Schizophrénie : “Nous méritons le bonheur nous aussi !”
Publié le 19 oct. 2022 • Par Berthe Nkok
AGBEHONOU, membre de la communauté Carenity en France, est atteint de schizophrénie et a fait ses premières crises dès son plus jeune âge. Il nous raconte son parcours face à la maladie, du diagnostic aux traitements qu’il a reçus.
Découvrez vite son histoire !
Bonjour AGBEHONOU, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions !
Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
Bonjour, je me nomme AGBEHONOU, j'ai 21 ans, je suis schizophrène et togolais. Célibataire, j'aime écrire de la poésie et je vis avec mes parents.
Comment et quand s’est manifestée la maladie dans votre vie ? Quelles en ont été les premières manifestations ? Quel était votre état d’esprit à cette époque ?
J'avais dix-huit ans quand la maladie s'est manifestée pour la première fois, bien avant cela, j'avais quelques malaises, de l'anxiété. C'est après cela que sont survenus mes délires, j'avais peur de tout le monde, même des enfants et des chiens. Or, avant je ne ressentais rien de pareil. Ensuite sont arrivées les hallucinations auditives, ce jour-là, j'étais à l'université et j'avais l'impression que ma vie était mise sur écoute, mes pensées et même les actes que je posais. J'entendais les étudiants qui murmuraient entre eux, premièrement, c'était difficile pour moi de les écouter (ce n’était qu'une impression) mais, avec le temps les murmures de ceux qui m'entouraient devenaient plus claires et plus audibles. Certains d'entre eux commentaient mon habillement, d'autres ma vie privée et d'autres me répondaient quand je pensais. Quelques jours après, j'ai abandonné l'université, pensant que c'était la source de ce qui m'arrivait.
Hélas ! Je m'étais trompé sur toute la ligne, c'était à présent le tour de ceux qui m'entouraient dans mon quartier, à la maison et même dans la rue. Ils m'insultaient, me traitaient de tous les noms, de tout ce que je détestais dans la vie.
Ensuite, les hallucinations audiovisuelles (je voyais des complots contre moi, je voyais des mouches qui m'entouraient, du sang sur mon coussin à mon réveil et qui disparaissait en quelques secondes), olfactives (je sentais des odeurs de choses pourries partout autour de moi) et cinesthésiques (je sentais le courant électrique dans mon corps, quand je saisissais un objet, ça tremblait). Le stress m’handicapait et est venue la dépression.
J'étais comme perdu, je ne comprenais rien à ce qui m'arrivait et je voulais que ça s'arrête.
Qu’est-ce qui vous a poussé à consulter pour la schizophrénie ? Comment le diagnostic a-t-il été posé ? Combien de temps a-t-il fallu pour que ce dernier soit posé ? Comment vous l’a-t-on annoncé et qu’avez-vous ressenti lors de cette annonce ?
Ce qui m'a poussé à me faire examiner, c'est quand les voix que j'entendais ont commencé à insinuer que tous les gouvernements du monde, y compris toutes les religions, voulaient ma mise à mort à cause de crimes (que je n'avais pas commis d'ailleurs) et que je commençais à sentir la présence d'agents infiltrés partout.
Quand j'entendais des terroristes complotistes qui aiguisaient leurs lames pour m'offrir en holocauste après m'avoir tranché la tête, c'est là que j'ai eu la peur de ma vie.
Je n'avais pas décidé d'aller voir les médecins pour qu'ils me posent un diagnostic sur la maladie (que j'ignorais d'ailleurs), mais plutôt, pour qu'un psychologue m'hypnotise et pour qu'il fasse ressortir "tout ce que j'ai fait". Ainsi, si j'ai commis un crime, je le saurais et je pourrais en toute humilité demander pénitence aux yeux du monde entier.
Mais, c'était un vrai soulagement quand le docteur m'a examiné (il m’a posé des tas de questions) et m'a dit après 45minutes : personne ne va te faire du mal (d'ailleurs pour moi, le docteur était un boucher qui était prêt à me torturer), je ne le croyais pas trop, mais c'était un peu de soulagement. Je m'apprêtais à me débattre et à fuir l'hôpital quand un homme un peu vaillant m'a saisi et le docteur qui disait : pour le moment tu ne peux pas nous comprendre, mais après tu nous comprendras (on venait de m'injecter un truc que je pensais être de la drogue), après cela j'ai dormi comme un bébé et quand je me suis réveillé, les voix se sont calmées.
Êtes-vous traité et suivi ? Si oui, quel est votre traitement et votre suivi psychologique ? Globalement, pourriez-vous nous parler de votre parcours de soins ? Est-ce efficace selon vous ?
Je suis traité et suivi, risperidone, laroxyl, melex, et je fais des injections d'haldol. Au début c'était chaque mois, mais à présent c'est dans un intervalle de deux mois.
Je suis des thérapies cognitives et comportementales pour m'aider à m'adapter parfaitement avec la société, malgré mes impressions. Avant les injections, j'ai fait trois rechutes à part la toute première. Actuellement je ne prends plus melex et laroxyl, uniquement les injections et risperidone.
Je ne peux pas dire que c'est efficace comme le mot lui-même le dit, mais ça m'a beaucoup aidé. Aujourd'hui, je travaille encore sur mon stress et ma dépression.
Quels sont les symptômes de la schizophrénie au quotidien ? Quel est l’impact de la maladie sur votre vie privée et/ou professionnelle ? Quelles sont les difficultés rencontrées au quotidien liées à la maladie ?
Les symptômes de la schizophrénie au quotidien sont souvent : l'envie de ne rien faire (qui est souvent prise pour la paresse, mais ce n'est aucunement le cas), la dépression, le stress, l'anxiété et les impressions (même après une crise, on a des impressions quelques fois et ces impressions nous donnent cette peur de revivre à nouveau une crise).
Je commençais à perdre goût des choses que j'aimais auparavant, je n'arrivais plus à me concentrer pendant très longtemps. J'étais plus à l'aise chez-moi qu'ailleurs.
Quel regard votre entourage porte sur la maladie ? Êtes-vous soutenu ? Vous sentez-vous libre et à l’aise d’échanger à ce sujet ?
Ma famille croit que cette maladie n'est rien et que puisque je suis un homme, je pourrais la surmonter facilement et que ce n'est rien de grave. Si seulement Dieu pouvait faire en sorte qu’ils passent 24h dans ma peau, ils sauraient que ce n’est vraiment pas facile pour un homme d'affronter cette maladie. Même si c'est ma famille qui me paye les médicaments, ce que je veux plus que tout, c'est leur soutien moral. D'ailleurs, je ne me sens pas à l'aise d'échanger à ce sujet.
En dehors de votre entourage, vous sentez-vous parfois jugé par les gens ? Quel regard portent-ils, selon vous, sur la schizophrénie ? Quelle est votre attitude vis-à-vis de cela ?
Parfois, j'ai l'impression que les gens me jugent avec un regard plein de soupçons et de mépris. Ma propre famille ne connait pas cette maladie (sauf mon frère) donc ils me trouvent incapable. Même les personnes de mon entourage ne connaissent pas la schizophrénie, la plupart en tout cas.
Je suis frustré, mais je ne pourrais pas les juger. Ils l'ignorent mais cette maladie tue.
Que pensez-vous de la représentation de la schizophrénie dans les films, séries, livres… ? Avez-vous des exemples de “clichés” que vous auriez pu remarquer ? A quel point sont-ils exagérés ?
Ce qu'on nous montre dans les films et séries policières est très décevant, mythique et contrefait. C'est totalement contraire à la maladie. Ils exagèrent en représentant les schizophrènes par des tueurs en série.
De quelle(s) façon(s) aimeriez-vous que la maladie soit représentée au grand public afin de modifier la perception collective ?
J'aimerais beaucoup que les schizophrènes soient traités comme des souffrants au lieu d’être traités comme ceux qui font souffrir la société.
Êtes-vous confiant pour l’avenir ? Avez-vous des projets particuliers ?
Malgré ma maladie, je suis optimiste pour l'avenir et je crois que c'est ainsi que doivent se comporter tous les schizophrènes, même si c'est difficile.
Pas de projet particulier pour le moment mais je crois que ça viendra avec le temps, rien ne presse.
Enfin, qu’aimeriez-vous conseiller aux membres Carenity également atteints par la schizophrénie ?
J'aimerais dire à tous ceux qui sont atteints de cette maladie de ne pas baisser les bras, qu'ils soient soutenus ou pas. Mais surtout pour ceux qui sont soutenus, sachez que c'est un vrai cadeau du ciel.
Je continuerai de le dire, nous méritons le bonheur nous aussi ! Ce n'est pas du tout facile. Pour cela, il faut se faire des amis, c'est très important. Et n'hésitez pas à communiquer dans les groupes de discussions, ça pourrait grandement vous aider, le fait d'échanger avec des personnes qui, comme vous, sont atteintes de la maladie.
Un dernier mot ?
Pour clore ce témoignage, j'aimerais vivement remercier l'équipe Carenity pour tout ce qu'elle fait pour nous tous les jours. Ce n'est pas donné, il faut de la force. Seul un Dieu juste vous le revaudra. Encore merci.
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