Interview d'expert : découvrir la neuropsychologie (1/3)
Publié le 5 mars 2020 • Mis à jour le 30 juin 2020 • Par Andrea Barcia
Timothée Albasser est neuropsychologue à l’Hôpital d’Hautepierre à Strasbourg. Il a accepté de nous présenter sa discipline et ses impacts pour les patients. À qui cela s'adresse-t-il ? Qu'est-ce qu'une évaluation neuropsychologique ? Les réponses ci-dessous !
Bonjour Timothée Albasser, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste la neuropsychologie ?
La neuropsychologie a pour objet d'étude les perturbations cognitives, émotionnelles et du comportement provoquées par des lésions cérébrales. Ce champ disciplinaire se situe au carrefour de la neurologie, de la psychiatrie, de la psychologie et d'une manière générale, des neurosciences.
De la neurologie, la neuropsychologie garde la référence constante à la lésion cérébrale ou à la désorganisation neurophysiologique qui est responsable des troubles (Cambier et al., 2000). Elle emprunte des concepts à la psychologie pour décrire les comportements. La psychiatrie apporte une lecture des troubles psychopathologiques et des facteurs de comorbidité parfois associés. Les neurosciences donnent un éclairage sur les activités mentales, par exemple, au travers de la neuro-imagerie (imagerie par résonance magnétique (IRM), PET scan).
Selon la position contemporaine de la Société de neuropsychologie de langue française (SNLF), la neuropsychologie traite des relations entre les processus mentaux qui sous-tendent l'activité du cerveau, les fonctions cognitives, le comportement émotionnel, car les atteintes cérébrales retentissent à la fois sur l'efficience cognitive, le fonctionnement émotionnel et les comportements du sujet.
La compétence des psychologues cliniciens spécialisés en neuropsychologie doit reposer sur la connaissance des bases neuronales des comportements, des théories cognitives, des théories du développement du psychisme humain, de son organisation et de ses manifestations normales et pathologiques. Elle nécessite aussi la formation à l'écoute du sujet et de sa famille, dans une approche globale de la situation.
Dans quel cas les patients sont-ils amenés à vous voir ? Peuvent-ils prendre rendez-vous directement ?
Nous sommes amenés à voir tout type de patient rapportant une plainte mnésique ou cognitive en général. Le bilan neuropsychologique va alors pour objectif d’objectiver (ou non) cette plainte et de mettre en lumière la présence d’éventuels troubles cognitifs. Ainsi, toute personne qui a une plainte cognitive peut en parler à son médecin généraliste, qui enverra une demande directement à notre service. En général, le patient est convoqué dans le mois.
Par ailleurs, travaillant au sein d’un hôpital universitaire, je suis en contact direct avec les services de neurologie, de gériatrie, de neuro-vasculaire ou encore de rhumatologie. Ainsi, je vois régulièrement des patients hospitalisés dans ces services, afin de procéder à des évaluations cognitives.
Pourquoi un neuropsychologue et pas un neurologue directement ?
Nous travaillons en étroite collaboration avec les neurologues. Le neuropsychologue est souvent en première ligne et c’est lui qui voit le patient dans un premier temps, à la demande du médecin traitant. Ainsi, le neuropsychologue va recueillir les plaintes du patient et de son entourage, il va partir à la recherche d’éléments décrivant le mode d’installation des troubles, de leur évolution et de leurs répercussions sur la vie quotidienne des patients. Le bilan neuropsychologique va ainsi servir à objectiver (ou non) la présence de troubles cognitifs et va permettre d’établir des hypothèses diagnostiques. Suite à cet examen, le neuropsychologue va être en mesure de proposer une liste d’examens complémentaires le cas échéant (prescription d’IRM, de biologie sanguine, d’examen du sommeil…), afin de préciser l’étiologie des troubles.
C’est seulement après tous ces examens que le patient voit un neurologue. Durant la consultation avec le neurologue, un examen neurologique est également réalisé. A la fin, le neurologue possédera toutes les informations susceptibles de poser un diagnostic sur la provenance des troubles cognitifs du patient. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, l’examen le plus à même de diagnostiquer la maladie est l’étude des biomarqueurs (protéine A béta et Tau), dans le liquide céphalo-rachidien (ponction lombaire).
Concrètement, c’est quoi une évaluation neuropsychologique ?
L’évaluation neuropsychologique peut prendre plusieurs formes. Un bilan neuropsychologique "standard" dure en moyenne 1h30. Les tests neuropsychologiques correspondent, pour la plupart, à des tâches de type "papier-crayon". Certaines tâches sont également réalisées sur ordinateur, notamment en ce qui concerne l’évaluation des capacités attentionnelles. Ces tests sont normés, leur passation est standardisée et les résultats sont interprétables grâce à la comparaison aux normes, obtenus chez des patients appariés en termes d’âge, de sexe et de niveau-socio-culturel.
Comment se déroule cette évaluation ?
Chaque évaluation débute par un entretien clinique préliminaire qui permet d'établir une relation de confiance, au cours duquel le neuropsychologue :
- Explique les objectifs et le contenu de l’examen
- Demande au patient ce qu'il attend de l'examen et tente de dissiper tout malentendu sur l'intérêt du bilan et la fonction du psychologue
- S'informe sur le parcours scolaire et/ou professionnel, les événements de vie personnels et familiaux, les activités de la vie courante, la prise éventuelle de médicaments et la consommation d'alcool et de drogues
- Fait préciser par le patient l'historique des troubles. En effet, même si l'information est accessible dans le dossier médical ou dans les rapports scolaires, il est toujours essentiel de prendre en compte le point de vue subjectif du patient et la manière dont il expose et se représente ses propres difficultés
- Évalue l'état émotionnel, à la recherche d'un syndrome anxieux et dépressif. On explore, aussi, ce qui pourrait affecter le fonctionnement mental durant l'examen (par exemple : un événement de vie récente à fort impact émotionnel tel que la perte de son emploi, un deuil, ou de manière plus anodine, des phénomènes qui peuvent interférer sur la vigilance, comme une insomnie la veille ou encore le fait d'être à jeun. Dans ce dernier cas, les sujets doivent s'alimenter avant l'examen)
- Note la latéralité manuelle (droitier, gaucher ou ambidextre) et le niveau socioculturel du patient. Le niveau culturel nous permet de comparer les résultats avec la norme, en fonction de l'âge et du niveau d'étude. Les normes des épreuves psychométriques figurent dans chaque manuel de batterie de tests. Ainsi, la comparaison entre les résultats obtenus, par un sujet donné, et ceux de sa classe d'âge et d'étude autorise le neuropsychologue expérimenté à discuter leur signification. Cependant, la seule utilisation des tests ne permet pas de poser un diagnostic de certitude.
- Rappelle les règles déontologiques de confidentialité des données de l'examen et de respect des personnes auxquelles le neuropsychologue doit se conformer. En outre, les psychologues qui n'ont jamais fait de stage, ni reçu de formation théorique en neuropsychologie ne sont pas aptes à effectuer une évaluation neuropsychologique. Enfin, au cas où le neuropsychologue exerce en cabinet libéral, c'est au cours de cet entretien préliminaire que les conditions financières (information sur le prix de l'évaluation et sur le non-remboursement des actes psychologiques par la Sécurité sociale) doivent être clairement définies avec le patient
- Avant de clore l'entretien, le neuropsychologue doit demander au patient s'il a d'autres questions à poser, par exemple, sur le bilan ou sur tout autre thème qui lui semble important et qui n'aurait pas été abordé. C'est aussi à cette étape de l'entretien qu'on encourage tous les patients à poser des questions sur le bilan neuropsychologique qui va lui être proposé, en précisant, toutefois, que le spécialiste ne pourra pas lui dire, durant l'examen, si ses réponses aux différentes épreuves sont justes ou fausses. D’habitude, le patient a un compte rendu des résultats de l'examen.
Pourquoi est-il important de parler non seulement avec les patients mais aussi avec ses proches ?
En dehors du patient, la personne qui est le plus en souffrance c’est ce que l’on appelle "l’aidant principal". Il s’agit en général du conjoint/conjointe du patient, mais il peut y arriver que ce soit les enfants, les autres membres de la famille ou même des amis. Ainsi, nous sommes présents en premier lieu pour écouter la plainte de l’aidant, pour recueillir leur ressenti par rapport aux troubles cognitifs de leurs proches et pour soulager leurs souffrances.
Le témoignage de l’aidant principal va permettre le recueil d’informations cruciales pour nous et va notamment nous donner une idée sur le fonctionnement du patient à la maison, sur son autonomie, sur ce qu’il est capable de faire et enfin sur les difficultés constatées. Ce témoignage vient compléter celui du patient et va nous donner les clefs pour sélectionner au mieux les tests neuropsychologiques à réaliser.
Qu’est-ce qu’il se passe après l’évaluation neuropsychologique ?
Après l’évaluation neuropsychologique, il est important de prendre le temps de poser au patient la question de son ressenti par rapport aux tâches qu’il vient de réaliser : les a-t’il trouvé difficiles ? Éprouvantes ? Au contraire, faciles ? Ce moment est également celui durant lequel le nous allons présenter les résultats au patient et, si le patient le souhaite, à son entourage. Si le bilan neuropsychologique est normal, celui-ci va avoir alors pour effet rassurer le patient. Dans ce cas-là, nous ne proposons généralement pas de suivi. Si des anomalies sont constatées, nous proposons généralement le suivi auprès d’un neurologue ou d’un gériatre de notre service, qui tentera alors de préciser l’étiologie des troubles possiblement en s’appuyant également sur la réalisation d’examens complémentaires.
Retrouvez les autres interviews de Timothée Albasser dans le Magazine Santé :
Entretien avec un expert : comprendre la neuropsychologie (2/3)
Entretien avec un expert : comprendre la neuropsychologie (3/3)
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À la rencontre de Timothée Albasser
Timothée Albasser est neuropsychologue au CMRR (Centre Mémoire de ressources et de recherche) de l’Hôpital de Hautepierre à Strasbourg depuis avril 2014. Titulaire d’un master II de neuropsychologie clinique et cognitive obtenu à l’Université de Strasbourg, il possède également un diplôme interuniversitaire Mémoire normale et pathologies de la mémoire obtenu à l’Université de médecine de Strasbourg.
Il exerce une activité de neuropsychologie clinique, dans le cadre de la consultation mémoire et de neuropsychologie de recherche (PHRC et essais thérapeutiques), ainsi qu’à l’hôpital de jour gériatrique Saint-François. En parallèle, il exerce également une activité de technicien d’études cliniques intéressant principalement les études de cohorte. Il évolue dans l’équipe du CMRR de Strasbourg composée notamment du professeur Blanc, du Dr. Cretin, du Dr. Martin-Hunyadi et du Dr. Philippi. L’équipe du CMRR est active sur le plan de la recherche et des publications d’article scientifiques, notamment en ce qui concerne la maladie d'Alzheimer et la démence à corps de Lewy.
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