Cancer colorectal : “Pourquoi devrions-nous oublier notre vie intime ?”
Publié le 29 juin 2022 • Par Candice Salomé
Cyril, coresponsable de Mon réseau® cancer colorectal (MRCCR), est atteint du cancer colorectal. Pour Carenity, il revient sur ses premiers symptômes, sur l’annonce de son diagnostic, sur ses traitements mais aussi sur son vécu de la maladie.
Actuellement, il mène une grande enquête visant à mettre en lumière la problématique de la sexualité pendant et post traitements du cancer.
Découvrez vite son histoire !
Bonjour Cyril, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
J’ai 54 ans, je vis en union libre depuis 16 ans et je n’ai pas d’enfant. Je vis une vie pleine d’énergie, de rires, de rencontres et de projets tant professionnels que personnels. Ce que j’aime le plus c’est le contact humain quand il peut se faire, et ces années de cyber-connexion m’effraient un peu : j’ai peur de perdre le contact, l’essence même de la communication, la vraie, la réelle, la physique, l’échange qu’il soit avec mon voisin ou la personne que je vais rencontrer à l’autre bout de la planète. J’immortalise tout cela en photo quand c’est possible : photos mentales et photos numériques. Et oui, je ne suis pas contre le progrès tout le même !
Vous êtes atteint du cancer colorectal. Pourriez-vous nous parler de la maladie ? Quelles en ont été les premières manifestations ? Qu’est-ce qui vous a poussé à consulter ?
Ce cancer, cette maladie qui m’est tombée dessus sans quasiment prévenir ! Je venais d’avoir 50 ans (à 3 mois près) !
Le signe d’alerte a été la présence de sang dans les selles et cela sur 1 semaine.
J’ai donc pris un rendez-vous chez mon médecin généraliste, et j’ai exigé (oui, exigé !) une coloscopie. Il n’est pas normal d’avoir du sang par les voies naturelles. Étant à l’aube de mes 50 ans, mon médecin me disait de ne pas paniquer (certes) et d’attendre de recevoir le courrier de la campagne de dépistage (automatique et gratuite entre 50 et 74 ans).
Je n’ai pas voulu et donc j’ai exigé une ordonnance pour passer une coloscopie… J’ai bien fait car, après analyse anatomopathologique d’un polype assez gros, celui-ci s’avérait être cancéreux et de stade 3 avancé…
Vu que j’ai reçu le courrier pour le dépistage (le processus ayant été lancé) 7 mois plus tard… Le diagnostic aurait pu être pire.
Qu’avez-vous ressenti à l’annonce de ce diagnostic ? Avez-vous pu recevoir toute l’information nécessaire quant à la maladie et à ses traitements ?
L’annonce m’a été faite par le gastroentérologue de ville qui m’avait fait la coloscopie. Ce fut simple, ce fut court. Je le cite « C’est bien ce que je pensais, c’est un cancer. Vous connaissez un chirurgien ? Si non, il va falloir en trouver un rapidement ! ».
Autant vous dire que le monde s’écroule, surtout que la conversation s’arrête là sans avoir de noms de chirurgiens ou autre.
Je suis tellement furax mais tellement assommé … qu’il m’a fallu les ¾ d’heure de transport en commun pour rentrer chez moi et réaliser la situation. Donc, à ce niveau, ZERO information quant à la maladie et aux traitements !
De par mon activité et mon réseau professionnel, j’ai rapidement trouvé une équipe soignante et les soins ont débuté un peu moins de 2 mois plus tard.
Quelle a été votre prise en charge ? En avez-vous été satisfait ?
La prise en charge a donc été rapide : radiothérapie associée à chimiothérapie orale, puis rapidement chirurgie, et mise en place d’une stomie (anus artificiel), et de nouveau chimiothérapie adjuvante (par sécurité) orale et injectée, et enfin remise en continuité (suppression de la stomie).
Globalement, oui je suis satisfait car je suis VIVANT (c’est tout de même le second cancer le plus meurtrier en France) mais j’ai constaté beaucoup de lacunes sur l’information tant sur la maladie, les traitements et le post traitement, qui fait que, et je pense que c’est en relation, bien qu’en rémission 3 ans après, il y a des séquelles qui auraient pu être sinon évitées, au moins annoncées afin que je sache comment les gérer pour organiser/ améliorer ma vie.
Quel a été l’impact de la maladie sur votre vie professionnelle et privée ?
Sur ma vie privée, l’entourage familiale d’abord, deux constats :
- Le déni pour certains, qui ne pouvaient croire en ma maladie,
- Et pour les autres ce fut un tsunami…
On aurait pu se demander qui d’eux ou de moi étaient le plus malade. Je, non pas moi, mon cancer, leur a causé tellement de frayeurs… Et pourtant, je suis quelqu’un d’ultra positif.
Après il y a un phénomène très connu des professionnels mais quand on est patient/malade on ne le sait pas : l’élagage affectif ! Attendez-vous à ce qu’une grosse majorité de vos relations, amis s’éloigne de vous … on leur fait peur !
Au niveau professionnel, si on connait le système, si on se renseigne bien ce n’est pas tant un problème, mis à part que je n’ai pas travaillé, ni vu mes collègues pendant deux ans, et qu’au moment du retour, ben on était en plein Covid-19 !
Vous êtes coresponsable de Mon réseau® cancer colorectal (MRCCR). Pourriez-vous nous dire de quoi il s’agit ? Quelles sont vos missions ? Qu’est-ce qui vous a poussé à rejoindre Mon réseau® cancer colorectal ?
C’est en voyant mes recherches pendant mes soins et surtout après, histoire de vivre mieux avec mes effets secondaires, qu’une amie m’a conseillé de rejoindre une association afin de partager ces solutions trouvées par moi-même, tout seul (si, si j’insiste, peu d’infos des équipes soignantes), afin d’aider d’autres personnes dans la même situation.
En 2021, j’ai donc rejoint MRCCR, la SEULE association Française de patients et d’aidants touchés par ce cancer (depuis la fermeture de France Colon en 2019).
MRCCR devait voir le jour dès juillet 2020 mais, en pleine crise de Covid-19 cela a été très difficile et, officiellement, l’association est née en mars 2021 (pendant Mars Bleu, mois de la campagne du dépistage du cancer colorectal). Ce qui tombait bien car j’étais enfin sorti de mes traitements primaires (et secondaires dus à la toxicité de la chimiothérapie).
Rapidement, de par mon implication, on m’a demandé d’en prendre la coresponsabilité. MRCCR est une des 4 communautés / réseaux de l’association (au sens légal du terme) Patients en Réseau : cancer du sein (MRCS), cancer du poumon (MRCP), cancer gynécologique (MRCG) et le dernier né, cancer colorectal (MRCCR).
Chaque réseau est indépendant. Pour chaque réseau, gratuit et anonyme, il y a 2 entrées : comme aidant ou comme patient. Le but est de mettre en présence des personnes atteintes (ou aidantes) d’une même pathologie et donc d'en discuter ouvertement, sans tabous, et d’échanger astuces, informations, bonnes adresses…
L’avantage est que les documents disponibles sur nos réseaux sont sourcés et validés par des comités scientifiques (1 par réseau) pour éviter les fausses informations d’Internet.
Donc, pour résumer, les principales missions de MRCCR c’est : communiquer entre patients, proposer des solutions, s’aider, et sortir du silence de ce cancer hyper tabou ! On a donc aussi une action en amont qui est de booster le dépistage (et sa communication) qui n’est malheureusement que trop peu fait par les personnes éligibles (50 - 74 ans). Moins de 33% ! Pour le second cancer le plus fréquent chez les femmes et le troisième chez les hommes… et qui représente le second cancer le plus meurtrier (1 décès toutes les 30 minutes !). Alors que, détecté tôt, ce cancer peut être guéri dans 9 cas sur 10.
Vous menez actuellement une enquête sur le cancer colorectal et la vie intime et sexuelle auprès de patients atteints ou guéris du cancer colorectal. Quel est l’objectif de cette enquête ? Que souhaitez-vous mettre en lumière grâce à ce questionnaire ?
Le but ultime est de faire bouger les lignes, en montrant quel est l’état du pays vis-à-vis de la problématique de la sexualité et d’arrêter les non-dits et les idées reçues qui datent de décennies et qui n’ont plus de raison d’être !
Quand on sait que moins de 15% de personnes atteintes de cancers directement liés à la sphère sexuelle (prostate, ovaire, col de l’utérus, sein…) ont abordé un jour le sujet avec leurs équipes soignantes, que ce soit à l’initiative de l’équipe proprement dite ou à celle du patient… Imaginez le vide sidéral pour les autres cancers.
Si je reste sur le cancer colorectal, beaucoup ont de la radiothérapie, au niveau du petit bassin… la sphère uro-génital est donc fortement touchée, idem en cas de chirurgie… Et ce bien que les techniques et les méthodes de soins/traitements aient beaucoup évoluées !
On entend dire : « Le cancer colorectal touche surtout les personnes plus âgées ». Certes, la prévalence est sur la fin de la soixantaine. Mais dois-je rappeler que, selon l’OMS, la santé sexuelle fait partie de la santé globale sans qu’une pathologie y soit liée, que l’on ne peut plus, ne doit plus, parler d’âgisme en ce qui concerne la sexualité… et surtout, et malheureusement, on voit aujourd’hui de plus en plus de jeunes (moins de 40 ans) atteints de cancers colorectaux.
On est atteint d’un cancer colorectal, ce qui dans la vie de tous les jours (avec ou sans stomie, anus artificiel) n’est pas évident pendant traitement et même après. Alors, pourquoi devrions nous mettre sous silence (double peine) notre vie intime et sexuelle, si nous désirons en avoir une ?
Les soins supports sur cette problématique sont très peu proposés, alors qu’il existe beaucoup de solutions. Par cette enquête, nous voulons mettre en avant les détresses, les problématiques, afin que le système de santé puisse proposer de vraies solutions de suivi, en adéquation avec notre temps en 2022 !
>> Pour participer à l'enquête, cliquez vite ici <<
Quelles sont, selon vous, les problématiques rencontrées par les patients dans leur parcours de soin au sujet de leur vie sexuelle et intime ?
Bien évidemment les problématiques sont nombreuses mais surtout différentes en fonction de chaque patient. Tout d’abord, il se peut que le cancer, l’annonce, les traitements soient si impactants sur votre vie, que la sphère intime et surtout sexuelle puisse être mise de côté, ce qui est tout à fait normal.
Mis il est fort probable qu’à la rémission, et même avant, « l’intérêt » pour la chose revienne, et il faut donc s’y préparer.
Il y a d’abord l’impact psychologique relié à ses cicatrices tant physiques que mentales : la modification / mutilation de votre corps (en particulier si stomie), le fait du cancer, des traitements et de la fatigue qui perdurent longtemps. Ajoutons, la crainte qu’ont certains vis-à-vis d’une contamination à leur partenaire de radiothérapie, ou chimiothérapie (oui, c’est bien réel), pendant et post-traitement.
La peur de douleurs de « claquage » de cicatrices (aussi bien abdomen que rectum) quand il y a eu chirurgie.
Ces problématiques, qui existent vraiment, sont très souvent des peurs liées à la non-information, la non-communication, et sans vraies raisons d’être, mais elles sont bien présentes !
Après il y a les vrais problématiques physiques, anatomiques que l’on rencontre dans la majorité des cas, suite à la radiothérapie, la chirurgie et globalement l’ensemble des traitements. A savoir, pour les femmes : une sècheresse vaginale, une douleur à la pénétration, et pour les hommes : des dysfonctions érectiles et des troubles éjaculatoires (absents, précoces …).
Enfin, et concernant les plus jeunes, de ce que l’on pourrait penser, alors que pour l’OMS ce sujet se doit d’être traité jusqu’à 40 ans pour les femmes et 70 ans pour les hommes, la question de la fertilité et de préservation de gamètes (ovules ou spermatozoïdes)… Et oui, intimité et sexualité sont également liées à des projets parentaux… La fertilité n’est quasi jamais abordée quel que soit l’âge ou le sexe du patient avant sa chimiothérapie ou radiothérapie et jamais avant chirurgie…
Ce sujet de la vie intime et sexuelle doit être discuté au plus tôt. Peut-être pas au moment de l’annonce où le patient a d’autre choses à penser, mais rapidement, pendant les traitements et, surtout, dès la fin des traitements pour prendre les choses au plus vite et à temps !
Enfin, que conseillerez-vous aux membres Carenity touchés par le cancer colorectal pour mieux appréhender la maladie, ses traitements et l’après-cancer ?
Surtout ne pas rester dans son coin, avec ses peurs, ses angoisses et ses questionnements. L’isolement est le pire ennemi du traitement, de la reprise d’un mode de vie acceptable, mais l’isolement est l’allié de la maladie.
Il faut parler, échanger avec des patients, des gens comme vous et leurs aidants. Il n’y a pas de questions « stupides ». Nous sommes tous humains ET NON RESPONSABLES de notre cancer …. Nous ne sommes pas des cas d’étude de la médecine. On a le droit à la démocratie en santé, d’être au courant, de comprendre le jargon des professionnels, de comprendre les traitements et d’émettre un avis sur ceux-ci.
Un dernier mot ?
Cette interview touche 2 points ultra, méga tabous en France. Les cancers colorectaux car il s’agit de selles et ça « ce n’est pas glamour », mais aussi de sexe et « c’est mal » comme on disait aux générations précédentes.
Il faut casser ces tabous, pour mieux vivre avec son cancer… Aucune raison de subir la double peine ! La santé sexuelle fait partie de la santé globale selon l’OMS … alors cassons les codes et sentons-nous bien dans nos corps, dans nos sexualités, dans nos vies. Exprimons, partageons, diffusons !
Nous ne sommes coupables de rien : ni de notre maladie, ni d’avoir (ou d’avoir envie d’une) une sexualité, quelque qu’elle soit, à quel qu'âge que ce soit !
Un grand merci à Cyril pour son témoignage !
1 commentaire
Vous aimerez aussi
L'impact psychologique du cancer : dépression, anxiété et syndrome de stress post-traumatique
8 janv. 2019 • 9 commentaires