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À l’hôpital, ces soignants qui préparent nos morts pour leur dernier voyage
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maritima
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maritima
Dernière activité le 22/11/2024 à 23:15
Inscrit en 2015
35 276 commentaires postés | 2725 dans le groupe Bon à savoir (pour tous)
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J'ai souhaité voir ma mère ,encore belle, et je remercie encore aujourd'hui celles et ceux sans qui rien de cela n'aurait été possible.
Ce n'est pas pour moi, un métier tabou mais un dernier service et un dernier hommage rendu à la personne décédée, un ultime soin post-mortem.
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maritima. "l'amour pour épée, l'humour pour bouclier" Bernard Werber.
verveine
Bon conseiller
verveine
Dernière activité le 05/12/2019 à 17:32
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j admire beaucoup ce personnel soignant; chapeau!
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VERVEINE
Utilisateur désinscrit
J admire bcp ce personnel.
Je n ai pas vu mon père ds son cercueil ; ce dernier était déjà fermé.
Mon oncle (le frère de mon père) et ma mère l ont vu.
Ma mère m a juste dit qu' il était ds un drap comme cela se fait chez nous.
Ma mère a pensé que j étais trop jeune pr voir mon père mort.
J avais 17 ans.
Ma mère a pensé bien faire ; elle a voulu me protéger.
Je ne sais pas si c était mieux ou moins bien pr moi (je n ai jamais vu un mort).
Ce que je sais c est que j ai longtemps eu des doutes sur sa mort et imaginé qu' il s était réveillé ds son cercueil.
Cela a des fois été épouvantable ; d autres fois, je m imaginais qu' il arrivait à en sortir et revenait vivre avec nous.
Utilisateur désinscrit
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Utilisateur désinscrit
@Eauclair
Merci bcp.
Je pourrai donc remercier ma maman de m avoir évité cela qd je n avais que 17 ans.
Même si mon père n avait plus tte sa tête les derniers jours au moins je l ai vu vivant
Bisous
Utilisateur désinscrit
@Eauclair
Merci bcp
Grâce à toi et aux membres du forum, j apprends tjs des choses importantes pr moi
Bisous
Utilisateur désinscrit
J'ai été confronté à des expositions de cadavres et de blessés de guerre, mutilés souvent à l'arme blanche lors d'un conflit en Afrique. Il me semblait déplacé de me plaindre alors qu'il y avait tant de victimes directes. J'avais déjà été confronté à de la violence extrême personnellement. Inutile d'y revenir. Cela m'a peut-être permis de faire des choses que je n'aurais jamais pu faire. Plus jeune, je tombais à la première goute de sang.
Plusieurs fois, j'ai pensé aux gens qui font de l'identification, où qui doivent intervenir dans de tels contextes. Les métiers des enquêtes, des sauvetages et de la sécurité. Comment tiennent-ils ?
Dans la durée de la situation, j'ai tenu parce qu'il le fallait, que cela devais aller de soi. Même si je craquais un bref instant; je me ressaisissais. J'ai assisté par exemple à une amputation. Il y avait l'infection. Quelle odeur inoubliable ! Après, alors que je faisais une allusion que c'était un peu fort, pour quelqu'un qui n'était pas du métier, le médecin généraliste me dît que lui-même n'avait pas été preparé à faire cinq amputations par jour. Le lendemain, je vois le gosse, quelques doigts en moins, jouer au foot ! C'est une meilleure perspective que son etat de la veille.
Je crois donc qu'il faut insister sur la fonction ultime. L'acte lui-même, dans lequel on se projette, n'est qu'un moyen qui rend un service à la victime, à ses proches ou aux survivants. Ou qui témoigne symboliquement mais pas que, du respect dû et rendu à celui qui a perdu son souffle de vie.
Le stress oui, oblige à aussi savoir rire ou sourire de moments paradoxaux, pour savoir prendre ou garder la distance ou transgresser ses appréhensions. Partager avec un collègue une tension et l'évacuer. Pour revenir à l'idée d'une une forme d'équilibre supportable des choses.
Alors oui, les personnes qui travaillent entre les deux mondes intriguent car ils sont près de l'idée de notre propre mort, de ses circonstances où de ses suites utiles données aux dépouilles comme les greffes et les formations biologiques et médicales.
Bon, lorsque l'on enseignait comme des matières bien éloignées de la médecine, on ne s'imagine pas que ces situations existent. Lorsque l'on est confronté à la maladie, à l'accident, à la mort d'un tiers, la frontière entre ces deux mondes devient plus floue.
Le plus insuportable, ce qui a un instant brisé ma résistance réflexe a été au delà de la vision répétée de maisonnettes brulées et de savoir les corps cachés à l'arrière des maisons, de kilomètres après kilomètres, savoir qu'au delà de l'image qui se grave dans notre mémoire, cela existe, on y est et que la réalité se répète. Que vous avancez sur la route, et qu'il y en a encore et encore.
Je regrette aussi de ne pas avoir pas eu le vocabulaire pour décrire des personnes dans leur état. Mon ressenti qui ne s'est libéré très progressivement entre 20 ans après et maintenant. Il m'aura fallu une autre agression au boulot parce que #moiaussi. Ne pas vouloir voir, ne pas vouloir savoir là aussi. Depuis, je sais que savoir mettre des mots est important. Je n'ai jamais pu peindre sur ce thème non plus. Cela contribue à se libérer des images qui renvoient à l'imaginaire. Un jour, faisant de la céramique, j'ai fait en terre rouge des figurines stylisées qui ont brûlé car je les avaient jointes à essais de porcelaines. Je les ai gardées comme un rappel, une réminiscence fortuite, comme un trésor inestimable et sans valeur.
Aujourd'hui, je ne sais si ma vie m'a blindé ou pas. J'ai appris à me sentir blessé de bien plus petites choses. J'en fais ce que je peux. Mais je me dis que c'est peut-être aussi des personnes qui ont vécu des choses excessives qui peuvent les supporter. Sans être péremptoire sur des ressentis intimes. Je suis peut-être hyper sensible/insensible, ou simplement, je l'exprime autrement. Ou je ne l'exprime pas/plus. Dissociation : salutaire, ou moins.
La vie ordinaire semble vide d'événements face à cet ancien vécu. Sauf lorsque l'on s'occupe. Si l'on sait, quant on sait. Que l'on choisis la poésie d'être enthousiaste ou déraisonnable pour une idée, un petit projet, ou un grand... que l'on ne fera sans doute jamais. Ce qui compte alors, c'est de pouvoir se rattacher à d'autres choses, d'autres gens, peut-être servir à d'autres personnes qui doutent sur des choses sur lesquelles ils ont leur propre ressenti.
C'est qu'il y a tellement de mondes réels différents plus ou moins cloisonnés plus ou moins connectés qui se côtoient dans le mille feuille de nos sociétés.
Je reviens à la réflexion relative au restaurant. La personne étiquetée "salle mortuaire" dout savoir que celle qui la caissière qui la regarde bizarrement reproduit le mécanisme d'évitement ou de distance que l'on instaure vis-à-vis de gens malades ou de personnes qui ont vécu des situations extrêmes dont ils témoignent qu'elles existent bien dans le monde présent... ou des caissières dubitatives. A cela aussi, comme dans l'étonnant métier evoqué il faut éduquer et sensibiliser.
Ah, j'oubliais, un jour j'ai rencontré deux vagues connaissances qui me disent avoir travaillé dans le passé dans les pompes funèbres. Je puis comprendre qu'ils surenchérissaient de leurs expériences quelquefois surprenantes. Mais ils ne voyaient plus que moi, alors qu'ils parlaient sans fins de leurs morts, je revivais dans la durée de leur conversation la séquence des maisons brulées des villages qui défilaient des années avant. Puis, lors de l'inutile évocation du décrochage d'un pendu, le rappel des fils électriques passés autour de mon cou lors de ma première agression.
Là, oui, j'ai discrètement coupé progressivement les ponts car je ne puis expliquer chaque fois ma vie. C'était trop et évoquait des éléments de mon agression trop précis. Je devais être livide et me pétrifiais. Je suis parti prendre l'air et ne les ai plus revus. Mais bon, ce n'est que la confirmation que les malentendus existent. Une autre collègue m'a un jour passé les mains autour du cou par jeu... Je ne l'ai plus jamais regardée comme avant. Pour moi, c'était hier. Or, c'était les années 80.
Revenir autant que faire se peut sur les malentendus est la seule solution de les dissiper. Chacun fait son bout de chemin. Tout cela n'est pas très gai... Mais le sujet pas tant non plus.
Bonne journée à tous, et merci de ne pas trop revenir vers sur mes propos. Ils peuvent aider des personnes à évoquer des ressentis. Et finalement, même si cela me fait pẻler une larme à l'écriture, elle ne va pas jusqu'à couler parce qu'il est 03:49 et que je suis couché.
Pour certains propos, vous êtes les seuls à les connaitre. Cela fait déjà beaucoup :-)
Décidément, je m'étais dit que j'arrêterais d'écrire des romans,...
Encore raté !
Utilisateur désinscrit
Merci à @Eauclair d'avoir fait part de votre expérience personnelle, inattendue, et d'avoir si longtemps sur Carenity soutenu les foromeurs de Carenity dans leur quotidien.
Utilisateur désinscrit
Je me fais remonter le sujet pr en parler à ma mère
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Louise
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Louise
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Dernière activité le 06/10/2020 à 12:05
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Les Français qui meurent dans leur lit sont aujourd’hui une minorité. C’est à l’hôpital, ou en clinique, que survient la majorité des décès. La prise en charge des patients décédés reste pourtant trop souvent une activité taboue.
En 2016, la proportion de décès à l'hôpital était de 59,2 %, selon l’Insee, contre 26 % au domicile. Dans les établissements de soins, pourtant, la chambre mortuaire est généralement située à l’écart, à peine fléchée parfois. On sait peu de choses sur ceux qui y travaillent, et il est rare qu’on leur donne la parole.
Parler de la mort, des morts et de ceux qui en prennent soin dérange. Plus encore dans un centre hospitalier, où le décès d’un patient est souvent assimilé, dans l’esprit des soignants, à un échec de la médecine. Ainsi, « agent de chambre mortuaire » n’est devenu une profession à part entière qu’en 2009 – il s’agit sans doute du dernier métier à avoir été réglementé à l’hôpital. Cette fonction, pourtant, est essentielle pour les proches, tant la manière dont les morts sont traités dit aussi le respect des vivants.
Chercheur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), j’ai observé pendant cinq années les agents de quatre chambres mortuaires dans des hôpitaux parisiens. Spécialisé dans le domaine de la formation, je me suis attaché à la manière dont les agents expérimentés transmettent aux novices un savoir-faire aussi singulier. J’ai enregistré une cinquantaine d’heures d’échanges, en situation réelle, au sein de binômes composés d’un tuteur et de son collègue plus jeune.
Ces travaux montrent que les aînés encouragent volontiers leurs cadets à exprimer les émotions, parfois violentes, suscitées par les premiers contacts avec les morts. Il s’agit d’un changement radical dans une profession où, par le passé, on devait encaisser et ne rien laisser paraître. Ce compagnonnage permet d’apprendre à accomplir dans la sérénité des gestes éprouvants au premier abord.
Quand la chambre mortuaire s’appelait l’amphithéâtre des morts
L’actuelle « chambre mortuaire » a porté des noms divers selon les époques et les lieux : morgue, reposoir, chambre de reconnaissance, chambre de repos, ou encore, amphithéâtre des morts. Ce dernier intitulé renvoie à l’époque de la médecine anatomo-clinique du XIXe siècle. L’amphithéâtre des morts avait pour activité principale l’autopsie, initialement conçue pour les études médicales.
L’appellation d’« agent d’amphithéâtre » a ainsi été utilisée jusqu’en 1991, renvoyant ces agents à la période où ils assistaient les professeurs d’anatomie. Ils étaient alors catégorisés comme parias par les autres hospitaliers. Ils n’entraient pas non plus en contact avec les familles des morts, leur tâche consistant uniquement à manipuler et à préparer les corps. Ce métier de « gros dur » était exercé seulement par des hommes.
Aujourd’hui, ceux qui travaillent dans la chambre mortuaire considèrent leur rôle auprès de la personne décédée comme un prolongement des soins prodigués dans le service où celle-ci était hospitalisée. Ils emploient le mot de « patient », comme l’a souligné un agent lors d’un entretien exploratoire de mon enquête : « À la chambre mortuaire on parle de patient décédé ; à la morgue, de cadavre. » Les agents y prennent en charge les personnes décédées, mais aussi les corps des enfants mort-nés, dits « sans vie ».
Officiellement, l’agent de chambre mortuaire fait partie du personnel soignant. Mais dans l’esprit de ses collègues, il reste souvent marginalisé, comme le confie l’un des sujets de mes travaux. « Quand je vais dans l’hôpital et surtout à la cafétéria, j’ai l’impression d’être invisible… parce que sur nos badges il y a marqué « chambre mortuaire »… en particulier quand je paye à la caisse… je le vois bien dans le regard de la caissière ». Tout se passe en effet comme si l’agent incarnait lui-même la mort, idée perturbante pour les autres soignants, plus encore dans un lieu où ils se restaurent.
« Tu tiens le coup, ou tu pars ! »
La formation des agents s’est longtemps faite sur le tas, et la sélection des candidats, sur leur capacité à endurer sans rien dire les situations dérangeantes. « Il y a encore une quinzaine d’années, dit un sujet de mon enquête, c’était : tu tiens le coup, ou tu pars ! » Il était banal de choquer, volontairement, les nouveaux, de les confronter sans préparation ni soutien à la vue des morts et des interventions sur les corps. Le même agent raconte : « Dans la première demi-heure le chef a ouvert une porte… C’était celle de la salle d’autopsie… Ouah ! Je ne croyais pas ce que je voyais en bas de l’escalier, un ventre ouvert, les côtes, j’ai vacillé et j’ai cru que j’allais tomber dans les pommes. J’étais bouleversé mais… j’ai pu tenir la journée et le lendemain, j’étais à nouveau là. » Pour être engagé, il fallait réussir à contenir son émotivité.
De nos jours, bien heureusement, le rapport de ces professionnels à leurs émotions s’est transformé. On le mesure tout particulièrement dans certains apprentissages emblématiques du travail dans la chambre mortuaire. Le fait de se confronter pour la première fois à un bébé mort est l’une des situations qui suscitent les réactions les plus intenses.
Etre confronté à un bébé mort, une situation difficile
C’est précisément l’épreuve qui attend Blandine (les prénoms ont été changés dans cet article), cadre infirmière, mariée, deux enfants. Ce jour-là, Blandine et sa tutrice se dirigent vers la pièce réfrigérée où sont conservés les corps. Le tableau mural, mis à jour au fur et à mesure des arrivées, indique qu’elles vont y trouver une jeune fille et un bébé. La tutrice s’adresse à Blandine, la main posée sur la poignée de la porte : « J’ai du travail, j’ai la grande, là, à préparer [à vêtir et coiffer pour la présentation aux proches]… donc il y a un petit de cinq mois [né avant terme, à 5 mois de grossesse]. »
Chez Blandine, l’idée de voir un bébé mort suscite une grande appréhension. Elle n’ose pas le dire, de peur de paraître trop fragile ou incompétente. Cette confrontation, difficile pour tous les agents en formation, l’est doublement pour Blandine, qui a elle-même perdu un bébé il y a plusieurs années.
La tutrice pousse la porte, s’avance vers le brancard sur lequel repose, sous un drap, la jeune fille décédée. Elle perçoit l’hésitation de Blandine, alors elle se tourne vers elle : « Euh oui… est-ce que ça va aller ? » Blandine, dans un filet de voix : « Oui oui » ; Tutrice : « Je veux dire, pour toi ? Puisque le petit… n’a pas respiré » ; Blandine, balbutiante : « Moi, moi… alors moi, mon histoire… » Tous les détails de son histoire personnelle refont surface, d’un seul coup. Et les mots sortent, se précipitent, même, parce que la tutrice se montre prête à les entendre.
Blandine raconte ce moment où elle a senti que son bébé ne bougeait plus dans son ventre, son pressentiment de la mort en elle, le trajet en voiture avec son mari pour se rendre à l’hôpital et s’y entendre dire que le cœur du bébé ne battait plus. Parce qu’elle s’est sentie autorisée à exprimer ces émotions intenses, Blandine a trouvé ensuite la force de porter le couffin dans lequel était placé le bébé et de poursuivre sa journée de travail.
Des mèches de coton à l'intérieur du nez
Durant mon enquête, une autre situation s’est révélée particulièrement éprouvante pour les débutants, le « méchage nasal ». Il s’agit d’introduire dans chaque narine de la personne décédée une mèche de coton. Ce dispositif reste invisible, mais évite tout écoulement de liquide au moment où la personne est présentée à ses proches, dans le cercueil. Carlita, aide-soignante, mariée, trois enfants, observe son tuteur enfiler ses gants en latex et pousser la première mèche d’une main, l’autre appuyée fermement sur le menton de la patiente décédée.
La novice est mal à l’aise. Elle se trouve devant une personne certes décédée, mais peu différente d’une personne endormie, et il lui semble que cette manoeuvre doit lui faire du mal. Carlita pense à voix haute et s’écrie, comme pour se rassurer : « Heureusement qu’elle n’est pas vivante ! » Des rires sont partagés entre la stagiaire et son tuteur.
Il prend conscience de la nervosité de Carlita et accompagne le geste technique de paroles explicatives : « Ben oui, on le ferait pas du vivant, c’est sûr que oui (rires) ; on va en mettre par là, après tu verras – avec l’expérience, comme on dit – tu trouveras facilement les orifices ; voilà, de toute façon, plus tu mettras de temps à préparer un corps, moins t’auras de souci après. » Plus tard, Carlita me parlera de son respect pour les mille précautions prises par les agents quand ils déplacent ou touchent les corps des patients décédés : « C’est quand même toujours pour la famille, voilà, il faut faire attention. »
En chambre mortuaire, les émotions sont omniprésentes. Elles accompagnent chaque étape de la formation d’un nouvel agent. Les plus intenses sont un signal utile, car elles indiquent au stagiaire qu’il doit consacrer plus de temps et d’énergie à la tâche concernée – les appréhensions étant différentes chez chacun, et difficiles à anticiper. Cependant, mes travaux montrent que si les émotions sont trop fortes, elles peuvent placer le stagiaire dans une forme de sidération, freinant les apprentissages. Les tuteurs les plus habiles amènent le stagiaire à sortir de cet état en s’arrêtant, avec lui, sur son ressenti, quitte à négliger pour un temps l’exécution de la tâche.
Ainsi, la qualité de l’interaction entre le tuteur et le stagiaire permet à ce dernier d’accomplir des gestes de plus en plus exigeants du point de vue émotionnel. Au bout de six à huit mois, la plupart sont capables de recoudre sans trembler, avec une grande délicatesse, les tissus très fragiles d’un fœtus, au retour de son autopsie. Au fil du temps, les stagiaires apprennent à trouver cet équilibre précaire permettant d’exercer ce métier en gardant toute son humanité. Ils sont touchés par les situations auxquelles ils sont confrontés, sans en être bouleversés.
Et vous, pensez-vous aussi que ce métier de soignant est tabou ?
The Conversation