Edulcorants : les substituts du sucre sont-ils cancérigènes ?
Publié le 6 janv. 2016
A fortes doses, des édulcorants de synthèse comme l'aspartame semblent augmenter l'incidence des cancers chez les rongeurs. Mais rien n'est prouvé chez l'homme.
Pour l'institut italien Ramazzini, centre privé de recherche sur les liens entre environnement et cancer, il n'y a aucun doute: les édulcorants, et en particulier le plus courant d'entre eux, l'aspartame, sont à éviter. Mais les experts de l'Agence européenne pour la sécurité de l'alimentation (EFSA) ne partagent pas cet avis. Ils ont en effet réévalué en 2013 l'innocuité de cet édulcorant, sous la demande insistante de diverses associations.
Conclusion: «L'aspartame et ses produits de dégradation sont sûrs pour la consommation humaine aux niveaux actuels d'exposition.» Fin du débat? Produit de synthèse composé de deux acides aminés, l'aspartame a mis au placard la saccharine, un autre édulcorant artificiel. Son fort pouvoir sucrant, deux cents fois supérieur à celui du sucre, est évidemment un atout: en l'utilisant en lieu et place du saccharose, on pourrait diminuer les quantités de calories ingérées, prévenir la prise de poids excessive et tous les risques qui lui sont liés. Mais en 1975, un an après avoir donné leur aval à sa commercialisation, les autorités sanitaires américaines (la Food and Drug Administration, ou FDA) sont revenues sur leur décision.
Quelques années et plusieurs études seront nécessaires avant que l'aspartame ne soit à nouveau proposé sur le marché, en 1981. Avec cette fois le feu vert de la FDA, mais aussi de l'Union européenne et de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Des voix s'élèvent cependant contre son usage. L'aspartame n'est-il pas à l'origine de migraines, d'allergies et, plus grave encore, de cancers? À l'université de Washington, en 1996, le Dr John Olney et son équipe voient en effet dans l'aspartame le principal responsable du nombre croissant de tumeurs du cerveau. Mais sa méthodologie comme l'interprétation des données sont alors sévèrement critiquées par les autorités sanitaires, notamment en France. Les doutes, pourtant, perdurent.
Et les trois études menées à l'institut Ramazzini ne vont rien faire pour les lever. Dans la première, parue en 2006, le Dr Morando Soffritti et ses collaborateurs constatent qu'à très haute dose l'aspartame augmente chez le rat la fréquence des cancers du sang et du rein. La seconde étude, publiée l'année suivante, renforce ces résultats en montrant que des doses proches de celles admises chez l'homme ont également un effet. Enfin, en 2010, l'équipe de Soffritti fait le lien entre l'aspartame et un autre type de cancers (foie et poumons), cette fois chez la souris mâle. Reste que toutes ces études ont été balayées par l'EFSA d'un revers de main.
Polémiques et contestations méthodologiques
L'agence souligne d'abord que les effets constatés chez l'animal le sont avec de fortes doses et/ou toute la vie durant: vu notre niveau de consommation d'aspartame, il n'y aurait donc aucun risque. Mais elle reproche également aux auteurs leur méthodologie. D'habitude, pour démontrer l'effet cancérigène d'un produit, les animaux sont testés pendant deux ans, et non la vie durant, comme l'a fait l'équipe italienne: on évite ainsi de confondre les résultats avec des tumeurs apparaissant spontanément avec l'âge. Par ailleurs, l'EFSA souligne qu'il n'y a pas reproductibilité entre les études menées chez le rat et la souris, rendant difficile toute extrapolation à l'homme.
Le Réseau environnement et santé (RES) insiste de son côté sur le principe de précaution, et met en avant un paradoxe: si les études italiennes ne respectent pas les «bonnes pratiques», les trois études ayant servi à fixer la réglementation de l'aspartame ne le font pas davantage. Deux, datant de la première autorisation par la FDA, n'ont pas été publiées dans des revues scientifiques. Quant à la troisième, il y aurait conflit d'intérêts: elle émanerait d'un des grands fabricants de l'aspartame! La polémique n'est pas close.
Depuis le début, la mauvaise réputation de l'aspartame a sérieusement entamé celle de tous les édulcorants. Parmi les plus anciens, la saccharine, le cyclamate de sodium ou l'acésulfame de potassium ont été suspectés d'induire des cancers chez l'animal. Le sucralose, dernier-né des édulcorants vendus en France, serait aussi associé à des leucémies chez la souris, d'après le CSPI (Center for Science in the Public Interest). Selon cette ONG américaine, même le stévia, d'origine naturelle, serait à éviter, cette fois en raison du trop petit nombre d'études sur son éventuelle toxicité.
Pour prévenir surpoids et obésité, il n'y aurait finalement qu'une solution: se passer de sucres, sauf ceux présents dans les fruits et légumes. C'est le conseil de bien des chercheurs, mais aussi de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Anses), qui pointe du doigt les allégations santé des édulcorants, non étayés. Rien ne prouve qu'ils permettent de perdre du poids. Il n'est donc pas question d'encourager leur usage dans le cadre d'une politique de santé publique.
Le Figaro Santé
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