Je suis anorexique et atteinte d'un cancer, mais j’ai une pêche incroyable
Publié le 22 nov. 2016 • Par Léa Blaszczynski
Claudine souffre d’anorexie depuis l’âge de 18 ans et est atteinte d’un cancer de l’oesophage et de l'estomac.
1 - Bonjour Claudine, pourriez-vous vous présenter ?
J'ai 58 ans et je suis tombée dans l'anorexie à 18 ans, anorexie dont je suis toujours atteinte puisque j'ai même fait un coma ou un AVC le 12 octobre 2012, après une perte de 25 kilos en un an.
Août 1996 m'a provoqué la maladie de Hirschsprung qu'on n'a reconnu que 4 ans plus tard, car ils mettent toujours mes symptômes et mes problèmes sur l'anorexie. Tout ne peut donc qu'être psychologique quand on est anorexique... On ne me prend donc jamais au sérieux.
Finalement, je me suis toujours soignée, détectée très, voire trop tard. Et fatalement, opérée, soignée très tard aussi. Tout s’est alors aggravé.
Je souffre d'incontinence anale sans espoir de guérison, sauf pour le canal carpien. Là, les opérations m'ont délivrée des problèmes et des douleurs.
On m'a mise en invalidité à 30 ans, la chute, l’échec, la honte pour moi. Mais j'ai tout de même, contrairement à leurs pronostics réussi à avoir 2 merveilleuses filles de 24 et 20 ans. Une renaissance. Au moins, mon invalidité m'a permis de m'en occuper.
Même si mes problèmes intestinaux (occlusions, opérations, douleurs, inconforts) m'ont privé de pas mal de choses, hélas.
Mon cancer de l’œsophage et de l'estomac a lui aussi été diagnostiqué très tard puisqu'à leur yeux, mes douleurs et mes blocages étaient psychosomatiques. C'est lors d'une hospitalisation, en me voyant vomir du sang et ne plus pouvoir boire qu'ils ont consenti à me faire une fibroscopie. La tumeur était énorme et pour eux, vu mon état de dénutrition, c'était perdu d'avance, on ne me l'a dit que récemment. Cependant, mon cancer n'est pas dû à mon anorexie. Les médecins n'ont pas su en déterminer les origines, si ce n'est endogèse et exogène.
Mon cancer a été diagnostiqué fin août 2010. Je l'ai appris en réanimation car j'étais tombée dans un état d'inconscience.
J'ai réussi à finir mes 6 mois de chimio avec une sonde de nutrition que j'ai dû avoir 3 ans ! Quelques transfusions ont été nécessaires.
J'étais inopérable et pourtant, ils ont réussi à m'opérer le 6 mai 2011 car j'avais pris les 15 kilos indispensables, hé hé ! J'avais la pêche, le moral et j'étais une battante aussi, car j'en voulais et j'y croyais. Mon moral, mon humour les ont beaucoup surpris.
2 - Comment avez-vous réagi lorsque les médecins vous ont diagnostiqué votre cancer ?
En fait, j'étais presque soulagée mais stupéfaite d'apprendre que j'avais un cancer car au pire, je croyais à un ulcère. Donc pas de panique car j'ai pensé : "Enfin on me croit, on me prend au sérieux, on va me soigner, je sais ce que j'ai et eux aussi !"
Mais j'ai aussi pensé à mes filles : "comment le leur annoncer ? Quelle sera leur réaction ?", car les autres avaient beaucoup plus peur que moi.
3 - Que trouvez-vous le plus difficile à gérer dans votre quotidien ?
Sans hésitation, c'est la douleur. C'est la maladie de Hirschsprung : les douleurs, les blocages alternant avec l'incontinence... N'importe où, n'importe quand. Lorsque je dois me changer entièrement plusieurs fois par nuit, par soirée, par jour. Me changer, je parle bien de vêtements, oui. Et puis même : porter des changes à mon âge…
L'alimentation est un calvaire sur tous les plans : j'ai perdu ma dernière molaire mâcheuse il y a quelques mois, ce qui ne m'aide pas pour mon anorexie. Ma prothèse en haut tient très mal.
Suite à mon cancer, on m'a aussi retiré tout l’estomac. Donc ça passe directement de l’œsophage à un intestin malade... Et manger me shoote. Il m'arrive de rester 24 heures "dans le cirage", après avoir mangé. Comment voulez-vous que je puisse mener une vie normale comme ça ?
Il m'est arrivé de m'endormir la tête dans mon assiette, dans mon bol de soupe.
La sonde que j'ai portée pendant 3 ans, par jéjunostomie à la fin me permettait d’avoir un complément, voir l'essentiel sans être shootée. Mais le chirurgien a refusé de me la reposer lorsqu'aux urgences, pour une fois, ils n'ont pas réussi. Pour lui, l'anorexie est un caprice : je suis inexcusable, impardonnable, monstrueuse.
Alors, le plus dur à gérer ? La non considération, l'incompréhension et le refus d'être soignée par la plupart des médecins. Je dois prouver mes douleurs par des documents : ah bon ? et comment ?
Ce mépris est une insulte qui m'a donné des envies d'en finir, je l'avoue. Et le fait de toucher 630 euros par mois ne me facilite pas la vie.
4 - Comment parvenez-vous à rester forte malgré votre parcours difficile ?
Je dois avoir une formidable rage de vivre. Je prends les choses avec recul, après coup et préfère en rire. J'ai parait-il un humour et une pêche incroyable pour mon état. Et j'ai besoin de me sentir utile pour vivre. D'aider les autres. A quoi bon vivre si on ne sert à rien ?
J’aime, j'adore mes filles, je veux les voir heureuses et pouvoir les soutenir.
J’ai très peur de décevoir et de me décevoir aussi, surtout moi. Pour rendre service, il faut tenir. Pouvoir me "regarder " sans avoir honte de ma lâcheté.
J'ai déjà survécu à tant de maladies, de problèmes, pourquoi, comment ne pas continuer ? Leur prouver qu'ils n'ont pas réussi à me détruire, quoi que certains me promettaient. Prouver à ma mère qu'elle non plus ne m'a pas détruite. Mes amis pourront vous le dire !
5 - Que vous apporte Carenity dans votre quotidien ?
Le plaisir et le réconfort de l’échange. J'y trouve des tas de renseignements et une formidable solidarité. La chaleur est primordiale, pour moi. On s’oublie, on pense aux autres, on s'entraide et on peut même plaisanter !
"Rencontrer" des personnes dans le même cas est "agréable" et réconfortant car on peut voir comment vivre avec. Mais heureusement, personne n'a toutes mes maladies.
6 - Auriez-vous un message à faire passer aux lecteurs et aux autres membres Carenity ?
Ne jamais croire tout ce que disent les médecins. Toujours y croire et se battre en permanence. On a le droit de craquer, d'avoir des baisses de moral et de physique. On a le droit de craquer sans en avoir honte.
Ne surtout pas hésiter à demander de l’aide. Et surtout, qu'on ne doit pas s’isoler, ni se couper des autres, de la vie parce qu'on est malade.
La vie continue malgré tout. Autant qu'elle soit belle non ?
Deux jours avant ma sortie d’hospitalisation après mon coma, j'ai fait le Père Noël et les gens m'en parlent encore. C'est un souvenir mémorable et merveilleux.
Aujourd’hui j'ai remaigri mais ça va...
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