Ces drogues illégales qui pourraient guérir
Publié le 25 avr. 2018
Elles ont connu leur apogée dans les années 1960, au cœur du mouvement hippie. Avant d'effectuer un discret retour dans les soirées branchées. La plupart des drogues psychédéliques sont aujourd'hui interdites.
Et pourtant, LSD, kétamine et autres produits psychédéliques ne se limitent plus à leurs effets planants. Partout dans le monde, des équipes de recherche se sont emparées de ces drogues. L'objectif : comprendre en quoi elles pourraient aider à soulager certains troubles et maladies neurologiques. "On se tourne vers ces substances parce qu'on a besoin de nouvelles méthodes thérapeutiques pour venir à bout des résistances, explique le Pr Philippe Fossati, psychiatre à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris) et chef d'équipe à l'Institut du Cerveau et de la Moelle Epinière (ICM). Ces substances représentent de nouveaux acteurs." Des simples travaux théoriques aux essais cliniques, ce secteur bénéficie d'un vrai regain d'intérêt. Mais un travail d'orfèvre est nécessaire, car les effets secondaires de ces traitements peuvent être lourds. Quelles sont les pistes les plus intéressantes ?
L'ectasy contre le stress post-traumatique
C'est sans doute dans les troubles mentaux que l'usage des produits psychédéliques est le plus prometteur. Et particulièrement contre le trouble de stress post-traumatique (TSPT) qui résiste souvent aux prises en charge. Aux Etats-Unis, un essai pilote a été organisé auprès de 20 patientsqui ont reçu de la MDMA – aussi connue comme l'ecstasy. Ces volontaires ont poursuivi les séances de psychothérapie en prenant soit de la MDMA, soit un placebo. Sans effet secondaire majeur, la plupart de ces participants ont vu leur état s'améliorer de manière significative.
Les effets planants de cette drogue ne peuvent pas être exclus. "Ces effets dissociatifs peuvent être utilisés pour faciliter un processus psychothérapeutique, souligne le Pr Philippe Fossati. On crée un état d'hypnose induit par les médicaments pour faciliter la plasticité cérébrale, ce qui peut améliorer l'efficacité de la thérapie."
Plusieurs mois après l'étude, ces bénéfices s'observaient toujours. Seules deux personnes ont connu une rechute. "La plupart de ces individus souffraient d'un TSPT sévère, qui ne répondait pas aux traitements disponibles ; leurs symptômes ont été soulagés durablement par une psychothérapie assistée sous MDMA", se sont félicités les scientifiques.
LSD ou psilocybine contre la dépression
Mais ces progrès ne représentent rien à côté des espoirs suscités dans la prise en charge de la dépression. LSD, champignons hallucinogènes, kétamine… de nombreuses équipes se sont lancées dans la bataille contre ce trouble mental qui touche 300 millions de personnes dans le monde.
Au Royaume-Uni, c'est le LSD qui a la faveur des scientifiques. En partenariat avec l'Imperial College de Londres, la fondation Beckley a lancé une étude sur le microdosage sous la houlette du Dr Robin Carhart-Harris, spécialiste de ces substances. Au rayon des champignons hallucinogènes, ce même chercheur a constaté un impact positif sur des personnes souffrant de dépression résistante aux traitements. "Près de 30 % des malades résistent aux médicaments, ce qui veut dire qu'ils ne répondent pas à plusieurs antidépresseurs", précise le Pr Philippe Fossati.
Dès une semaine de traitement, les 19 patients ont vu leurs symptômes s'améliorer. Cela serait dû à une "remise à zéro" du cerveau, d'après les signataires des travaux.
La kétamine contre la dépression
Une substance est même déjà utilisée, dans un cadre strict : la kétamine. Cet anesthésiant est connu pour ses effets planants. Mais il aurait aussi un intérêt face aux dépressions sévères et résistantes. "On l'utilisait parfois avant les électrochocs, puis on s'est rendu compte que, même sans chocs, les patients semblaient aller mieux", indique le psychiatre. Et ce n'est pas tout. La kétamine permet d'obtenir une amélioration rapide des symptômes. "Il faut d'habitude plusieurs semaines pour que les antidépresseurs fassent effet. Avec la kétamine, les changements se produisent en quelques heures", se félicite le Pr Fossati qui évoque "une échelle temporelle différente" dans l'action du produit.
Quelques établissements recourent donc à la kétamine. Mais pour cela, l'encadrement est précis : les doses administrées restent faibles, réservées à des patients résistants, et la prise en charge s'effectue entre les murs de l'hôpital.
A la différence des autres produits psychédéliques, on commence à comprendre le mécanisme d'action de la kétamine. "Les traitements actuels sont centrés sur plusieurs neurotransmetteurs. La kétamine, elle, agit sur les récepteurs glutamatergiques (NMDA)", résume Philippe Fossati. Ils seraient impliqués dans la plasticité cérébrale.
Si elle représente une voie d'avenir, la kétamine n'a pas vocation à remplacer les antidépresseurs déjà disponibles. "On ajoute un acteur dans le système, explique le psychiatre. On a aussi besoin des médicaments agissant sur la sérotonine pour que la kétamine soit efficace et pour des effets durables."
LSD et psilocybine contre la dépendance à l'alcool
Les produits psychédéliques pourraient aussi être utilisés dans le domaine de l'addiction. C'est, en tout cas, un secteur où la recherche est dynamique. Plusieurs études ont suggéré que, sous réserve d'un encadrement thérapeutique d'ampleur, LSD et champignons hallucinogènes pouvait avoir une utilité pour accompagner le sevrage de l'alcool. Pour y parvenir, il serait nécessaire de combiner la psychothérapie – comme des thérapies cognitivo-comportementales – et l'administration de ces substances à des doses peu élevées.
L'université Johns-Hopkins a constaté, en février dernier, une évolution dans les processus mentaux des alcooliques sous psilocybine. La relation à l'alcool mais aussi l'intention de se sevrer étaient considérablement impactés par la thérapie sous champignons.
LSD et psilocybine contre les migraines sévères
Le domaine de la neurologie n'est pas en reste. Parmi les différentes formes de migraine, il en est une qui effraie par son intensité : l'algie vasculaire de la face (AVF). Les maux de tête apparaissent de manière subite et extrêmement douloureuse sur un côté de la tête et du visage. La souffrance est telle qu'on la surnomme "la migraine du suicide".
Face à ces céphalées sévères, peu d'options existent : injections de sumatriptan, sprays nasaux de triptans, ou oxygénothérapie. On imagine bien le soulagement des patients (environ 120.000 en France) qui ont entendu parler d'un usage de psychédéliques. Les produits utilisés ici sont l'acide lysergique diéthylamide (le fameux LSD) et la psilocybine (les champignons hallucinogènes).
En 2006, des chercheurs de l'université de Harvard (Etats-Unis) ont interrogé 53 patients qui avaient utilisé ces substances pour calmer leurs crises. Avec succès chez 18 usagers de champignons hallucinogènes et 4 utilisateurs de LSD. En 2011, l'équipe est allée plus loin, en proposant un analogue du LSD à six patients. Là encore avec succès. "Personne n'a jamais obtenu de tels résultats", expliquait alors John Halpern à Nature.
Aucun scientifique n'est parvenu à expliquer le mécanisme sous-jacent. "Des défauts au niveau de la mélatonine et des rythmes circadiens devraient faire l'objet d'études", avançaient récemment quatre neurologues de l'université de Yale (Etats-Unis).
Que penser du microdosage ?
Outre ces usages réglementés, certains patients ont commencé à tâtonner de leur côté. Leur méthode : le microdosage. Trois scientifiques de l'université de Karlstad (Suède) se sont penchés sur le phénomène. Les différents forums analysés font remonter une même tendance.
Les drogues psychédéliques ne sont pas utilisés pour la défonce, mais bien dans une visée thérapeutique. Considérées comme la dernière chance, elles sont souvent faiblement dosées. Les conseils s'échangent d'ailleurs sur le meilleur usage possible. Récemment, une étude tchèque a suggéré que cela pouvait être contre-productif après plusieurs tests sur le rat. Tout en reconnaissant la nécessité de mener davantage de travaux sur le sujet.
e-Santé
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