais des tupperwares au boulot alors que cela ne me donnait pas du tout envie et que j’enviais plutôt les choix de mes collègues.
Vous avez décidé de parler des TCA sur les réseaux sociaux. Pourquoi avoir fait ce choix ? Quel est le but recherché ?
J’ai décidé de parler des TCA sur les réseaux sociaux car, lorsque j’avais essayé de guérir, les comptes engagés dans le féminisme et/ou le body positivisme m’avaient beaucoup aidée à déconstruire beaucoup de croyances que j’avais tout en remettant en question les injonctions liées à la beauté que je possédais à l’époque.
Souvent, dans ces comptes, il y avait aussi une dimension « guérison des TCA » et je restais finalement « souvent sur ma faim ». J’appréciais de lire ces témoignages car cela me permettait de me sentir moins seule mais je trouvais toujours cela « trop superficiel », je trouvais que ça n’allait pas au bout du sujet.
J’ai donc décidé de créer, une fois ma guérison des TCA stabilisée, ce compte que j’aurais aimé avoir ! Mon but est, au-delà des conseils pour guérir, de témoigner, de raconter des anecdotes vécues pour que les personnes qui souffrent ne se sentent plus seules et déculpabilisent. Souvent lorsque l’on souffre de TCA, on n’en parle pas car le sujet est tabou, j’ai envie de lever ce tabou pour aider ceux et celles à demander de l’aide et à finalement… guérir et surtout vivre !
Justement, à l’heure où les réseaux sociaux mettent en avant des corps « parfaits », que pensez-vous de leur impact sur les plus jeunes ?
Je pense que, tout comme les magazines de l’époque, les réseaux sociaux et leurs images de corps « parfaits » ont un impact très négatif sur les jeunes. Je pense d’ailleurs que les réseaux sociaux sont encore plus malsains que les médias de l'époque car ils donnent l’illusion que c’est la « vraie vie » et que ce sont des « vrais corps ». Avant, on avait cette prise de recul lié au fait que ce soient des mannequins dont c’est le métier et dont les photos étaient retouchées. Je trouve que la prise de recul est plus compliquée sur les réseaux sociaux où il y a une « illusion du vrai » omniprésente.
Que pensez-vous de la « tendance » body positive de plus en plus présente sur les réseaux sociaux ?
Je trouve que c’est un mouvement qui est (trop) critiqué mais qui m’a personnellement énormément aidée. Déshabituer son œil aux « corps parfaits » et voir une « diversité de corps » m’a vraiment aidée à aller mieux donc je pense qu’il serait bénéfique pour tout un chacun (et pas seulement les personnes souffrant de TCA) de suivre des comptes body positive sur les réseaux sociaux.
Pensez-vous être guérie des troubles du comportement alimentaire ?
Oui, je pense être guérie car je n’ai plus de peurs liées à l’alimentation. Je n’ai aussi plus peur de prendre de poids. Je pense qu’à partir du moment où ces deux peurs ne font plus partie de notre vie, on va mieux car ce sont des peurs centrales dans les TCA. Aussi, je pense avoir « accepté mon corps », j’insiste bien sur le mot « accepter » qui est bien à dissocier du terme « aimer », je ne suis pas une fan inconditionnelle de mon corps mais je vis avec lui et je n’essaye plus de faire de lui autre chose que mon corps.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
On vient d’acheter un appartement avec mon amoureux donc mon projet à court terme serait de le meubler au maximum et de le décorer à notre gout.
A plus moyen terme, on se marie en juin 2023 donc la préparation va faire partie intégrante de notre vie ces prochains mois tout comme la planification d’un voyage de noces (j’ai hâte, voyager est ce que j’aime le plus au monde).
Sinon, à plus long terme, j’aimerais continuer à développer ce compte Instagram et peut être envisager de vivre à l’étranger dans les 2-3 ans à venir.
Enfin, que conseilleriez-vous aux membres Carenity également touchés par les TCA ?
D’aller voir son médecin traitant, c’est vraiment la porte d’entrée vers un suivi plus poussé. D’en parler à cet organe externe et d’en parler aussi à vos proches si vous vous en sentez capable. Vous n’êtes pas seul.e et votre souffrance est légitime, en parler est un premier moyen de guérir.
Un dernier mot ?
Prenez soin de vous, on a vraiment qu’une vie : je sais que c’est une phrase bateau mais me rendre compte que ma vie était limitée dans le temps (on a vraiment tendance à l’oublier) a été une motivation supplémentaire pour guérir !
Un grand merci à Inès pour son témoignage !
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