Anorexie : “Le diagnostic est toujours posé trop tard…”
Publié le 7 déc. 2022 • Par Candice Salomé
Caroline, connue sous le nom d’Appétit Libre sur les réseaux sociaux, a connu l’anorexie pendant de nombreuses années. La maladie a débuté à la suite d’un simple régime pour perdre 2 ou 3 kilos. Pendant des années, elle a compté les calories et a contrôlé drastiquement son alimentation.
A 33 ans, elle s’est lancé un défi : tester chaque jour des restaurants différents, de sorte à ne plus pouvoir compter les calories de ses repas. Désormais guérie, elle essaie de sensibiliser à la maladie pour que le diagnostic puisse être posé à ses prémices.
Découvrez vite son histoire !
Bonjour Caroline, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
Je m’appelle Caroline, j’ai 37 ans. Je vis à Paris avec mon mari et mes 2 filles de 4 ans et 15 mois.
Mon métier, c’est médecin anatomo-pathologiste ou anapath et c’est également une passion. Pour faire simple, il s’agit d’une spécialité médicale qui consiste à regarder au microscope les prélèvements (fait lors d’une intervention chirurgicale, par exemple, ou les biopsies) afin d’établir un diagnostic.
Dans la vie, j’aime le théâtre (j’en ai fait assez longtemps en tant qu’amateur), la musique (je pratique un peu le piano), et je suis fan de karaoké, de découvertes culinaires, écouter des podcasts sur des sujets variés, voyager. L’aspect découverte est prépondérant chez moi. J’aime tout dès qu’il s’agit de découvrir de nouvelles choses, de nouvelles expériences.
Vous avez longtemps été atteinte d’anorexie mentale et vous vous imposiez de nombreuses restrictions alimentaires. Pourriez-vous nous parler de votre parcours avec la maladie ?
A l’âge de 15 ans, j’ai souhaité perdre 2-3 kilos alors que mon poids était strictement normal, pensant que ça allait m’aider à me sentir plus confiante, mieux dans ma peau, à plaire davantage aux garçons...
J’ai commencé à manger un peu moins progressivement, ce qui m’a rapidement fait perdre ces 2-3 kilos. Le problème, c’est que je n’ai plus su reprendre une alimentation « normale » après ça, par peur de les reprendre. Et donc, je ne savais pas comment m’alimenter pour juste stabiliser mon poids. Et j’ai continué à perdre du poids.
Mes parents se sont vite alertés et m’ont emmenée consulter un médecin qui m’a posé un ultimatum : reprendre un peu de poids, sinon je serais hospitalisée. Ayant vu ma petite sœur souffrir de la même maladie, être hospitalisée en étant privée de contact avec nous - ses proches - plus ayant une sonde naso-gastrique, ça m’a fait très peur et j’ai réussi à reprendre quelques kilos, échapper l’hospitalisation et continuer ma vie presque normalement.
A l’époque, je ne me pensais pas malade. Pour moi, j’étais juste quelqu’un qui faisait attention à ce qu’elle mange, qui faisait un régime. Car oui, pour moi l’écart était flagrant entre ma sœur qui a souffert d’anorexie et qui ne mangeait quasi plus rien et moi qui continuais à manger et qui continuais à prendre un certain plaisir à manger.
Pourtant, les médecins m’ont diagnostiqué « anorexique ». Et avec le recul, ils avaient raison. Après cet épisode à l’adolescence, je me suis donc stabilisée à un poids assez bas mais « qui passe » pour les médecins, mais ce poids reposait sur un contrôle permanent de l’alimentation et de l’activité physique quotidienne très contrôlée. Ce n’est que vers mes 30 ans, que j’ai voulu mettre fin à ce contrôle.
Quand la maladie s’est-elle déclarée ? Comment s’est-elle manifestée dans votre vie ? Pendant combien de temps avez-vous souffert d’anorexie mentale ? Quand vous êtes-vous rendu compte que vous étiez malade ?
La maladie s’est déclarée à 15 ans. J’ai commencé à manger moins le midi à la cantine et à supprimer mon gouter. Je continuais à manger aux repas avec mes parents, de sorte qu’ils ne s’en sont pas tout de suite rendu compte.
J’ai souffert d’une phase d’anorexie mentale pendant 6 mois-un an environ puis mes parents m’ont emmenée consulter. Suite à quoi, j’ai repris un peu de poids, je mangeais un peu plus, mais j’étais toujours habitée par la maladie à savoir : une peur de grossir, des règles alimentaires rigides, une peur de certains aliments… en gros, la même maladie mais avec un poids plus élevé, ce que j’aime appeler « quasi-guérison ».
Quelle a été votre prise en charge ? Êtes-vous actuellement suivie ? Que pensez-vous de cette prise en charge ? Qu’aimeriez-vous améliorer ?
A 15 ans, j’ai été prise en charge par une endocrinologue que mes parents connaissaient et une psychologue pendant un an environ. Puis, je n’ai plus eu de suivi jusqu’à mes 33 ans.
Pendant toutes ces années, j’avais les pensées de la maladie mais, à posteriori, je vois que j’étais dans le déni car je banalisais beaucoup ces pensées, me disant que j’étais comme beaucoup de femmes, dans le contrôle de mon alimentation.
C’est quelque chose de tellement banalisé de nos jours que c’est finalement très dur, de se rendre compte que son comportement alimentaire est pathologique. A 33 ans, j’ai réellement pris la décision de me soigner et j’ai consulté une diététicienne spécialisée en TCA et une psychologue.
Ce que j’aurais aimé améliorer : qu’on me sorte gentiment de mon déni. Par exemple, lorsque j’aurais pu consulter un professionnel de santé pour une autre raison. Ce n’est pas une situation évidente, mais je pense que ça peut se tenter pour un professionnel formé, malheureusement, ils ne le sont pas ou très peu.
Quel a été l’impact de l’anorexie sur votre vie privée et professionnelle ?
Sur ma vie professionnelle, une grande fatigue au quotidien, des troubles digestifs qui sont en partie lié à l’anorexie. Mon choix de spécialité médicale n’est peut-être pas si anodin car dans mon travail, on est assis devant un microscope la plupart du temps, ce qui est moins fatiguant qu’un médecin qui doit marcher dans les couloirs d’un hôpital. Pendant mon internat, j’ai effectué des stages dans des services hospitaliers ou aux urgences qui m’ont énormément fatiguée. Néanmoins, je ne regrette absolument pas mon choix de spécialité qui me correspond tout à fait.
Dans ma vie privée, j’ai dû décommander beaucoup de soirées ou sorties entre amis dès lors que ça impliquait des repas. Ça me faisait trop peur. J’ai aussi eu peu d’aventures amoureuses. Aujourd’hui, je suis très heureuse avec mon mari, qui m’a rencontrée étant malade.
Nous avons eu des difficultés à concevoir nos deux filles car, à l’époque où nous avons cherché à avoir des enfants, mes règles n’étaient pas revenues. Nous avons donc eu recours à une aide médicale pour avoir nos filles.
Vous vous en êtes sortie en vous lançant un défi. Pourriez-vous nous en parler ?
On peut dire ça en effet. Je me suis mise au défi de tester et de manger tous les jours à des adresses différentes de restaurants parisiens, principalement grâce à la livraison à domicile pour des raisons de praticité. Ça m’a permis de lâcher le contrôle que j’avais quand je cuisinais chez moi ou quand j’achetais des choses au supermarché où toutes les valeurs nutritionnelles sont indiquées.
Avec le resto, je n’avais plus aucun contrôle. Ma peur était immense mais plus je l’ai affrontée, plus elle s’est amoindrie. J’insiste sur le côté répété, quotidien, sinon, le défi n’aurait pas porté ses fruits. C’est comme affronter une phobie : si on a peur de conduire et qu’on va conduire une fois par mois, ça ne va pas vraiment nous réconcilier avec la conduite.
Comment expliquez-vous que ce challenge que vous vous êtes lancé vous a permis de passer outre les restrictions alimentaires ?
Comme je l’ai dit plus haut, il y a déjà le fait qu’au restaurant, on ne sait pas comment est cuisiné le plat, la quantité qu’il y a dans l’assiette, les calories etc… Puis il y a cet aspect découverte de nouvelles adresses, qui permettait de contrebalancer ma peur grâce à l’euphorie de découvrir de nouvelles saveurs.
J’ai la chance d’être une personne qui a peu d’aversion alimentaire, j’aime tout, j’aime les différentes cultures culinaires, les différents mariages de saveurs. Et je m’étais donc donnée comme objectif de tester le plus d’adresses possibles. Il faut savoir que j’ai vécu avant ça pendant 10 ans à Paris, en faisant peut-être 4 restos grand maximum.
Depuis, vous avez eu la super idée de mettre en relation des personnes atteintes de troubles du comportement alimentaire pour les inciter à aller au restaurant ensemble. De quelle(s) façon(s) cela peut-il accélérer ou améliorer le processus de guérison ?
Aller au restaurant seul(e), ce n’est déjà pas évident pour des personnes indemnes de TCA mais alors pour celles qui en souffrent, c’est encore plus difficile. Je pense que c’est hyper important, d’être accompagné(e) au moment de certains repas. Retrouver ce plaisir partagé peut aider à franchir le cap d’aller au restaurant. Mais attention, car ça peut aussi être tout l’inverse, les personnes atteintes de TCA ont souvent un esprit de compétition développé et peuvent aussi se tirer vers le bas. C’est notamment pour ça, que j’ai créé une charte que chacun s’engage à respecter s’il souhaite s’inscrire sur la plateforme.
Vous êtes active sur les réseaux sociaux sous le nom d’Appétit libre et avez enregistré de nombreux podcasts. En quoi cela vous aide personnellement ? Et qu’est-ce que cela peut apporter à votre communauté ? Quels sont les retours de vos abonnés ?
Ça m’aide en propageant un discours militant et engagé contre la diet culture, la grossophobie aussi, un peu le féminisme, car ce sont des sujets qui me touchent profondément car en grande partie, à l’origine du déclenchement de mon anorexie. Ce n’est certes pas la cause unique, car pour souffrir de cette maladie, il y a de multiples causes, mais la pression qu’on met sur les femmes pour avoir un certain corps, la culture des régimes, la peur de devenir gros est partout dans notre société et c’est à cause de ça, qu’un beau jour, j’ai cru que perdre du poids pourrait améliorer mon mal-être d’adolescente.
Quel regard portez-vous sur l’avenir ? Quels sont vos projets ?
J’espère que le regard sur les TCA va changer et qu’on arrête de ne voir et considérer que les cas les plus sévères ou les plus démonstratifs.
Bien souvent, avant de souffrir de TCA, on souffre d’une alimentation troublée qui génère aussi beaucoup de souffrance.
Il faudrait pouvoir faire plus de prévention à ce sujet pour éviter aux gens de tomber là-dedans, ou les dépister à des stades plus précoces pour éviter les formes sévères de la maladie.
Actuellement, le diagnostic est posé bien trop tard car, selon moi, les critères diagnostiques devraient inclure les stades précoces et l’alimentation troublée pour pouvoir mieux les dépister.
En ce qui concerne mes projets, je réfléchis à la création d’une chaîne Youtube mais rien de concret pour le moment. J’aimerais aussi que ma plateforme de mise en relation de personnes souhaitant aller au resto prenne plus d’ampleur.
Enfin, que conseilleriez-vous aux membres Carenity également touchés par les TCA ?
De se faire aider mais surtout de chercher des professionnels bien formés si possible qui pratiquent sans discours diet culture. Ensuite à vous de trouver ce qui vous correspond (psychanalyse, TCC, ACT, EMDR…). Il faut avant tout que le praticien, lorsqu’il peut parfois prononcer certaines phrases un peu vite, ne donnent pas d’informations trop ancrées dans la culture des régimes.
Un dernier mot ?
Courage, mais on s’en sort !
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