Troubles bipolaires : “Il faut être tolérant avec soi-même, s’aimer et s’accepter comme on est.”
Publié le 26 juin 2024 • Par Candice Salomé
@Playmobil a toujours eu des pensées noires, une faible estime d’elle-même et une forte dépendance affective mais ce n’est qu’au moment de son divorce, à 51 ans, que sa vie s’est vraiment effondrée. Elle a décidé de consulter un psychiatre qui a su poser un diagnostic rapidement : bipolarité de type 2, maladie dans laquelle se mêlent des phases d’hypomanie et des phases de dépression. La bipolarité de @Playmobil se manifeste plutôt par des phases mixtes, qui correspondent à une alternance d’hypomanie et de dépression rapidement, parfois au cours de la même journée.
Elle a écrit un livre qui raconte ses 27 ans de vie commune avec son mari, qu’elle qualifie de MPN (manipulateur pervers narcissique). Aujourd’hui, elle va mieux et nous raconte son parcours dans son témoignage.
Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
J’ai 60 ans tout juste. J’ai fait des études de Musicologie à la Faculté de Tours. Après avoir obtenu le CAPES, j’ai enseigné 33 ans en collège en France Métropolitaine, en Guadeloupe et en Martinique. J’ai 2 enfants maintenant trentenaires, nés d’une union de plus de 25 ans.
Mes goûts ont beaucoup changé depuis ma dépression à l’âge de 51 ans. Mes comportements aussi.
Vous êtes atteinte de bipolarité de type 2. Pourriez-vous nous dire quels sont les symptômes de cette pathologie ? De quelle façon cette forme de bipolarité est-elle différente des autres ?
La bipolarité de type 2 se caractérise avant tout par l’absence de manie. Il s’agit avant tout d’hypomanie, ce qui est plutôt rassurant, puisque même si les symptômes sont similaires, ils sont moins intenses et causent moins de retentissements. Au tout début, c’est bien le diagnostic qui m’a été posé, en raison d’un état global plutôt dépressif et une hypomanie avérée. Peu à peu, avec ma psychiatre, nous avons pu constater que je souffrais plutôt de bipolarité avec état mixte, ce qui est très difficile à gérer. En effet, des symptômes de manie (ou d’hypomanie) ont lieu en même temps ou en alternance très rapide dans la journée. Il faut savoir que les épisodes mixtes représentent le plus grand risque de suicide.
Comment s’est manifestée la bipolarité dans votre vie ? Quels ont été les premiers symptômes ?
J’ai souffert, à l’entrée en classe de 6ème, d’une séparation que j’ai vécue comme une exclusion. C’est à partir de ce moment que je me suis sentie changer peu à peu. De nature très joyeuse jusqu’alors, des pleurs, des colères, de la frustration, un sentiment de cafard, de tristesse, de troubles du sommeil, de culpabilité, de dévalorisation, d’envie de suicide se sont invités dans ma vie et personne ne m’a entendue. J’ai eu très tôt le sentiment d’être jugée, mal aimée, indésirable, illégitime… La dépendance affective ne m’a plus jamais quittée par la suite. J’ai également eu un grave accident de voiture à l’âge de 19 ans. Cela n’a rien arrangé…
Avez-vous consulté rapidement ? Combien de temps a-t-il fallu pour que le diagnostic soit posé ? Et combien de médecin avez-vous rencontré ?
Malheureusement, non, je n’ai pas consulté rapidement. On me trouvait parfois excentrique, soupe au lait, à fleur de peau, rigolote, envahissante, bavarde etc. Je pense vraiment que mes études en musicologie m’ont « soignée ». Je ne me sentais vraiment bien qu’à l’étude de la musique.
A 41 ans, j’ai décidé de voir un psychiatre. Au bout de 11 séances, j’ai cessé, car j’avais l’impression de ressasser. Ces séances m’ont toutefois aidée à comprendre mon parcours familial depuis ma petite enfance mais aucun diagnostic n’a été posé. A l’époque, je ne savais même pas ce qu’était la maladie maniaco-dépressive.
C’est à 51 ans que tout s’est effondré, quand j’ai décidé (enfin !) de divorcer. Mon mari l’a très mal pris et m’a « enfoncée ». J’étais exténuée, vidée. J’ai fait un burn-out.
J’ai rencontré à temps une psychiatre qui, dès le premier rendez-vous, a mesuré la gravité de la situation et le danger imminent d’un suicide. Je me suis enfin reposée 3 semaines en hôpital psychiatrique. Le diagnostic de la maniaco-dépression a été posé. Cela a été un soulagement pour moi : je commençais enfin à comprendre. J’ai ensuite suivi une psychothérapie en hôpital de jour. Je sais qu’on ne guérit pas de cette maladie mais avec le bon traitement et un bon travail sur soi, on peut vivre avec. Et on peut vivre heureux !
Quel est l’impact de la bipolarité sur votre vie privée et professionnelle ?
Devant mes élèves, la bipolarité n’a jamais été un problème. En effet, perfectionniste, rigoureuse, naturellement psychologue auprès d’un public adolescent dont je comprenais très vite les malaises, je me sentais parfaitement à ma place (voire, en bonne bipolaire, « en mission « !). Avec mes collègues, c’était plutôt moyen mais ça pouvait aller. Je réalisais mes projets pédagogiques avec les collègues qui me mettaient à l’aise.
Dans ma vie privée, mes désaccords, mes discussions « jusqu’auboutistes », mes petites ou grosses colères m’ont souvent joué des tours. Je n’aime pas recevoir à déjeuner ou diner car cela me stresse !
Mon ex-mari est un MPN (manipulateur pervers narcissique) et la peur de l’abandon ne m’a jamais effleurée avec lui : parfaitement sous emprise, je croyais alors en une confiance absolue !
J’aime de moins en moins être en société. Depuis l’écriture de mon livre, c’est comme si j’avais été validée, comprise, légitimée. Cela m’a donné une force incroyable et en même temps, une vulnérabilité du fait de l’exposition. La solitude m’est bienfaitrice. Je n’avais jamais réalisé à quel point j’étais hypersensible.
Comment a pu se manifester la maladie en phase hypomaniaque ? Et en phase dépressive ? Quelles sont les manifestations les plus difficiles à gérer ?
La logorrhée est caractéristique chez moi, en phase hypomaniaque. J’ai compris qu’en fait, la raison profonde est la hantise du silence, la gêne face aux autres. Je peux aussi couper la parole parce que je comprends tout de suite ce que veut dire mon interlocuteur et j’ai l’impression qu’on « patine ». Je peux également lui couper la parole parce que je ne supporte pas de ne pas être d’accord avec lui. C’est assez insupportable pour tout le monde !
En phase dépressive, je me répète sans arrêt que je vais me flinguer. Je me dis que je suis trop lâche pour le faire, que je n’y arriverai pas. Je pleure, je m’énerve toute seule dans mon coin…Je peux me calmer et me raisonner très vite. En phase dépressive, je suis rarement abattue physiquement.
En hypomanie, je ne sais pas m’arrêter quand je fais une tâche, surtout si elle est physique (ménage, jardinage…), si bien que je finis par m’énerver et aller trop vite. J’ai remarqué que je sais m’arrêter quand il s’agit d’une tâche intellectuelle, même si ma tête est en ébullition. L’agitation physique a un impact très grand dans mes phases hypomaniaques.
L’avantage de vieillir, c’est qu’on a moins de ressources physiques pour s’énerver, pour aller trop vite. Maintenant, je suis la reine de la glandouille !
De quelles façons la bipolarité affecte vos relations avec votre entourage ?
Je me sens en marge. Je me sens jugée. Je ne donne pas ma confiance. J’ai le sentiment que les gens en face de moi me comprennent rarement, même l’humour second degré ! J’ai parfois du mal à écouter les autres. Il faut vraiment qu’avant leur arrivée, par exemple, je me prépare psychologiquement.
Il faut dire que depuis l’écriture de mon livre, tout change pour moi : je n’ai plus d’anxiété quand je suis seule. Je jubile parfois dans ma solitude. Ça peut paraître fou, mais c’est ainsi. Du coup, je ne perçois plus le réseau social de la même manière. Je m’implique beaucoup moins. Je n’ai besoin de personne pour savoir que je ne suis ni plus, ni moins légitime sur cette terre que les autres.
Suivez-vous un traitement ? En êtes-vous satisfaite ?
Oui, je suis sous Lithium LP400 dont j’ai pu diminuer d’un tiers le dosage, en contrôlant. Je ne prends que 2 comprimés par jour. Ce traitement, que je prends depuis 8 ans, a changé ma vie.
J’ai toujours avec moi un anxiolytique (alprazolam) que je gère très bien : j’en prends très, très peu (la moyenne est de ½ à 1 comprimé par semaine, en anticipation d’évènements que je ne me sens pas capable d’affronter). Je peux rester pendant 15 jours ou 1 mois sans en avoir besoin.
Au début de mon traitement, j’avais aussi un anti-dépresseur (paroxétine) qui a été très progressivement enlevé.
Quel professionnel de santé vous suit ? Que pensez-vous de ce suivi ?
Je ne suis plus suivie par un psychiatre depuis que j’ai déménagé, il y a presque 3 ans. Mon traitement est toujours le même (Lithium LP 400). Il est très difficile dans la région où j’habite maintenant d’être suivie par un psychiatre. Je suis très vigilante et je n’hésiterai pas à voir un psychologue si ça ne va pas.
Vous avez publié un livre intitulé « L’usure – Mon parcours avec un MPN », pourriez-vous nous en parler ?
Il s’agit de mon témoignage basé sur mon journal intime et des souvenirs. En voici le résumé :
Divorcer d’un MPN (Manipulateur Pervers Narcissique) est un double deuil : celui de la séparation, bien sûr, mais aussi et surtout celui de l’acceptation de l’illusion de l’amour. Cela fut pour moi à la fois une douleur et une libération de réaliser, au bout de 27 ans de mariage, qu’il ne m’avait jamais aimée… J’étais subtilement menée par le bout du nez, dévouée, sous emprise.
Les quelques anecdotes (parmi tant d’autres) relatées dans ce témoignage auraient dû m’alerter. Mais était-ce alors possible de prendre conscience ?
Si ce petit ouvrage concret pouvait éclairer les personnes malheureuses et inconscientes de ce qu’elles vivent (comme cela fut mon cas pendant toutes ces années), alors j’en serais ravie. Témoignage alors utile, il n’aura pas été écrit simplement pour me soulager.
Fuir et revivre, fuir vite et se reconstruire avant qu’il ne soit trop tard car l’emprise, telle une usure fatale programmée, tue à petit feu…
Les bipolaires sont des proies idéales pour les manipulateurs pervers narcissiques. Ils soufflent le chaud et le froid. Malheureusement, je ne l’ai compris qu’on bout de vingt-sept ans de vie commune…
Enfin, quels conseils aimeriez-vous donner aux membres Carenity également atteints de troubles bipolaires ?
De vouloir guérir, de vouloir être zen, de vouloir s’en sortir. D’être tolérant avec soi-même, de s’aimer et s’accepter comme on est, d’être patient.
D’apprendre à se connaître pour se respecter et se soigner comme il faut.
De se ressourcer avec des activités saines : marche à pied, sport, expression artistique, relaxation, yoga, « bullage » etc.
De ne pas s’obliger à voir des gens qu’on ne veut pas rencontrer.
De toujours penser qu’en période suicidaire, on n’est pas dans son état normal, qu’on est déséquilibré, que notre normalité à nous est basée sur la recherche permanente de l’équilibre difficile entre Vie et Mort (Eros –Tanatos !) mais que la Vie est quand même ce qu’on préfère.
Un dernier mot ?
Carpe diem !
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