Ces médicaments qui trouvent un usage totalement différent de ce pour quoi ils ont été conçus
Publié le 27 nov. 2015
Un médecin a le droit d'engager sa responsabilité et de prescrire un médicament hors de son usage initial car certains ont des vertus insoupçonnées. Le disulfirame utilisé pour traiter l’alcoolisme permettrait par exemple de faire un pas supplémentaire vers un traitement pour le Sida.
Atlantico : Le disulfirame est un produit synthétisé depuis les années 50, et utilisé depuis les années 2000 pour traiter l’alcoolo-dépendance. Mais, il vient d'être utilisé pour lutter contre le sida. L’équipe de Sharon Lewin, a mené un essai clinique de phase 2 sur une trentaine de patients séropositifs, et a permis de confirmer que le disulfirame permettait bel et bien de stimuler le VIH dormant, sans effets secondaires pour les malades. Cette annonce peut elle être prise au sérieux ?
Jean-Paul Giroud : Le traitement du SIDA est un cocktail de médicaments appelé trithérapie permettant de garder le contrôle du virus chez les patients séropositifs.
Mais cela ne les débarrasse pas du virus qui reste dans le corps des personnes traitées. Il reste ainsi sous une forme dormante. Il a été démontré que le disulfirame pouvait réveiller le virus. Mais il ne suffit pas de le réveiller, il faut également le tuer. C'est un travail de longue haleine qui attend encore les chercheurs. Certes cette découverte peut être prometteuse mais elle est totalement insuffisante à l'heure actuelle. S'il y a des résultats avec peu de toxicité, il faudra attendre encore au moins 5 ou 6 ans de découvertes pour avoir de véritables avancées.
Est-ce fréquent que des médicaments soient utilisés à d'autres fins que celle de départ ? Quels sont les exemples les plus marquants de la médecine ?
L'utilisation de médicaments pour une autre fin que celle prévue initialement vient du hasard ou est basé sur des constats cliniques. Dans le cas de la tuberculose, un médicament utilisé pour la soigner entraînait un certain nombre d'effets indésirables comme l'excitation, des insomnies et autres stimulations intenses. Le médicament n'a donc plus été utilisé à cet effet mais pour soigner la dépression. L'iproniazide utilisé contre la tuberculose est devenu l'isoniazide contre cette même maladie mais il peut encore entraîner un certain nombre de troubles psychiques tels l'hyperactivité, l'euphorie ou l'insomnie voire même des convulsions. Autre exemple dans le domaine de la psychiatrie. Avant les années 50 il n'y avait pas de médicaments dits psychotropes. L'iproniazide a été le premier psychotrope utilisé contre la dépression. Dans un laboratoire suisse, l'utilisation d'antihistaminiques pour traiter les allergies avait des vertus dans le traitement de la schizophrénie et pour les états maniaques. La substance de base était la prométhazine, toujours commercialisée en France sous le nom de phenergan comme antihistaminique très efficace par ailleurs. Cette substance a donc été modifiée pour devenir la chlorpromazine qui fut le premier grand neuroleptique ayant donc un effet tranquillisant très important. Cette synthèse est une découverte française. Elle a permis aux services psychiatriques dans les hôpitaux de devenir beaucoup plus silencieux alors qu'ils étaient extrêmement bruyants avant cette découverte !
La fréquence de ces découvertes est néanmoins faible. C'est lié à des études pharmacologiques et d'études cliniques. Les sulfamides ont permis les premières chimiothérapies anti-infectieuses. On les utilisait en général pour traiter la fièvre typhoïde. Ce médicament a cependant eu pour conséquence des crises d'hypoglycémie. Certains chercheurs se sont donc dit qu'il fallait éventuellement essayer ce traitement contre le diabète puisque le médicament faisait baisser le taux de sucre. Mais tous les médicaments faisant baisser le taux de sucre ne peuvent être des antidiabétiques. Les premiers hypoglycémiants ont pu cependant être découverts, les sulfamides hypoglycémiants.
La thalidomide, synthétisée en Allemagne dans les années 50 60, était un sédatif utilisé contre les nausées notamment pour les femmes enceintes. On s'est rendu compte que ce produit entrainait des raccourcissements des bras, des mains, et autres modifications importantes sur le plan embryologique. Des enfants naissaient sans leurs membres, c'était épouvantable. En faisant des expériences sur des animaux, on s'est rendu compte qu'il avait des propriétés immunomodulatrices. Il est de nouveau mis sur le marché pour traiter le myélome multiple, une maladie très grave de type cancer, ou des lymphomes et même la lèpre ou le mélanome métastatique.
On est donc passé d'un produit contre les anxiétés et les nausées à un produit contre un certain nombre de cancers ou de manifestations très graves.
Le mauvais usage d'un médicament peut néanmoins présenter des risques. Ces médicaments sont-ils plus efficaces dans leur utilité seconde que première ?
Dans certains cas oui mais on ne peut pas faire de généralité à ce sujet. Ce qui est important c'est que l'on trouve de nouvelles activités. Dans les années 50 il y avait un produit qui était le métrodizanole, c'est-à-dire le flagyl, utilisé pour traiter l'amibiase. On s'est rendu compte que 15 ou 20 ans plus tard que c'était également un antibactérien. On s'est également rendu compte il n'y a pas longtemps qu'il pouvait être efficace pour lutter contre l'acné rosacée qui se manifeste surtout au niveau du visage.
Faut-il investir davantage dans la recherche sur les médicaments déjà existants aux vertus insoupçonnées ?
C'est certain qu'il y a un grand nombre de molécules qui ont été synthétisées mais qui n'ont pas été testées dans d'autres angles. On recherche un antibactérien que l'on utilise contre les bactéries sans se poser la question des autres problèmes de santé. Il y a donc sûrement un tas de molécules que l'on connait actuellement et qui pourraient être utilisées contre des infections que l'on ne sait pas encore traiter.
Atlantico.fr
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