Douleur chronique : pourquoi elle persiste, même quand la cause a disparu
Publié le 18 avr. 2018
Certaines douleurs, provoquées par un accident, une chute ou une opération chirurgicale, disparaissent avec la guérison. Et d’autres, non. Dans une étude publiée dans la prestigieuse revue Nature Communications le 12 mars, notre équipe a levé une partie du mystère autour de l’origine des douleurs chroniques. Et ouvert la voie vers un éventuel traitement.
La douleur est définie comme une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite en termes d’une telle lésion. Il n’existe pas une mais des douleurs. Elles peuvent se distinguer en fonction de divers critères, notamment leur durée. La douleur aiguë – de courte durée – s’oppose ainsi à la douleur chronique, présente depuis 3 à 6 mois.
La douleur aiguë est un mécanisme de défense et de protection de l’individu, générant des comportements dont la finalité est d’agir sur la cause de la douleur pour la voir diminuer. Ainsi, elle favorise la survie de l’individu, et de l’espèce.
Les douleurs chroniques, quant à elles, ne sont plus dans ce rôle d’alerte. Pis, elles deviennent, en elles-mêmes, des maladies chroniques. Autant la douleur a un effet protecteur pour l’individu quand elle est aiguë, autant elle entraîne un état pathologique délétère quand elle s’installe dans le temps. Les douleurs chroniques sont très fréquentes : 20 % des adultes européens en souffrent, selon une étude publiée en 2008 dans la revue Pain. La fréquence augmentant beaucoup avec l’âge, on peut prédire une augmentation du nombre de patients avec le vieillissement de la population.
Absentéisme, dépression… un coût considérable pour la société
Les douleurs chroniques ont des conséquences néfastes sur les plans physique, psychologique et social. Elles entraînent des hospitalisations, de l’absentéisme au travail ou encore des dépressions. Son coût pour la société est considérable. Il est évalué à 630 milliards de dollars par an aux États-Unis, davantage que les coûts réunis des maladies cardio-vasculaires et du cancer.
Les médecins cliniciens classent les douleurs chroniques en trois catégories. La première concerne les douleurs inflammatoires qui se déclenchent après une agression des tissus et la réponse inflammatoire secondaire à cette agression.
La deuxième catégorie est celle des douleurs neuropathiques, conséquences d’une atteinte du système nerveux. Celle-ci peut être causée par un traumatisme accidentel, une intervention chirurgicale, un diabète, un zona, un syndrome du canal carpien ou un traitement anti-cancéreux. Dans cette catégorie, entre également la douleur dite du « membre fantôme », celle que l’ont ressent comme réelle dans un membre (main, bras, pied ou jambe) alors que celui-ci a été amputé.
La troisième catégorie regroupe les douleurs dysfonctionnelles qui relèvent d’une amplification des signaux douloureux, alors même qu’il n’existe ni inflammation ni atteinte des nerfs. La fibromyalgie en est un exemple – même si cette maladie reste actuellement assez mal définie.
Dans les douleurs chroniques neuropathiques, bien souvent la cause initiale a disparu, pourtant la personne continue à souffrir. Ainsi la cicatrisation est terminée après l’opération, ou bien l’infection est guérie, ou encore le traitement anti-cancéreux est achevé. Les douleurs persistent et deviennent alors une maladie chronique, au même titre que la maladie de Parkinson ou le diabète.
Quand la douleur devient une maladie
Cette conception d’une « maladie douloureuse » est relativement récente. Elle n’a qu’une quinzaine d’années, ce qui est peu à l’échelle de la médecine. Le problème majeur que pose cette maladie est l’absence de traitements adaptés. En effet, certaines substances comme la morphine sont très efficaces mais il est impossible de les utiliser au long cours, en raison d’effets secondaires trop importants.
D’autres sont des médicaments conçus au départ pour traiter une autre maladie, comme les antidépresseurs et les anti-épileptiques. Mais ils restent peu efficaces : moins de 50 % des patients obtiennent ainsi une réduction significative et durable de leurs douleurs, selon une étude européenne publiée en 2006.
Une des raisons de l’absence de thérapeutique efficace est, sans nul doute, la méconnaissance des mécanismes biologiques à la base des douleurs chroniques. Du coup, on ne soigne pas la cause de la maladie douloureuse mais uniquement ses symptômes.
4 millions de Français souffrent d’une douleur neuropathique chronique
Parmi les douleurs persistantes, les douleurs neuropathiques sont les plus réfractaires aux traitements actuels. Quatre millions de Français en souffrent quotidiennement. La douleur, donc, est déclenchée par une atteinte des nerfs (au cours d’un traumatisme par exemple) et se transforme en douleur persistante après que la cause initiale a disparu. Que sait-on de ce mécanisme, appelé « sensibilisation » ou « chronicisation » ?
Cette sensibilisation est due à certains neurones sensitifs périphériques, ceux qui innervent la peau par exemple. Ils détectent et véhiculent la sensation de douleur. Ces neurones deviennent hyperactifs et fonctionnent durablement de manière aberrante. Ils transmettent au cerveau des signaux anormaux et modifient, de manière persistante, le fonctionnement de l’ensemble du système nerveux.
Ces neurones, dits somato-sensoriels, sont situés dans les ganglions de la racine dorsale de la moelle épinière, c’est-à-dire le long de la colonne vertébrale. Ils détectent la douleur à l’endroit de la lésion (par exemple, là où la personne a reçu un coup de couteau) et transmettent ces informations aux neurones de la moelle épinière. Ces derniers communiquent à leur tour avec les circuits neuronaux de la perception douloureuse à l’intérieur du cerveau.
Des neurones sensitifs en état d’hyperexcitation
Qu’est-ce qui provoque la sensibilisation des neurones somato-sensoriels ? Il est clair maintenant que leur interaction avec le système sanguin de défense immunitaire est crucial. Lors du traumatisme, les cellules immunitaires du sang envahissent le site de la lésion nerveuse. Elles sécrètent, dans cette zone, de nombreuses molécules qui permettent de réparer le tissu mais entraînent également une « hyperexcitation » des neurones sensitifs.
Réussir à identifier ces molécules et la manière dont elles agissent est un enjeu majeur pour les chercheurs du monde entier. Notre équipe de l’Institut des neurosciences à l’université de Montpellier avance dans cette voie. Dans les travaux publiés dans Nature communications, nous montrons que les cellules immunitaires sécrètent la cytokine « FL », causant la chronicisation des douleurs neuropathiques.
Injecter cette molécule à des rongeurs sains entraîne en effet le développement de symptômes identiques à ceux observés chez l’Homme. On constate des hyperalgies, c’est-à-dire des sensations douloureuses amplifiées, et des allodynies, c’est-à-dire des sensations douloureuses pour des stimuli qui, en temps normal, ne sont pas douloureux. Nous avons également établi que FL se fixe sur son récepteur FLT3 situé dans le neurone sensitif ; et que cette liaison entre FL et FLT3 déclenche la cascade d’évènements à l’origine de la chronicisation.
Ensuite, nous avons bloqué l’action de FLT3 en invalidant le gène de FLT3 de différentes manières, chez des souris ayant une douleur neuropathique. Ce blocage de FLT3 enlève les douleurs chez l’animal, et ceci de manière durable. Par ailleurs, il rétablit les dérèglements moléculaires du système somato-sensoriel induits par la maladie douloureuse.
A la recherche d’un futur médicament
Le mécanisme, donc, était identifié. Restait à trouver la manière d’agir sur le phénomène. Actuellement, les seules molécules inhibant l’activation de FLT3 sont utilisées dans des maladies du sang, les leucémies myéloïdes aiguës. Mais elles ne peuvent être administrées au long cours en raison d’effets secondaires trop graves.
L’équipe de chimistes dirigée par Didier Rognan à l’université de Strasbourg a passé au crible, informatiquement, trois millions de configurations possibles pour un futur médicament actif. Les chercheurs ont identifié une molécule anti-FLT3, nommée BDT001, ciblant le site d’accrochage de FL. Cette molécule bloque la liaison entre FL et FLT3, empêchant ainsi les événements conduisant à la douleur neuropathique de s’enchaîner.
Administrée à des modèles animaux, la molécule BDT001 réduit, dans un délai de trois heures, les symptômes douloureux neuropathiques. L’effet persiste 48 heures après une seule administration.
Avant de devenir vraiment un médicament, la molécule BDT001 devra encore franchir plusieurs étapes qui prendront au moins 5 années. Il reste en effet à étudier son effet « anti-chronicisation » de la douleur chez l’Homme. Ce développement est assuré par la start-up Biodol Therapeutics, basée à Clapiers dans l’Hérault. Cette société pourrait ainsi mettre au point la toute première thérapie spécifique des douleurs neuropathiques et, à terme, soulager de nombreuses personnes.
Cette découverte fait partie d’un ensemble de nouvelles pistes, basées sur la compréhension de la maladie douloureuse, qui doivent permettre de traiter les douleurs neuropathiques grâce à de nouvelles molécules – de futurs médicaments. D’autres traitements non médicamenteux sont par ailleurs en développement, certains utilisant l’électricité. C’est notamment le cas de la stimulation électrique transcutanée, qui agit à l’endroit de la douleur grâce à un faible courant électrique.
La stimulation magnétique transcranienne consiste, elle, à appliquer un champ magnétique à l’aide d’aimants placés à l’extérieur du crâne. Cette technique modifie l’activité électrique des neurones du cerveau de manière indolore. Enfin un nombre important d’approches complémentaires sont actuellement utilisées, telles l’acupuncture, la sophrologie ou l’hypnose. Le but final est de prendre en charge de manière personnalisée chaque patient douloureux.
The Conversation
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