Douleurs neuropathiques : “Le dessin me permet de me décentrer de la douleur et de l’apprivoiser.”
Publié le 12 avr. 2023 • Par Candice Salomé
Cyrielle, dite Ink_douleur sur les réseaux sociaux, est atteinte de douleurs neuropathiques qui font suite à un accident de la route subi en 2020. Les douleurs se manifestent sous diverses sensations telles que des brûlures, des décharges électriques ou encore des fourmillements et ne la quittent jamais. Cyrielle a dû repenser son quotidien autour de ces nouvelles limites. Actrice de sa maladie, elle s’implique désormais auprès des patients : elle a écrit un livre, s’implique au sein de l’association AFVD et est devenue patiente intervenante. Elle se livre dans son témoignage pour Carenity.
Découvrez vite son histoire !
Bonjour, Cyrielle, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
J’ai 29 ans, je vis en Île-de-France.
Dans ma vie d’avant, j’étais architecte. Aujourd’hui, j’essaye de me reconstruire à plein temps. J’ai la chance d’être soutenu par mon mari et mes proches.
J’ai toujours aimé dessiner et lire. Je me suis lancé en autodidacte sur les réseaux sociaux en octobre 2021 sous le pseudonyme @ink_douleur. Cette initiative m’a permis de réaliser un rêve. Depuis fin février 2023, mon premier ouvrage intitulé “Vivre avec une douleur chronique - Une colocataire invisible” est disponible en librairie aux éditions Mango.
Même si je dessine principalement en noir et blanc, j’adore les couleurs. J’ai aussi un penchant pour la pop culture. Elle se glisse souvent dans mes créations.
Je suis formée et certifiée à l’éducation thérapeutique du patient et au rôle de patient intervenant.
Vous êtes atteintes de douleurs neuropathiques. Pourriez-vous nous dire quelles sont les manifestations de cette pathologie ? Quel est l’impact des douleurs neuropathiques sur votre quotidien ? À quels nouveaux défis êtes-vous confrontée ?
Chez moi, les douleurs neuropathiques se manifestent par une sensation de lacérations, de brûlure permanente, des décharges électriques, des fourmillements et une hypersensibilité au toucher (allodynie). Le moindre frottement de la zone douloureuse est violent.
Elles sont présentes en permanence et ont impacté toutes les sphères de ma vie : sociale, professionnelle et personnelle.
Elles vont influencer mon sommeil et en conséquence ma concentration et mon humeur. De plus, elles impactent ma capacité à marcher, à réaliser certains gestes du quotidien, à rester assise, à prendre les transports et j’ai même ajusté ma façon de me vêtir.
J’ai dû repenser mon quotidien autour de ces nouvelles limites. II m’a été nécessaire d’apprendre à écouter mon corps et ne pas lutter contre, mais faire avec. Cela demande du temps, beaucoup d’énergie, une prise en charge médicale globale pour retrouver un équilibre. Je bénéficie, depuis quelques mois, d’un neurostimulateur implanté. Il m’apporte un peu plus de confort.
Les douleurs neuropathiques font suite à un accident de la route que vous avez subi en 2020. Pourriez-vous nous en dire plus ? Quelle a été votre prise en charge à ce moment-là ? Quels examens avez-vous dû passer ?
Les douleurs neuropathiques sont arrivées dans ma vie brutalement. À la suite d’un accident de la route, j’ai été immédiatement prise en charge à l’hôpital. Les imageries ont révélé un tassement vertébral (fracture d’une vertèbre) qui nécessitait une intervention chirurgicale. Depuis cet événement, et malgré l’opération, la douleur ne m’a pas quitté. Elle est devenue une colocataire invisible, mais omniprésente.
Il n’existe pas d’appareil, de prise de sang ou d’imagerie pour mesurer l’intensité de la douleur. La douleur s’éprouve. En revanche, cet antécédent et les sensations étranges voire déroutantes que je décrivais ont permis rapidement d’identifier le type de douleurs chroniques qui m’accompagnent. Je n’ai pas connu d’errance médicale.
Avez-vous été satisfaite de votre prise en charge suite à votre accident de la route ? Quel est votre suivi médical actuel ? Quels sont vos traitements ? Qu’en pensez-vous ?
Après les premiers mois de désarroi, je me suis documentée et j’ai, petit à petit, monté mon équipe de soignants. Telle une équipe de sportif, il faut faire appel aux compétences de chacun pour résoudre au mieux le problème.
Je me sens extrêmement chanceuse d’avoir pu bénéficier de la prise en charge que j’ai eue. Je fais partie des 3 % de personnes qui vivent avec des douleurs chroniques et qui sont prises en charge dans un Centre d’Évaluation et de Traitement de la Douleur (CETD). Cette structure m’a donné accès à de nombreux traitements médicamenteux ou non. Mes douleurs neuropathiques sont qualifiées de « rebelles ». À ce jour, la neurostimulation est ce qui m’apporte le plus de soulagement, même s’il est partiel.
La santé mentale reste un sujet tabou dans notre société. La persistance des douleurs est usante. Pourtant, sans remettre en cause l’existence des douleurs, les émotions peuvent amplifier les sensations physiques. J’ai rapidement décidé de faire une psychothérapie pour essayer de me donner toutes les chances d’aller vers un mieux-être.
Pour compléter ces traitements, la kinésithérapie m’a permis de rester en mouvement et de bouger à la hauteur de mes capacités.
Enfin, j’ai été initié à l’autohypnose. C’est un outil qui m’accompagne au quotidien en plus du dessin !
Durant mon parcours, j’ai découvert la charge mentale et l’énergie nécessaire à la mise en place d’un suivi. Les douleurs chroniques nécessitent une prise en charge globale qui n’est pas évidente à mettre en œuvre. Heureusement, j’ai fini par faire la rencontre de soignants tout à fait bienveillants, à l’écoute. Merci à eux, ils font toute la différence.
Vous êtes l’auteur du livre « Vivre avec une douleur chronique - Une colocataire invisible » publié le 24 février 2023. Qu’y abordez-vous ? Pourquoi avoir décidé de partager votre parcours au travers de ce livre ?
Après plus de deux années de colocation avec des douleurs neuropathiques, je me suis rendu compte que peu d’ouvrages étaient accessibles sur ce sujet pour le grand public. Coûte que coûte, j’ai été à la recherche d’informations pour devenir actrice de ma santé.
La compréhension des mécanismes de la douleur m’a permis de mieux accepter ce que je traversais. J’ai développé de solides connaissances sur la douleur et la maladie et j’ai pris petit à petit du recul sur mon vécu avec l’envie grandissante d’aider. J’ai décidé d’entreprendre l’écriture de cet ouvrage, entre guide pratique et témoignage illustré, en collaboration avec le docteur Marc Lévêque et la psychologue Danaë Holler, afin de poursuivre mon travail de vulgarisation et de sensibilisation.
Les éditions Mango m’ont permis de prendre la parole en tant que patiente et de former un trinôme avec des professionnels spécialisés de la douleur chronique. Chaque point de vue est au même niveau et cela véhicule un message fort. La relation patient et soignants doit être une alliance thérapeutique, un partenariat. Les patients développent une connaissance de leur pathologie qui a de la valeur.
Cet ouvrage présente ce que sont les douleurs chroniques, comment elles sont diagnostiquées et soignées. Il regroupe également des conseils pour mieux vivre avec au quotidien. Ce livre se veut source d’information, tout en étant réconfortant.
Il se dégage des illustrations une vérité dont on peut se sentir proche. J'aborde le handicap et la maladie chronique en partageant mon expérience avec humour et bienveillance. Je pense que mon livre est porteur d’espoir. Il montre qu’on peut mieux vivre avec une douleur chronique même si c’est un challenge. J’espère que mon témoignage permettra à d’autres de devenir acteur de leur santé.
Il s’agit d’un livre illustré par vos soins. On retrouve également beaucoup de vos illustrations sur votre compte Instagram @Ink_Douleur. Que dessinez-vous ? Quels bénéfices tirez-vous du fait de partager votre parcours face à la maladie au travers de ces illustrations ? Quels sont les retours de vos abonnés ?
Le dessin a fait partie de mes outils pour me décentrer de la douleur et pour l’apprivoiser. À l’origine du compte Instagram, il y a plusieurs exercices thérapeutiques qui m’ont portée beaucoup plus loin que ce que j’aurais imaginé. Illustrer me permet d’extérioriser ce qui se passe en moi : doutes, peurs, angoisses, injonctions. C’est une ressource personnelle qui m’aide beaucoup.
Toujours avec douceur et humour, je souhaite soutenir et répondre aux questions des personnes qui souffrent et à leur entourage. Je base mes publications sur mon expérience de patiente et mes recherches personnelles. J’ai un penchant pour « la culture Geek » et je m’appuie dessus pour produire tous les samedis une parodie déculpabilisante. Mes posts hebdomadaires sont tirés de mon journal de bord que j’ai débuté 6 mois après mon accident.
C’est très enrichissant de partager mon parcours. J’ai été surprise par l’accueil qu’on m’a réservé sur Instagram. J’ai été énormément encouragée. Je reçois quotidiennement des messages pour me dire que, grâce à mes publications, mes abonnés se sentent un peu moins seuls. Certains utilisent mes illustrations pour communiquer avec leurs proches sur ce qu’ils vivent. Ces échanges donnent du sens à ce que j’ai traversé. J’en suis extrêmement reconnaissante.
Vous êtes « Patiente Experte ». Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste ce statut ? Quel est votre rôle auprès des patients également touchés par la douleur chronique ?
Je préfère le terme ”patiente intervenante”, car je ne suis experte que de mes propres douleurs. C’est un rôle très gratifiant, car il donne du sens à ce que j’ai vécu.
Après une formation de 40 h, je peux maintenant accueillir, au sein d’une structure, un patient pour faire un bilan de toutes les compétences qu’il a acquises et voir ensemble quels pourraient être ses besoins pour lui permettre de mieux gérer ses douleurs au quotidien. Je peux être amenée à participer à l’élaboration d’outils pour améliorer la prise en charge des patients, à organiser et à diriger des séances d’éducation thérapeutique sur un thème tel que les traitements non médicamenteux.
Mon rôle est de rassurer le patient, de l’écouter et de répondre à ses questions à la lumière de ce que j’ai vécu. Je ne remplace en aucun cas les soignants.
Vous êtes patiente intervenante au sein de l’Association Francophone pour Vaincre ses Douleurs (AFVD). En quoi consistent vos interventions ? Quels bénéfices les patients peuvent tirer de celles-ci ?
J’ai la joie de faire partie de l’AFVD et d’intervenir avec d’autres bénévoles dans les Cafés Zoom sur la neurostimulation. De manière générale, ce sont des moments de partage et de discussions entre patients autour d’un thème qui nous concerne. L’objectif de ces rencontres virtuelles est de rompre la solitude dans laquelle nous plongent souvent nos douleurs. C’est également l’opportunité de parler de ses expériences et d’avoir des informations utiles sur des sujets importants.
Les personnes qui participent à ces ateliers partagent un moment d’échange avec des personnes qui les comprennent. Je pense pouvoir dire que c’est apaisant et rassurant.
L’association mène d’autres actions (ETP, sensibilisation en milieu professionnel…) à retrouver sur son site internet ou sur les réseaux sociaux (Instagram, Facebook, Twitter, LinkedIn).
Selon vous, comment la prise en charge de la douleur chronique peut-elle être améliorée ?
Nous sommes 12 millions en France à vivre avec des douleurs chroniques. La prise en charge de ces douleurs est un sujet de société. Malgré l’évolution et les progrès de la médecine, il y a des facteurs qui sont pourvoyeurs de douleurs tels que le vieillissement ou la sédentarité qui font que cette population risque de s’accroître à l’avenir.
Depuis 1998, trois plans successifs ont posé le cadre de la prise en charge de la douleur. Ils ont, par exemple, permis un maillage territorial avec des structures douleurs réparties dans les régions (273 CETD).
Aujourd'hui, les CETD sont déjà saturés, beaucoup de patients font face à une errance médicale et 70 % des personnes avec des douleurs chroniques ne reçoivent pas de traitement adapté.
Toutefois, depuis 2013, aucun plan, aucun programme, aucune action gouvernementale n’a été mis en œuvre autour de la douleur. Il y a un désintérêt politique inquiétant qui impacte directement les personnes souffrant de douleurs chroniques : délais longs et offre insuffisante. Je m’interroge sur la pérennité de ces structures uniques en Europe.
Je suis également préoccupée par la carence de médecins de la douleur. Actuellement, l’algologie (médecine de la douleur), n’est pas reconnue comme une spécialité. C’est une filière peu attractive à laquelle s’ajoute un manque de moyens humains, matériels et organisationnels… De plus, en dehors de cette filière, la douleur est très peu enseignée pendant les études de médecine et mériterait plus d’attention quand on sait que c’est le motif des deux tiers des consultations médicales. Les préjugés sur la douleur sont encore trop nombreux et pénalisent certains patients.
Enfin, l’éducation thérapeutique est trop peu présente dans les parcours des patients. C’est souvent pour des questions de moyens et c’est bien dommage à mon sens.
Dans ce tableau assez sombre, il y a, heureusement, des associations de patients, comme l’AFVD, qui réalisent des actions de sensibilisation et portent la voix des patients auprès des institutions et des pouvoirs publics.
Enfin, que conseilleriez-vous aux membres Carenity également touchés par les douleurs chroniques ?
Je les inviterais à ne pas rester seuls et à se rapprocher d’une association ou d’un groupe de patients qui leur permette d’échanger sur ce qu’ils vivent.
Je leur conseille également de s’appuyer sur leurs ressources personnelles pour essayer de mieux vivre avec les douleurs chroniques.
Évidemment, je les incite à se documenter sur ce qu’ils traversent pour qu’ils soient acteurs de leur santé.
Un dernier mot ?
Toutes les douleurs sont légitimes. Cohabiter avec elles est un défi, mais l’amélioration de votre qualité de vie est possible. Prenez soin de vous.
6 commentaires
Vous aimerez aussi
Fibromyalgie : “Vous n’avez pas moins de valeur car vous êtes malade.”
8 févr. 2023 • 11 commentaires