Anorexie mentale : “J’ai toujours été dans les extrêmes !”
Publié le 11 août 2021 • Par Candice Salomé
kurousa, membre de la communauté Carenity en France, est atteinte d’anorexie mentale. Entre privations, sport à l’extrême et hospitalisation, elle nous partage son parcours face à la maladie.
Découvrez vite son témoignage !
Bonjour kurousa, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
Bonjour, merci de m’accorder la possibilité de vous témoigner mon parcours.
Je m’appelle Sabrina, j’ai 28 ans et je suis en couple depuis 9 ans. Je vis avec mon conjoint depuis le début de notre relation.
Issue d’une fratrie de 3 enfants (une sœur et un frère, plus âgés que moi), je suis partie rapidement de la maison (à 18 ans). Ma maman a souffert de plusieurs dépressions (3 dont je me souviens depuis ma naissance). Ses dépressions ont duré de nombreux mois, voire années.
Je suis actuellement comptable dans une entreprise régionale où je m’épanouis pleinement après mon épuisement professionnel (burn-out).
De personnalité très curieuse et dynamique, de nombreuses passions animent mes journées : la nature, le sport (marche, course à pied, yoga…), la moto, la lecture, le piano et surtout passer du temps entre amis ou famille.
Petite, j’étais très timide et j’ai eu beaucoup de peine à m’affirmer mais aujourd’hui, j’ai pris un petit peu confiance en moi. Malgré tout, j’ai constamment besoins d’être rassurée sur mon apparence physique (Est-ce que mon conjoint me trouve jolie ? Aime-t-il mes vêtements, ma coupe de cheveux ?), sur ma personnalité (Suis-je ennuyeuse, tout le temps en train de me plaindre ? Suis-je marrante, attachante ou autre ?) et sur ma façon de manger (Ai-je assez mangé ou trop ? Ai-je mangé trop vite ? Ai-je mangé suffisamment sainement ?).
Vous êtes atteinte d’anorexie. Pourriez-vous nous dire comment la maladie s’est-elle manifestée dans votre vie ? Depuis combien de temps en souffrez-vous ? A quoi est-ce lié selon vous ?
J’ai été diagnostiquée anorexique mentale en avril 2020 (à 26 ans) à la suite d’un simple contrôle chez le médecin pour des douleurs dans une jambe (douleurs liées à l’anorexie).
La maladie s’est manifestée petit à petit à la suite de différents problèmes. La cause réelle, je ne la connais pas mais j’imagine qu’il s’agit d’un mix entre la crise sanitaire, une dépression de ma maman durant cette période, des projets de changement de travail (responsabilités trop importantes dues à la fusion de 2 entreprises) et d’achat d’un bien immobilier.
Mon métier de rêve depuis aussi longtemps que je m’en rappelle était policière. Quand on m’a annoncé les changements de tâches et de fonction dans l’entreprise dans laquelle je travaillais depuis plusieurs années, je me suis décidée à tout mettre en œuvre afin de me préparer aux tests physiques pour rentrer à l’Académie de Police.
Ayant toujours été dans les extrêmes (tout ou rien), je ne sais pas vraiment m’imposer de limites. Quand je me lance dans un projet, c’est du 1000 % ou rien.
Je pratiquais la course à pied, la musculation et j’étais même suivie par un coach sportif 1h par semaine afin de m’y préparer.
Petite et adolescente, j’avais horreur du sport mais après avoir terminé ma formation de comptable, je me suis lancée un défi sportif : une course amateur organisée dans ma région pour les entreprises. La première fois qu’on s’est entrainé avec mes collègues (tous plus âgés que moi), mon niveau était de loin le plus mauvais. J’ai donc décidé de m’entrainer également toute seule les autres jours de la semaine.
Assez rapidement, mon endurance s’est améliorée et je me suis rendu compte que les portes de l’Académie de Police ne me seraient plus fermées pour longtemps et qu’avec ma volonté je pourrai arriver à accomplir tous mes rêves.
Puis, rapidement, j’ai perdu les quelques kilos superflus puis j’ai décidé de m’alimenter mieux (plus sainement, moins de sucre, moins de sel, moins de gras) jusqu’à exclure de nombreux aliments de mon quotidien. Mon entourage a commencé à remarquer ma perte de poids et m’en a féliciter.
Plutôt faible psychiquement à cette époque de ma vie, j’ai « volontairement » décidé de devenir anorexique. En perdant du poids, je me suis dit que c’était un bon moyen pour qu’on me remarque (pour une fois dans ma vie, je n’étais plus invisible mais j’attirais l’attention sur moi), qu’on prenne soin de moi (après avoir pris soin de ma maman, j’avais besoin qu’on s’occupe de moi) et c’était un moyen de montrer que mon activité professionnelle ne se passait pas bien (je rêvais d’avoir un malaise – ça m’arrivait parfois la nuit de tomber dans les pommes en me rendant aux toilettes - sur mon lieu de travail ou pire d’avoir mon cœur qui s’arrête durant la nuit pour arrêter ces souffrances indescriptibles).
L’anorexie a duré environ 1 année au total, enfin la phase la plus dangereuse et critique. Je pense être enfin guérie même si la question de la nourriture et des quantités ingérées me taraudera toute ma vie certainement. Je tiens à préciser que je n’ai heureusement pas souffert de dysmorphophobie. Je me voyais bel et bien comme j’étais et c’est la vision de mon corps si faible qui m’a poussé à m’en sortir car je me dégouttais.
Quelle est votre prise en charge actuelle ? Êtes-vous suivie ? Que pensez-vous de cette prise en charge ? Qu’aimeriez-vous améliorer ?
J’ai été rapidement suivie par mon médecin généraliste qui m’a renvoyée auprès d’une psychiatre. Cette dernière me suit mensuellement. Je participe à des séances avec elle où on fait le point sur ma vie privée, professionnelle, la nourriture, le sommeil, l’humeur et surtout mon ressenti général. Elle m’a prescrit, en début d’année 2021, un antidépresseur que j’ingère tous les matins.
Parfois, je me demande si un suivi psychologique ne serait pas plus adapté. J’ai un peu honte mais les psychologues ne sont pas remboursés par la caisse maladie alors je n’ai pas pris de rendez-vous.
Avez-vous déjà été hospitalisée ? Si oui, qu’est-ce que cela vous a-t-il apportée ?
Ma psychiatre, après plusieurs mois de suivi, m’a proposé de me faire hospitaliser dans une clinique de réadaptation. De mon côté, j’étais contente car je souhaitais qu’on prenne soin de moi. Mon entourage, quant à lui, était plutôt sceptique.
Après quelques jours de réflexion, je décidais d’accorder ma confiance en ma psychiatre et acceptais l’hospitalisation, d’autant plus que ma maman avait séjourné dans la même clinique. J'y suis restée de fin février 2021 à fin mars 2021.
L’hospitalisation m’a appris à appliquer des techniques de respiration et relaxation. J’étais suivie par un psychologue et participais quotidiennement à des séances de physiothérapie (relaxation, massages, marches, pilates, qi qong…). Je participais également à des séances d’ergothérapies et rencontrais une diététicienne chaque semaine. Hebdomadairement, une séance était organisée avec les médecins de la clinique afin de faire le point sur mon hospitalisation.
Ce qui était particulièrement difficile pour moi était de manger seule dans ma chambre (dû à la crise sanitaire) et de sélectionner moi-même mes menus (3 au choix).
Cependant, je me suis promis de manger tout ce qu’on me donnait sans reproduire mes habitudes de diviser mes plats, sélectionner les repas les plus sains et refuser de manger certains aliments. Je souhaiterais préciser que j’ai toujours adoré manger. Même durant mon anorexie mais je me forçais à manger de moins en moins pour me prouver que je gardais le contrôle sur ce que je mangeais (enfin, j’avais l’impression d’avoir le contrôle mais en réalité, j’avais complètement perdu le contrôle).
Quel est l’impact de l’anorexie sur votre vie privée et professionnelle ?
J’ai rapidement laissé tomber tous mes hobbys. Plus rien ne me procurait du plaisir et je n’avais plus le « droit » d’avoir du plaisir dans quoi que ce soit, je me l’interdisais.
Une copine qui souffrait également d’anorexie m’a parlé d’anesthésie de sa vie. Je ne comprenais pas cette expression. Aujourd’hui, ayant repris goût à la vie, je saisis pleinement cette phrase.
Au travail, je me mettais à l’écart de mes collègues, je ne prenais plus de pauses avec eux. Plusieurs chefs de service (le directeur également) se sont inquiétés et m’ont convoquée individuellement pour en parler. Rapidement, je ne suivais plus le rythme et me « tuais » en faisant des heures supplémentaires à n’en plus finir.
Mon conjoint a vécu mes crises de nerfs à répétition mais il est toujours là aujourd’hui et je ne saurais jamais comment le remercier de m’avoir soutenue.
Ma famille s’est également beaucoup inquiétée pour moi et m’a aidée à me relever. C’est grâce à ma maman que j’ai pris conscience que je ne pourrais plus travailler pendant quelques temps. Un beau jour, en pleurs au bureau, elle est venue me chercher et à pris contact avec le médecin car je n’osais pas le faire. Pour moi, je n’étais pas vraiment malade.
Dans ma tête, une maladie psychique n’est pas une vraie maladie et je ne me sentais pas suffisamment mal à mon goût alors que j’étais visiblement au plus bas. Elle m’a d’ailleurs très régulièrement rendu visite en clinique ainsi que toute ma famille et mon conjoint.
Quelles sont vos relations avec vos proches ? Comprennent-ils la maladie ? Vous soutiennent-ils ?
J’ai eu la chance de rencontrer des personnes incroyables lors de mon arrêt maladie avec qui je suis très souvent en contact et on se soutient mutuellement dans les épreuves de chacun. Mes proches ont bien compris la maladie (bien avant moi). Ils ont toujours été d’un énorme soutien et sans eux, j’aurais baissé définitivement les bras.
Vous avez également connu le burnout. Pourriez-vous nous parler des circonstances ? Quelles ont été les conséquences de votre burnout ?
A la suite de la fusion des 2 entreprises, ma fonction a changé et j’étais chargée de responsabilités bien plus importantes. L’organisation devant se mettre en place, il a été difficile pour moi (qui aime être prise par la main et supervisée) de trouver un équilibre entre vie privée et vie professionnelle. D’ailleurs, ma vie privée a été, selon moi, mise entre parenthèses durant cette année 2020 et le début d’année 2021.
Selon vous, l’anorexie et votre burnout ont-ils un lien ?
Pour moi, les deux sont étroitement liés même s’il est parfois difficile de trouver un lien de cause à effet. Les maladies psychiques sont très complexes. Cependant, un des symptômes de l’anorexie chez certaines personnes est l’hyperactivité. Autant dans ma vie privée (sport excessif) que dans ma vie professionnelle, j’essayais de me dépasser pour accomplir le plus de tâches possibles (au détriment de la qualité) et d’enchaîner des heures à n’en plus finir jusqu’au point de rupture.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Le principal projet, est de terminer les rénovations de notre appartement avec mon conjoint, de m’épanouir encore plus dans mon travail quotidien. Lors de mon retour de clinique, j’ai postulé dans plusieurs entreprises. Mes candidatures ont débouché sur plusieurs entretiens et 2 réponses positives (ce qui m’a redonné confiance en moi).
Une entreprise qui m’a proposé un contrat souhaitait une réponse très rapide et je n’avais pas encore recommencé à travailler (j’étais persuadée que je ne serai pas capable de retourner dans mon entreprise).
J’ai demandé une séance avec mes 2 supérieurs afin de leur exposer la situation et leur demander si un changement était envisageable. Ils m’ont affirmé que mon contrat serait modifié et que je serai déchargée des responsabilités qui m’ont amenées dans cet état.
Ainsi, j’ai refusé le poste dans la nouvelle entreprise et j’ai recommencé à travailler. Tout se passe bien pour moi à ce niveau-là aujourd’hui, quelques mois seulement après l’arrêt de travail.
Je tiens à préciser que, durant mon arrêt de travail, qui a duré 3 mois, il ne s’est pas passé 1 minute sans que je pense au travail et sens ressentir ma cage thoracique se resserrer jusqu’à une à deux semaines avant le retour à la vie normale.
Aujourd’hui, je veux profiter de la vie en général et reprendre les activités que j’ai laissé tomber.
Enfin, quels conseils pourriez-vous donner aux membres Carenity également touchés par l’anorexie ou ayant connu un burnout ?
Un conseil serait d’en parler. Il est important d’ouvrir la discussion car énormément de personnes sont touchées par les maladies psychiques en général. Chacun a subi ou connait une personne qui en a souffert. En cas de moindre doute, n’hésitez pas à consulter un professionnel de la santé et n’ayez aucune honte. Je suis de tout cœur avec vous et me tiens à disposition si vous souhaitez en discuter.
Particulièrement au sujet du burn-out (ou plutôt de mon côté, ça a été considéré comme épuisement professionnel), le travail n’est pas une priorité ! Votre vie privée et surtout votre santé priment dans tous les cas.
Un dernier mot ?
Merci de laisser la possibilité à chaque personne de partager son parcours. J’espère avoir été claire et n’avoir pas omis de détails. Cependant, je tiens à préciser que lors de mon anorexie, j’ai l’impression que ce n’était pas moi qui ai vécu cet épisode (que je considère comme incident de parcours ou crise d’adolescence en retard d’une dizaine d’années mais que je ne regrette en aucun cas car j’ai appris énormément de choses et aujourd’hui j’essaie de faire le nécessaire pour me ménager). Beaucoup d’éléments ne me reviennent pas nécessairement en tête. Au final, j’en garde que le positif.
Un grand merci à kurousa pour son témoignage !
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