Malade et menacé de licenciement, "la double peine"
Publié le 25 avr. 2018
De nombreux salariés sont menacés de désinsertion professionnelle du fait de leur maladie ou de leur handicap. Une mission pour sécuriser leur emploi doit rendre un rapport ces jours-ci.
A 26 ans, il a appris qu’il était porteur de la sclérose en plaques. En plus du choc de l’annonce, Eric (son prénom a été modifié) doit depuis faire face à une menace de licenciement. "Quand j’ai été hospitalisé, les soignants m’ont dit de ne rien dire à mon employeur", se souvient le jeune homme. Mais il ne se méfie pas et annonce sa maladie à la société de transportsqui l’emploie. "J’avais suivi une formation pour un poste qui ne nécessitait pas de conduire, ça tombait bien", précise-t-il ironiquement. Eric demande un mi-temps thérapeutique de trois mois à son employeur, qui accepte. "Au début, mon entreprise me soutenait, explique-t-il. C’est lorsque j’ai demandé la prolongation de mon mi-temps que cela s’est dégradé."
Le médecin du travail lui annonce alors qu’il risque d’être licencié pour inaptitude, une possibilité prévue par le code du travail. Pourtant, le praticien l’avait d’abord estimé apte à travailler avec des aménagements de poste – aménagements que l’employeur a l’obligation de mettre en place. "Mais le médecin m’a dit qu’ils étaient refusés par la direction", fustige le jeune homme. Aujourd’hui, il a engagé une procédure judiciaire contre son employeur : "C’est la double peine : on est malade et menacé de licenciement, alors qu’en réalité la maladie ne m’empêche pas de travailler."
Dramatique, son cas illustre les difficultés professionnelles que peuvent rencontrer les personnes atteintes d’une maladie ou d’un handicap. Un sujet au cœur des Assises du maintien dans l’emploi qui se déroulent cette semaine, à l’initiative de la Fédération régionale des services de santé au travail d’Ile-de-France.
En janvier, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) s’était alarmée dans un rapport du nombre de salariés menacés de désinsertion professionnelle du fait de leur maladie ou de leur handicap : selon elle, 5 % à 10 % de salariés seraient concernés. Soit entre un et deux millions de personnes.
Salariés pris en étau
Face à l’ampleur du problème, le gouvernement a confié à la présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées, Dominique Gillot, une mission pour sécuriser l’emploi des personnes handicapées, ainsi que de leurs aidants. L’ex-secrétaire d’Etat aux personnes âgées devrait présenter son rapport dans les jours à venir. "L’entreprise qui ne se met pas en position de prévenir la désinsertion professionnelle met en situation d’exclusion", alerte-t-elle.
"Un arrêt maladie prolongé éloigne le salarié de l’emploi et perturbe le fonctionnement de l’entreprise", pointe de son côté Gérald Demortière, médecin du travail et coordinateur de l’Association inter-entreprises de médecine du travail. Tandis que les employeurs craignent de voir les arrêts maladie s’enchaîner, les salariés sont parfois pris en étau entre les contraintes de la maladie et celles de leur vie professionnelle. Selon une enquête réalisée en 2014 par l’Institut national du cancer et citée par l’IGAS, trois personnes sur dix auront perdu ou quitté leur activité deux ans après le diagnostic.
Mais lorsque tombe le couperet de l’inaptitude, en particulier, difficile de rebondir professionnellement. La plupart des salariés déclarés inaptes à reprendre leur poste sont licenciés. Selon une étude réalisée par la Fédération régionale des services de santé au travail inter-entreprises d’Ile-de-France, seuls 34 % des salariés concernés fin 2017 travaillaient encore dans leur entreprise d’origine au bout d’un an. Quant à ceux qui n’ont plus leur poste, 8,7 % seulement avaient retrouvé du travail. Sachant que l’inaptitude ne dispense pas de la recherche d’emploi.
L’employeur est certes soumis à une obligation de reclassement, mais celle-ci est forcément limitée. "C’est particulièrement délicat dans les TPE, souligne M. Demortière. Une coiffeuse qui développe de l’asthme dans un salon de trois salariés, comment voulez-vous la reclasser ?"
Reconversion
S’ajoutent les comportements parfois abusifs d’employeurs tentés de pousser le salarié affaibli vers la sortie. Souffrant de troubles musculaires, Charlotte (prénom modifié), une ancienne collègue d’Eric, vient de remporter un procès contre son entreprise pour licenciement abusif et harcèlement moral. Après un arrêt maladie de six mois, cette conductrice de bus avait demandé un aménagement de poste. "A l’encontre des préconisations du médecin du travail, ils m’ont filé le plus vieux bus de la régie", dénonce-t-elle. Le ton monte et l’employée finit par être mise à pied. Elle a été licenciée peu après. Aujourd’hui, elle est en invalidité. "On m’a mise en difficulté, ça m’a usée alors que j’aurais pu travailler encore dix ans", regrette-t-elle.
Pour les salariés encore capables de travailler, mais qui ne peuvent pas reprendre leur poste, reste la voie de la reconversion. Un chemin aussi semé d’embûches. Valérie Pierre, la cinquantaine, a travaillé des années comme auxiliaire de vie auprès de l’Association d’aide familiale populaire. A la suite d’un problème cardiaque, elle est arrêtée deux ans. "J’ai tenté de reprendre mon travail, mais c’était trop physique, dit-elle. Il m’a fallu faire le deuil de mon métier."
Orientée par la Cramif, un organisme de Sécurité sociale, elle décide d’entreprendre une formation pour devenir employée administrative. Elle fait elle-même les démarches pour trouver un centre de formation. "Etant en arrêt maladie, je n’ai pas pu bénéficier de l’aide de mon employeur, explique-t-elle. Pour cela, il aurait fallu que je reprenne au moins quelques mois, le temps que ma demande de formation soit traitée." Valérie bataille pour que la Sécu maintienne ses indemnités, sans quoi elle n’aurait rien touché pendant la durée de sa formation. Mais ses efforts paient. Une collègue, au service administratif, part à la retraite. L’ex-auxiliaire de vie peut reprendre ce poste : "Tout le monde m’a dit que j’ai eu beaucoup de chance. A 50 ans, j’aurais eu du mal à retrouver du travail."
Handicap et état de santé, premier motif de discrimination
Au total, 160.000 avis d’inaptitude ont été prononcés dans le secteur privé en 2012, selon l’IGAS. Les contestations des avis d’aptitude ou d’inaptitude reçues par la Direccte Ile-de-France sont passées d’un peu plus d’une centaine en 2008 à près de 500 en 2015 (chiffres 2017 Direccte IDF). Le handicap et l’état de santé représentent le premier motif de discrimination dont le Défenseur des droits a été saisi en 2014. L’emploi est le premier domaine concerné, selon le rapport 2017 de cette autorité indépendante.
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Le Monde
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