Cancer de la prostate : ne pas avoir peur de savoir
Publié le 22 févr. 2017 • Par Léa Blaszczynski
Découvrez l'histoire de Jean-Louis, un homme qui n'a pas eu "peur de savoir", ni peur de se battre pour pouvoir reprendre une vie active après l'opération.
1 - Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis un homme âgé aujourd'hui de 66 ans, je suis scénographe-metteur en scène, toujours en activité. Je suis le père de deux garçons, aujourd'hui âgés de 30 et 25 ans. Leur mère et moi nous sommes séparés il y a dix ans et je partage désormais ma vie depuis trois ans avec une autre femme.
2 - Racontez-nous, comment avez-vous été diagnostiqué ? Quelle fut votre première réaction et celle de vos proches ?
Le hasard fait parfois bien les choses, surtout quand a posteriori il apparaît que la situation était dramatiquement engagée et parfaitement inconnue.
Mon fils aîné, parce qu'il partait au Cameroun pour un mois, était passé chez le médecin de famille pour un vaccin, mais il n'avait ni chéquier, ni carte vitale, "papa passera régler". C'est ce que je fis quelques jours plus tard.
Le matin même sur une radio nationale, j'avais écouté dans la voiture un débat sur la question du dépistage du cancer de la prostate et l'efficacité du dosage du PSA.
Venu chez le médecin pour régler la dette de mon fils, j'en profite pour lui demander une ordonnance, pour ce dosage, ce qu'il fit presque à contre cœur jugeant que si je n'avais aucun trouble, ni aucune souffrance, j'avais certes 50 ans mais ce n'était certainement pas une urgence.
J'ai insisté et le lendemain je découvrais un PSA à 12.6 pour une situation normale qui aurait du être inférieure à 2 ce qui est énorme !
S'en sont suivies les investigations nécessaires complémentaires et urgentes, pour conduire après une série de prélèvement (biopsie) et IRM au constat d'un cancer agressif très développé, qui imposait une urgence de traitement faute de quoi le pronostique vital pourrait être engagé à court terme.
Les premiers mots de l'urologue qui avait procédé à ces analyses, furent des mots ressentis comme d'une grande brutalité, « On doit vous opérer pour une prostatectomie radicale, trois mois d'incontinence urinaire puis cela diminuera, pour la sexualité c'est fini, mais des injections d'EDEX pourront pallier. Décidez vite, on peut encore vous soigner ».
Cinquante ans c'est jeune, pas seulement parce que les enfants ne sont pas encore des adultes autonomes, mais parce que perdre sa masculinité c'est jugé impossible.
Vivant peut-être mais comment ? Et si la sexualité était pour moi comme pour beaucoup, une part importante de la représentation sociale intimement partagée, elle ne devait pas être rayée d'un coup de bistouri. Cela m'apparaissait très cher payé.
J'ai donc choisi de consulter un autre chirurgien urologue, un autre avis, pas sur l'état des lieux, il était fait, mais sur la méthode choisie pour agir.
Et j'ai négocié avec ce second chirurgien-urologue pour: garder la vie, assurer l'étanchéité tout de suite et promettre une sexualité possible ensuite.
La suite m'a donné raison. Il n'y a pas qu'une méthode, qu'une procédure, certes l'opération est plus difficile à conduire, plus longue aussi, l'équipe et le plateau technique ne sont pas les mêmes, mais le prix payé fait le résultat.
3 - Quel a été l’impact de la maladie sur votre vie quotidienne ?
Entouré de ma compagne et des enfants, j'ai été "cash" avec eux, la situation était grave, nous étions fin juillet, si l'intervention ne réussissait pas, je ne serai plus là à Noël, mais elle devait réussir parce que je ne voulais pas céder devant ce combat à tenir.
J'ai décidé de passer quelques jours de vacances avec ma petite famille pour être en forme et puis je me suis fait opérer par le Professeur A Méjean à Necker, les premiers jours de septembre.
C'est très difficile de décider d'accepter cette petite "castration" qui est le prix à payer pour rester vivant. Et c'est un choix qu'il ne faut pas prendre trop vite sous le coup de l'émotion.
Pendant le mois qui suivi l'opération, j'ai vécu un épuisement tel que je dormais 18 heures par jour, des injections quotidienne préventives contre l'éventuelle survenue d'une phlébite et une incontinence résiduelle à chaque effort pendant deux semaines. Puis le retour à la normale et cinq à six semaines après avoir été opéré je me suis remis au travail.
4 - Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre traitement et ses résultats ?
A compter de la quatrième semaine j'ai utilisé du Cialis un jour sur deux (avec une légère masturbation), non pour reprendre une activité sexuelle, mais pour forcer à la reconstruction des nerfs érecteurs responsables de l'érection. Si après un traumatisme de cet ordre les corps caverneux de la verge ne sont pas stimulés par des engorgements sanguins, ils vont progressivement s'atrophier et ce sera sans retour possible. Puis ensuite quelques injections d'EDEX pour provoquer l'érection. Ce sont les seuls traitements qui m'ont été imposés, pas de chimiothérapie, pas de radiothérapie non plus. Nous avions fait le pari que tout avait été enlevé et qu'il n'y avait pas eu de migration de métastases.
5 - Vous avez écrit un livre "L'Homme est oxydable", qui parle de votre expérience avec la maladie. Qu’est-ce qui vous a incité à l’écrire ?
Ecrire le livre " L'homme est oxydable " s'est imposé assez vite, pour témoigner et donner espoir à tous ceux qui comme moi se croyaient en bonne santé, libre et amoureux et totalement inoxydable, pour les inviter au dépistage au plus tôt même sans raison apparente. C'était aussi pour éclaire les hommes et leurs femmes compagnes ou amies, sur la nécessité de consulter plusieurs médecins spécialistes, avant de décider. Et surtout de négocier avec l'équipe médicale pour préserver aussi cette fonction sexuelle qui participe si bien à la représentation de soi dans l'affirmation de notre masculinité.
6 - L’écriture de votre livre vous a-t-elle permis de mieux comprendre et d’accepter plus facilement votre maladie ?
L'écriture est salvatrice, c'est souvent ce que l'on entend, c'est en partie vrai.
Je suis quelqu'un qui parle, qui utilise les mots tous les jours, avec les autres, pour les guider et les aider à dire. Alors les écrire était assez facile, surtout parce que je souhaitais que la lecture de ce livre, éclaire ceux qui doutent et fasse du bien et rassure ceux qui ont peur.
7 - Quels sont vos prochains projets ?
Ayant rencontré plusieurs personnes et notamment des femmes qui étaient très craintives à l'idée de se découvrir un jour un cancer du sein, de l'utérus ou des ovaires et qui préféraient vivre dans une sorte de déni.
C'est pourquoi je travaille à l'écriture d'un autre livre, pour celles et ceux qui sont dans cette peur devant l'idée de la découverte d'un cancer. Les raisons de ne pas vouloir savoir sont souvent telles, qu'elles conduisent immanquablement à laisser passer le temps, jusqu'à la découverte d'une situation bien trop avancée pour que la médecine puisse intervenir sereinement.
Ne pas avoir peur de savoir, c'est décupler les chances de bons résultats, s'il devait être avéré qu'un cancer soit en développement.
8 - Quels conseils pouvez-vous donner aux personnes atteintes du cancer de la prostate pour bien vivre avec cette pathologie ?
Bien vivre avec cette pathologie, c'est certainement l'affaire de chacun, pourtant garder en tête que "la fin" n'est pas automatiquement programmée par ce type de cancer est une vérité, et qu'il dépend beaucoup de la volonté de ne rien changer à sa façon de vivre, pour aider l'organisme même blessé à résister durablement. Les rémissions sur de longues années sont de plus en plus constatées et les guérisons totales sont en augmentation.
Il faut y croire. Et sur les dommages collatéraux, là non plus il ne faut pas céder. L'amour et la sexualité sont de vastes terrains d'échange. L'imagination fait le reste.
9 - Quel est votre message aux membres de Carenity ?
A tous les membres de Carenity qui sont inquiets, qui craignent pour la suite et qui souffrent de ces pathologies dévastatrices, je leur dis parlez. Ecrivez vous aussi, dites ce qui vous retient et ce qui cède parfois. Les mots des autres sont aussi des petites thérapies pour parler de ces maux qui rongent le corps et l'esprit.
Bon courage à tous !
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