AVC : “J'ai eu mon AVC à 30 ans, dans un vol long-courrier Cambodge-Paris.”
Publié le 29 oct. 2024 • Par Candice Salomé
Sophany est une jeune femme âgée de 32 ans qui aime croquer la vie à pleine dents, entre gastronomie et voyages. En 2022, alors qu’elle rentre de son voyage au Cambodge, elle est prise de nombreux symptômes : incapacité à déglutir, visage déformé, trouble de la parole et vertiges sévères. L’équipage, ainsi que des médecins à bord de l’avion, penchent pour une allergie.
Dès son arrivée à l’aéroport de Paris, elle est prise en charge mais, à nouveau, on lui décèle une allergie. Ce n’est que 24 heures plus tard, aux urgences où elle a dû se rendre par ses propres moyens, qu’on lui diagnostique un AVC.
Depuis, Sophany se donne pour mission de sensibiliser au maximum sur les nombreux symptômes de l’AVC mais aussi sur le fait que cela peut arriver à tout âge, même aux plus jeunes !
Découvrez vite son histoire !
Bonjour Sophany, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d'abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
Je m'appelle Sophany, j'ai 32 ans et je vis à Paris avec mon conjoint (et mon chat).
Une bonne partie de ma famille est en France et l'autre est au Cambodge, le pays d'origine de mes parents que je visite plutôt régulièrement.
Je suis une épicurienne et surtout une grande gastronome : j'adore la bonne cuisine, les bons vins, les longs repas et les beaux voyages rythmés (et surtout déterminés) par les restaurants. J'aime la fête, les rencontres et les connexions avec mes amis, mais j'ai également un grand côté casanier.
Je ne crains pas la solitude, j'en ai même besoin pour recharger mes batteries sociales, me ressourcer, apprendre, développer ma créativité. Je me suis d'ailleurs découvert une passion pour l'argile autodurcissante, qui occupe une grande partie de mon quotidien.
Niveau santé, je n'avais jamais eu de problème majeur jusqu'à présent. J'ai été sportive pendant de nombreuses années (gymnastique artistique en compétition) et bien qu'aujourd'hui, je ne pratique plus de sport hormis la marche et le yoga, je ne suis pas du tout sédentaire.
Quant à mon parcours professionnel, j'ai travaillé plus de dix ans en tant que Responsable Marketing et Communication. Depuis mon AVC, j'ai quitté mon poste afin de me ressourcer en me concentrant essentiellement sur ma santé et mes passions.
Vous avez fait un AVC à 30 ans. Pourriez-vous nous parler des symptômes ressentis ?
Le jour de mon AVC, soit le 30 septembre 2022, j'ai eu les symptômes suivants :
- Incapacité à déglutir
- Visage déformé / affaissé
- Trouble de la parole
- Vertiges brutaux et sévères
- Perte de l'équilibre
- Inertie du bras gauche
- Jambes engourdies
- Sensibilité à la lumière
Ce sont là tous les symptômes permettant d'identifier un AVC, ceux relayés par les médias et campagnes de prévention. Ils ont pourtant largement tardé à être reconnus : on a posé le diagnostic de l'AVC le lendemain de ces symptômes, en fin de matinée. J'ai donc passé plus de 24 heures en errance médicale !
La veille, j'avais également eu des premiers signes, à savoir des vertiges, des vomissements et une perte d'équilibre. Mais je ne soupçonnais encore rien de grave et penchais plutôt vers une crise de foie ou un virus. Idem pour mon entourage et toutes les personnes qui me sont venues en aide, on était loin de se douter de ce qui se tramait !
Pourriez-vous nous raconter les circonstances dans lesquelles cela s'est produit ? Comment vous, ou les personnes autour de vous, avez réagi ?
J'ai eu mon AVC dans un environnement extrêmement anxiogène : dans un avion, un vol long-courrier Cambodge-Paris (15 heures de vol), à environ deux heures de l'atterrissage.
J'étais en vacances au Cambodge avec mon conjoint, en septembre 2022.
La veille du départ, je me préparais pour profiter de notre dernière journée et brutalement, j'ai été prise de vertiges sévères avec une perte totale d'équilibre. La chambre d'hôtel tournait autour de moi, impossible de tenir debout. Je suis restée alitée toute la journée, alternant entre vertiges et vomissements. A ce moment-là on pensait à une crise de foie, alors sans trop paniquer j'ai attendu que tout se calme.
Le lendemain, les vertiges sont revenus. Ils étaient moins violents mais je ressentais une faiblesse musculaire dans mes jambes qui tremblaient. La pharmacienne m'a donné des médicaments contre la nausée et les vertiges, ainsi qu'une boisson vitaminée.
Je suis montée dans l'avion épuisée mais plutôt sereine, malgré les 15 longues heures de vol qui m'attendaient. La première connexion (2h) s'est bien passée et, sur le second vol (13h), j'ai réussi à me reposer et manger sans problème.
Mais au bout de 11 heures sur le second vol, je me suis réveillée en sursaut : sans précisément comprendre pourquoi, quelque chose n'allait pas. Je n'arrivais plus à avaler ma salive, ma mâchoire et mon cou étaient engourdis et, dans la panique, j'avais cette impression que ma gorge se resserrait et que j'allais m'étouffer. J'ai enjambé (écrasé) ma voisine endormie et j'ai rejoint le personnel navigant. Et là, impossible d'aligner deux mots : paralysie de la bouche, les muscles de ma mâchoire ne répondaient plus, ma langue était engourdie.
L'un des stewards pensait que je faisais une allergie aux médicaments et m'a donné un Doliprane. Mais mon état empirait : ma bouche et mon œil gauche étaient affaissés, et mon visage engourdi. Je savais que c'était plus qu'une allergie.
D'autres membres de l'équipage sont venus nous voir et ont passé un appel en urgence au micro, deux médecins et une infirmière ont répondu. Les trois m'ont auscultée et ont diagnostiqué une allergie. J'ai dû prendre un antihistaminique, non sans difficulté.
Mon état se dégradait encore, une hôtesse m'a alors donné de l'oxygène dans un masque : les vertiges se sont intensifiés brutalement et je ne sentais plus mon bras.
Le personnel de bord s'est alors réuni pour prendre une décision, à savoir m'injecter une seringue d'adrénaline "urgence allergie" directement dans la cuisse. Tous hésitaient, alors l'idée a été (fort heureusement) abandonnée.
Je me sentais à la fois terrifiée et profondément incomprise : je ne faisais pas d'allergie, je le savais. Il restait un peu moins de 2 heures de vol, je regardais les secondes passer et j'étais persuadée que j'allais mourir dans cet avion.
Malgré tout, l'ensemble de l'équipage a été extrêmement bienveillant et, avec du recul, je ne sais pas ce qu'ils auraient pu faire de plus dans le cas où ils auraient identifié un AVC (la nouvelle m'aurait probablement inquiétée davantage).
Quelle a été votre prise en charge ?
Peu de temps avant l'atterrissage, les hôtesses ont appelé le service médical d'urgence de l'aéroport afin qu'une équipe se tienne prête à venir me chercher dans l'avion.
Ils m'ont emmenée voir le médecin urgentiste, à qui j'ai listé tous mes symptômes : visage affaissé, trouble de la parole, déglutition impossible, vertiges, perte d'équilibre, inertie dans le bras et les jambes. Et là encore, ce médecin m'a diagnostiqué une allergie. J'ai dû reprendre un comprimé (toujours aussi difficile à avaler, et dangereux), et j'ai été renvoyée chez moi, totalement dépitée.
Arrivée au pied de mon immeuble, impossible de tenir debout, mes jambes ne répondaient plus du tout. Mon conjoint a dû me porter, j'étais aveuglée par toutes les lumières, aucun meuble ne semblait être à sa place, je n'arrivais pas à porter mon chat. J'avais tellement peur de mourir dans mon sommeil qu'on a appelé le 15, nous avons immédiatement été envoyés aux urgences (par nos propres moyens).
J'ai, dans un premier temps, été reçue aux urgences ORL où l'on m'a examinée via différents examens neurologiques. On les entendait parler entre eux de méningite, infection cérébrale, encéphalite.
On m'a ensuite envoyée, seule cette fois, aux urgences générales, où l'attente était interminable :
- 00h20 : urgences ORL
- 02h10 : urgences générales
- 02h45 : prise de sang
- 04h45 : scanner
- 09h45 : résultats du scanner
- 10h00 : IRM du cerveau
- 10h45 : résultats de l'IRM
La prise en charge a été extrêmement longue.
J'étais seule et j'avais le sentiment de ne pas être prise en charge assez rapidement, que mes minutes étaient comptées. J'avais l'impression que personne ne se rendait compte de la gravité de mon cas et qu'on m'oubliait au milieu de toutes les personnes alcoolisées en dégrisement qui m'entouraient.
Lorsque le neurologue m'a finalement annoncé l'AVC à 10h45, j'étais presque soulagée : on me prenait enfin au sérieux et on allait bien s'occuper de moi.
J'ai donc été admise en soins intensifs dans une unité neurovasculaire où je suis restée une dizaine de jours en grande surveillance. On a recherché l'origine de l'AVC (toujours inconnue à ce jour) à travers de nombreux examens : scanners, échographie, IRM, ETT, ETO etc. Tout allait très vite.
Une fois stabilisée, j'ai rejoint un excellent service de MPR (Médecine Physique et de Réadaptation) où je suis restée plus d'un mois pour ma rééducation : réapprendre à marcher correctement, à retrouver mon équilibre, à être autonome, à diminuer les vertiges, et surtout à réapprendre à déglutir - je suis restée avec une sonde naso-gastrique une vingtaine de jours, on me l'a retirée le 20 octobre (soit le jour de mon anniversaire !).
Les complications post-AVC peuvent être nombreuses. Qu'en est-il pour vous ?
A ce jour, je m'estime assez "chanceuse", par rapport aux conditions extrêmes dans lesquelles mon AVC est arrivé. J'ai eu la chance d'avoir un AVC qui n'a pas fait de gros dégâts permanents, et d'avoir eu une bonne récupération rapidement.
Aujourd'hui sur le plan physique et moteur, les séquelles que j'ai ne sont pas trop lourdes à porter :
- Hémi hypoesthésie droite : toute la partie droite de mon corps est insensible à la température, et moins sensible au toucher que la partie gauche de mon corps,
- Quelques paralysies et syncinésies au visage (petits mouvements parasites),
- Léger trouble de l'équilibre, que je travaille avec un kinésithérapeute,
- Prise de poids due aux médicaments et dérèglements hormonaux (problème de thyroïde).
En revanche, la première année a été difficile sur le plan psychologique.
Au-delà des troubles de l'attention, de la mémoire, de l'humeur et de la fatigue, j'étais surtout terrorisée à l'idée d'avoir un nouvel AVC, et j'ai développé une forte angoisse avec un sentiment permanent de danger imminent.
Toutes mes nuits étaient compliquées, les trajets en voiture ou train également puisqu'ils me rappelaient (inconsciemment) ce voyage. Au moindre vertige, mal-de-tête ou mouvement trop brusque de ma tête, l'angoisse montait instantanément.
Aujourd'hui j'ai appris à vivre avec cette angoisse et à déconstruire mes peurs (très souvent irrationnelles), mais j'ai toujours ce sentiment étrange d'avoir survécu et donc d'avoir "utilisé mon seul joker". Pour cela, je vais prochainement suivre une thérapie EMDR pour m'aider avec ces troubles anxieux.
Quel est votre suivi actuellement ?
En recherchant l'origine de mon AVC j'ai passé de nombreux examens, notamment du cœur. Cela a permis d'identifier une cardiomyopathie (DAVD) de mon ventricule droit, non liée à mon AVC, qui est une maladie génétique à surveiller tout au long de ma vie avec un cardiologue.
Quant à l'AVC, j'ai des rendez-vous réguliers avec un médecin interne, une neurologue, ainsi que des prises de sang régulières. Le moindre nouveau symptôme doit leur être signalé, j'échange librement par mail avec eux lorsque j'ai des doutes.
Pour mes troubles de l'équilibre et vertiges, je fais parfois des séances de kinésithérapie vestibulaire. Et comme je le disais, je souhaite bientôt suivre une thérapie EMDR afin de travailler sur mes troubles anxieux.
Enfin, quels conseils aimeriez-vous donner aux membres Carenity qui ont également été touchés par un AVC ?
Ne vous découragez jamais.
Soyez patients et positifs, chaque petite étape est une victoire !
Etant une grande gastronome, mon problème de déglutition a été difficile à vivre. J'avais une sonde naso-gastrique pour m'alimenter et j'étais très inquiète à l'idée de ne plus pouvoir manger. Alors j'ai célébré le moindre progrès : première salive avalée, première bouchée de gelée à la fraise, premier plateau mixé, première compote, premier plateau solide… jusqu'à la première raclette ! C'est une façon de sentir que l'on bat l'AVC et que l'on revient à sa vie normale petit à petit.
Vous n'êtes pas seuls : et vous ne devez pas rester seuls pour traverser cette épreuve.
Lors de mon hospitalisation, j'étais en contact avec plusieurs autres victimes d'AVC (de tout âge !) et cela fait du bien de partager ses ressentis, avec des personnes qui ne font pas nécessairement partie de votre entourage mais qui vous comprennent.
On ne se connait pas personnellement mais on se sait, ils se reconnaitront s'ils me lisent !
Partager votre combat peut faire du bien : j'ai posté des stories sur mon compte Instagram tous les jours, initialement pour tenir informés mes proches. Finalement, cela m'a permis d'extérioriser, et de prendre du recul et de la hauteur sur tout ce qu’il m'arrivait. Je voulais que tout soit limpide pour mes proches, alors je devais poser plein de questions aux médecins pour ne pas écrire n'importe quoi. Et comme je ne voulais pas inquiéter mes proches, j'ai gardé un ton positif dans toutes mes communications, ce qui m'a aidée à garder un bon mental.
Un dernier mot ?
Ce témoignage n'a évidemment pas pour objectif de pointer du doigt la compagnie aérienne ni même le service urgentiste, je n'accuse personne.
Mais il est important de souligner que tous les symptômes étaient là et qu'ils ont mis beaucoup de temps à être reconnus.
Cela me tenait donc particulièrement à cœur de saisir cette opportunité de partager mon expérience afin de sensibiliser sur les symptômes de l'AVC qui, je le rappelle, touche absolument tous les âges.
L'AVC touche tout le monde, à n'importe quel moment de sa vie, et la meilleure façon de prévenir / prendre en charge tôt, c'est de s'informer soi dès le plus jeune âge et éduquer tous ses proches.
Sachez reconnaitre les symptômes !
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