Symptômes, auxiliaires de vie et isolement : un couple face à la maladie d'Alzheimer
Publié le 17 sept. 2019 • Par Louise Bollecker
Gisèle, @pomme123">@pomme123, est membre de la plateforme Carenity en France. Aidante de son compagnon atteint de la maladie d’Alzheimer, elle a accepté de nous raconter son quotidien et de nous donner ses conseils pour vivre au mieux cette maladie qui touche de nombreuses personnes chaque année.
Bonjour Gisèle, quels ont été les premiers symptômes de votre compagnon ?
C’est un ensemble de beaucoup de choses qui se sont installées progressivement. La mémoire récente a été impactée, ainsi que les repères des dates (le jour, les dates, l’année, les saisons, le mois). Par ailleurs, la mémoire du passé très présente, j’ai pu retracer sa vie et son histoire de vie triste en famille d’accueil dans les fermes de l’Yonne, Jean me la raconte tous les soirs en boucle, plusieurs fois dans la soirée, le disque est rayé !
Le soir arrive, tous les problèmes d’angoisse reviennent, il cherche ses frères (tous décédés) : « il va falloir leur envoyer une carte pour leur souhaiter la bonne année » me dit-il, je lui dis que oui, on a le temps encore… Il voit ses enfants avec 40 années en moins, le temps s’est arrêté, je dois le rassurer sans heurt avec beaucoup de bienveillance et de gentillesse.
Jean a aussi des difficultés à exécuter les actes de la vie quotidienne comme éplucher les légumes pour la soupe, balayer la cuisine ou m’aider à faire le lit. Jusqu’à l’année dernière, il cultivait ses légumes, les arrosait, il était content mais depuis cette année, il a planté ses graines en février et il attend toujours qu’elles lèvent et tous les jours et il me dit « ce n’est pas une bonne année pour les légumes » (il n’a pas le repère de la saison). Au départ, je lui faisais la liste des courses, sinon il oubliait la moitié, mais maintenant il n’y va plus.
Mais il y a aussi d’autres symptômes :
- Désorientation. Au début, on jouait aux petits chevaux dans la ville à côté, et en milieu de trajet, il me disait, « mais où va-t-on ? » car il ne savait plus.
- Troubles de l’attention. Il faut un message à la fois, sinon il s’y perd, perte de la consigne.
- Perte du jugement. Il est capable d’acheter plusieurs produits en excès (chocolat, huile, fruits, voiture dont j’ai dû arrêter l’achat)
- Perte de motivation, perte de l’intérêt et le manque d’initiatives (il n’y a que le lit qui l’intéresse).
- Errance et déambulation la nuit. Il met le couvert à 2h du matin, veut aller faire son jardin, je vais le rechercher, lui fais une tisane et le recouche. Parfois, il se lève toutes les demi-heures, il faut être en alerte toujours. Il confond le jour et la nuit et il a des troubles du sommeil.
- Comportements inappropriés. Les sentiments pour moi sont très présents, parfois il perd la notion des interdits.
- Perte de la notion du chaud et du froid (thermo régulation). Il s’habille chaudement en été comme en hiver, il a toujours froid.
- Reconnaissance des visages. Cette reconnaissance sur les photos est difficile, il se trompe dans les visages de ses petits-enfants, il ne les reconnait pas tous.
- Perte de l’appétit et amaigrissement
Comment s’est passé le diagnostic ? Quels tests a-t-il passés ?
Le médecin traitant lui a fait passer une IRM qui montrait déjà des anomalies. Devant la demande de mon compagnon, il l’a aussi fait passer des tests de mémoire avec un neuro psychologue à l’hôpital. J’ai rempli un questionnaire et je suis sortie. Jean a fait ses tests durant 2 heures, il était très fatigué. Après 2 mois, les résultats sont tombés : pathologie neuro dégénérative débutante.
J’ai pris un rendez-vous avec un neurologue, j’attendais des réponses précises, mais tout était évasif. Le neurologue n’a même pas prononcé le mot Alzheimer, il a simplement préconisé de mettre mon mari à 100% en affection longue durée. Le mot Alzheimer, c’est le médecin traitant qui l’a prononcé en premier. Je suis sortie anéantie de cette consultation, en état de choc, comment l’expliquer à Jean ? Peine perdue, il oublie tout, ce n’est pas la peine d’insister, mais c’est un voyage en terre inconnue où il faut s’adapter tous les jours.
Comment vos proches ont-ils réagi ?
Il a fallu l’annoncer à ses enfants qui étaient dans le déni : « le spécialiste s’est trompé ». J’ai dû montrer les résultats écrits car ne venant pas souvent, ses enfants ne réalisaient pas les changements chez leur père. Cette maladie a détruit la famille et tout s’est disloqué. Je suis la 2ème femme de Jean (35 ans ensemble), la 1ère est décédée et a eu 5 enfants. Ils ont voulu le placer en maison de retraite sans notre avis et me séparer de mon compagnon. J’ai dû mettre une mesure de protection ; maintenant il est sous curatelle renforcée, une seule de ses filles vient le voir et m’aider. Elle est très reconnaissante que je m’occupe de son père. En revanche, les autres enfants ne viennent plus voir leur père, cela fait presque un an.
Quels traitements médicamenteux suit votre compagnon ?
Après avoir éliminé les autres maladies, il a été prescrit : exélon 4,5mg (médicament non remboursé), laroxyl 10 gouttes le soir pour la dépression, neurontin pour les douleurs nerveuses (sciatique) et méla sommeil (ce sont des plantes et mélatonine pour dormir, ce n’est pas trop fort et ça ne l’abrutit pas).
D’un point de vue non médicamenteux, quelles solutions ont été mise en place ?
Jean voit l’orthophoniste qui lui fait faire des exercices une fois par semaine. Il s’agit de jeux de mémoire, de concentration, d’attention, d’orientation et de langage avec de la lecture. Je continue en semaine, aidée par les auxiliaires de vie : calcul, donner les chiffres à l’envers ou compter deux par deux, raconter une histoire, poser des questions sur le sujet, l’inciter à jouer aux jeux de société, le stimuler pour ralentir la progression de sa maladie, faire un peu de cuisine (mais en ce moment il ne veut pas), faire le jardin (hier il a tondu la moitié de la pelouse), arroser les plantes, marcher (mais en ce moment la sciatique le cloue au lit souvent)… Bref, il faut l’occuper pour qu’il reprenne goût à la vie et qu’il ne s’ennuie pas. Je lui fais aussi des massages pour le décontracter.
Vous êtes donc aidée par des auxiliaires de vie ?
Oui, je suis aidée par deux auxiliaires de vie, mon rayon de soleil, 4 heures par semaine. Je me sens moins seule, je n’en pouvais plus ! Je ne peux pas tout porter sur mes épaules, je ne suis pas surhumaine. En acceptant de l’aide, je me sens moins isolée. Elles participent au ménage, aux courses, aux jeux…
J’ai demandé l’APA (allocation personnalisée d'autonomie) en faisant les démarches seule : j’ai pris des imprimés sur Internet, la mairie m’ayant donné l’adresse. Un évaluateur est venu évaluer le degré d’autonomie de Jean et le département m’a accordé une aide de 4 heures par une association sous forme de carnet de CESU (chèque emploi service) d’une valeur par heure, à déduire sur la facture. Je peux faire réévaluer la situation si le besoin s’en fait sentir et que l’autonomie de Jean venait à décliner.
Jean ne voulait pas de ces aides au départ, puis il a fini par les accepter. Ils les aiment bien, il est gentil et facile, pour l’instant.
Au quotidien qu’est ce qui est le plus dur à gérer pour vous ?
L’errance et la déambulation. La nuit, je suis toujours en alerte, je suis obligée de sécuriser la maison pour ne pas qu’il fugue. Je ferme les volets, je cache les clefs, je ferme le gaz, la porte de la cuisine... J’allume aussi des veilleuses pour ne pas qu’il chute. Je désencombre les pièces. Il faut toujours être vigilant, je ne dors pas beaucoup dans ces moments.
Les idées fixes et répétitives en boucle, comme un disque rayé, est difficile au quotidien. Parfois, Jean ne veut pas se changer pour la nuit, c’est comme une carapace qui le protège du monde extérieur. Son univers se rétrécit : sa chambre, son lit, son jardin… Changer de vêtements pose donc parfois problème.
Comment va votre compagnon aujourd’hui et vous comment tenez-vous le coup ?
Mon compagnon se laisse davantage soigner et apprivoiser. La maladie évolue suite à une sciatique sur terrain d’arthrose pour laquelle il est souvent couché. Il souffre et il a des complications de décubitus (constipation, perte d’appétit). De mon côté, je suis fatiguée, parfois épuisée car j’assume presque seule cette maladie. Comme je l’ai dit, une de ses filles vient voir son père le samedi pour faire des courses, sinon c’est le désert affectif des proches. Alzheimer est la maladie de l’oubli. Je ne dois compter que sur moi-même. Mais mes auxiliaires de vie viennent de rentrer de vacances, ça ira mieux ces prochaines semaines !
Vous sentez vous suffisamment épaulée et accompagnée par les professionnels de santé qui suivent votre compagnon ?
Non pas encore assez. Tout ce que l’on faisait à deux, je le fais seule, bien que j’aie pris un jardinier pour les gros travaux comme la taille de la haie et que mes auxiliaires de vie m’aident beaucoup. Vu l’aggravation de la maladie et la perte de poids, le médecin a prescrit des compléments alimentaires pour l’aider. Mais je ne conduis pas, alors ma difficulté est de me déplacer pour les courses, la pharmacie, les visites à l’hôpital… j’ai appris à faire les courses par internet car il faut s’adapter au handicap. Les médecins ne nous aident pas beaucoup, comme le refus du bon de transport par le neurologue. En revanche, l’orthophoniste fait un travail superbe et je cherche un gériatre pour Jean.
Quels conseils donneriez-vous à un proche atteint de la maladie d’Alzheimer ?
- Faire un album de photos de la famille pour la reconnaissance
- Horaires réguliers de repas
- Ne pas avertir à l’avance des rendez-vous car cela devient une fixation
- Mettre des post-it pour que le malade sache où sont les choses
- Faire son emploi du temps et noter la date tous les jours (éphéméride)
- Des veilleuses pour la nuit
- Sécuriser les portes (digicodes)
- Etre patient et garder la bonne humeur si possible et être polyvalent
- Faire des exercices de mémoire, le stimuler, le maintenir en activité
Merci beaucoup à Gisèle d’avoir partagé son témoignage ! Et vous, quelles solutions avez-vous mises en place contre la maladie d’Alzheimer ? On en discute en commentaire.
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