Intelligence artificielle en santé: des start-up françaises dans les starting-blocks
Publié le 27 mars 2018
Plusieurs jeunes sociétés tricolores émergent dans l'intelligence artificielle (IA) en santé, un segment très prometteur où elles s'affichent sans complexe face aux géants américains du numérique, tout en appelant à lever certains freins en France pour accélérer son usage.
Quelques jeunes gens rivés sur des écrans d'ordinateurs, occupant une seule pièce dans une discrète pépinière d'entreprises à Paris: à première vue, rien ne distingue Qynapse d'une autre start-up développant une énième application mobile. Sauf que la "nourriture" de ses algorithmes, ce sont des milliers d'images cérébrales par IRM de patients atteints d'Alzheimer, de Parkinson ou de sclérose en plaques, pour comparer, trier et analyser les signes de leurs pathologies, voire prédire un jour leur évolution avec précision.
La technologie de Qynapse se destine "en priorité" au développement de nouveaux traitements contre de telles maladies, en affinant la sélection de patients pour des essais cliniques, explique Olivier Courrèges, son PDG et cofondateur. D'autres start-up françaises dans l'intelligence artificielle en santé s'orientent davantage dans l'immédiat vers un service d'aide au diagnostic médical ou au bloc opératoire.
Vers une médecine prédictive ?
Cardiologs entraîne par exemple ses machines à repérer des anomalies sur des électrocardiogrammes "pour aider le médecin à aller plus loin et à suivre plus de patients", déclare son dirigeant et cofondateur Yann Fleureau. Cependant "pour commencer à faire du prédictif, qui est quand même la grande promesse de l'intelligence artificielle, il ne suffit pas d'être très bon en diagnostic", prévient-t-il.
Construire des systèmes prédictifs élaborés nécessite souvent de disposer de données de santé étalées dans le temps, et notamment sur de mêmes patients. Pas facile à obtenir en France, où "le contexte réglementaire fait qu'on ne peut pas sonner à la porte et prendre les données comme ça", rappelle Olivier Clatz, PDG et cofondateur de Therapixel, une société développant des outils numériques pour la radiologie afin de permettre le dépistage précoce de cancers.
Tout patient en France doit désormais être informé que ses données recueillies lors d'un examen médical sont susceptibles d'être utilisées à des fins de recherche. "Le problème, c'est qu'il y a dix ans on ne prévenait pas les gens que leurs données pourraient être exploitées pour cela", déplore M. Clatz, qui vient néanmoins d'obtenir une dérogation des autorités pour faciliter les travaux de Therapixel dans le cancer du sein.
Espoir et pragmatisme
La confidentialité des données de santé, un thème sensible en France, complique aussi les recoupements entre différents examens médicaux d'une même personne. "Ce qui a de la valeur, c'est de pouvoir dire que plusieurs examens différents dans le temps appartiennent à la même personne. Qui est cette personne dans l'absolu, peu importe", assure M. Fleureau. Mais à l'heure actuelle, "si vous faites un électrocardiogramme à Rouen et un autre à Nice, on ne sait pas tracer votre parcours, donc on n'en profite pas", relève ce jeune polytechnicien, qui a aussi étudié à Berkeley (Californie).
L'imagerie médicale et d'autres résultats d'examens cliniques sont par ailleurs absents du Système national des données de santé (SNDS), une colossale base centralisée créée l'an dernier. Ils font l'objet d'une collecte de qualité très disparate selon les établissements. La santé devrait figurer en bonne place dans le rapport sur l'intelligence artificielle du très médiatique mathématicien et député LREM Cédric Villani, dont la remise au gouvernement est prévue jeudi. Si elles apprécient la mission Villani, les start-up tricolores de l'Intelligence artificielle en santé évitent de placer trop d'espoir dans les pouvoirs publics.
"J'imagine difficilement le gouvernement venir expliquer à un hôpital public: 'Vous allez complètement changer votre façon de travailler, pour qu'on puisse collecter des données pour faire de l'IA, par contre on ne va pas augmenter votre budget parce qu'on n'a plus de sous'..." résume M. Fleureau. Aussi Qynapse, Cardiologs et consorts n'attendent pas la France pour se développer: ces sociétés comptent prochainement démarrer leur activité commerciale aux Etats-Unis, d'où proviennent aussi une bonne partie des données de leurs algorithmes.
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Hôpitaux parisiens: les SMS post-opératoires viennent d'un robot
D'ici à la fin de l'année, les hôpitaux publics de Paris seront tous équipés de Memoquest, un algorithme qui envoie des SMS pour suivre les patients après une chirurgie ambulatoire, un gain de temps précieux pour le personnel soignant. "On vous envoie un SMS demain pour voir si tout va bien, n'oubliez pas de répondre", demande le docteur Marie Debes à une patiente qui s'apprête à quitter l'effervescence du service de chirurgie ambulatoire de l'hôpital Saint-Antoine.
L'institution du XIIe arrondissement de Paris fait partie des pionnières dans l'utilisation de Memoquest, un service lancé en 2014 par la start-up française Calmedica. Le principe est simple: les patients admis en chirurgie ambulatoire reçoivent des textos envoyés par un robot conversationnel ("chatbot") durant les deux jours précédant leur opération afin de leur rappeler les consignes à respecter et les horaires de convocation. Le lendemain de l'intervention, l'algorithme renvoie un SMS pour demander aux patients de confirmer que "tout va bien".
Le système se veut rassurant: en cas d'absence de réponse du patient dans l'heure, une alerte se déclenche. "En cas de non-réponse, on considère qu'il y a un de ces trois problèmes: soit le patient a mal, soit il a envie de vomir, soit il saigne. Dans ce cas-là, le robot renvoie un message en leur demandant quel est le problème et en fonction de leur réponse, le logiciel renvoie des consignes adaptées. Si ça ne va toujours pas après, on appelle", détaille Anne Soulier, responsable de l'unité de chirurgie ambulatoire à l'hôpital Saint-Antoine.
Ce n'est pas de la déshumanisation
Dans cette unité, patients et soignants sont unanimes sur les bienfaits de ce service et refusent de parler de déshumanisation. "On reçoit des SMS explicites en temps et en heure, je trouve ça très bien et de toute façon s'il y a le moindre problème, on a le numéro de l'hôpital donc si on veut parler à quelqu'un ce n'est pas gênant", assure Virginie, une patiente dont la voix est encore endormie par l'anesthésie générale subie il y a quelques heures. "Il y a une énorme pression pour qu'on fasse de plus en plus d'ambulatoire. On est à 45% et on nous demande de viser 60% en 2020, tout ça à personnel constant. On n'a plus le temps d'appeler les patients, on est obligés d'avoir des outils comme ça", renchérit le docteur Debes.
L'algorithme, conçu par Calmedica, équipe déjà une centaine d'hôpitaux publics et privés en France et a remporté l'an dernier un appel d'offres de l'AP-HP. Il évolue régulièrement au gré des remontées de services hospitaliers et son coût, assumé par l'hôpital, ne dépasse pas trois euros par patient. Lancée grâce aux financements personnels de Corinne Segalen et Alexis Hernot, ses deux créateurs, Calmedica emploie sept salariés et prévoit un chiffre d'affaires de 500.000 euros pour l'année 2017/2018. Les fondateurs comptent notamment poursuivre leur développement dans la médecine ambulatoire ou la chimiothérapie à domicile. Ils souhaitent également équiper les sites internet d'information médicale de "chatbots spécialisés fonctionnant avec de l'intelligence artificielle", même s'il ne "sera pas question de faire de la télémédecine", rassure Corinne Segalen.
-AFP-
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