Pourquoi sommes-nous fatigués ?
Publié le 16 nov. 2017
À l’arrivée de l’hiver, beaucoup de personnes se sentent fatiguées. Est-ce normal ou est-ce le signe que quelque chose ne va pas ? Réponse avec un spécialiste.
Tout le monde a déjà eu « un petit coup de mou ». Un emploi du temps chargé, un rhume ou un manque de sommeil peuvent expliquer sans mal cet état passager. Mais parfois, la fatigue s’installe plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Que cache-t-elle ? Comment y remédier ? Jean-Dominique de Korwin, gastro-entérologue au CHU de Nancy et spécialiste du syndrome de fatigue chronique, fait le point.
Un chiffre paraît inquiétant : presque 20 % des Français qui consultent un médecin se disent fatigués. Est-ce devenu le nouveau mal du siècle ?
Pr Jean-Dominique de Korwin. - Il faut relativiser. Les personnes qui consultent spécifiquement pour un problème de fatigue sont entre 1 et 3 %. En revanche, la notion de fatigue dans la consultation apparaît chez 10 à 25 % des consultants. N’oublions pas que nous sommes dans une époque qui cherche la performance. Les praticiens rencontrent beaucoup de patients qui disent : « Je n’y arrive plus, je ne peux plus faire ce que je faisais avant ! » L’âge, des pathologies interférentes sont souvent en cause. Mais avec des mesures hygiéno-diététiques relativement simples, les choses vont s’améliorer dans la plupart des cas.
Faut-il s’inquiéter lorsque l’on se sent régulièrement fatigué ?
Il faut faire une distinction liée à la durée. On évoque une fatigue chronique quand ses symptômes ont une durée au-delà de six mois. Les fatigues suivants une infection (rhume par exemple) ou liées à des interventions chirurgicales ou médicales en sont exclues car, théoriquement, elles ne doivent pas dépasser quatre à cinq mois. On peut aussi distinguer les fatigues dues à un effort particulier, une charge de travail inhabituelle mais temporaire. Ou, de manière plus prosaïque, si vous avez fait un semi-marathon, il est normal que votre corps soit fatigué et qu’il mette un peu de temps pour s’en remettre.
Quelles sont les différentes sortes de fatigue?
D’abord, la fatigue physiologique. Elle est liée à l’excès de dépense et à l’insuffisance de récupération. Ensuite, la fatigue toxicologique, découlant par exemple de l’usage de certains médicaments et la fatigue liée à des addictions, la dépendance à des substances (drogue, alcool) mais aussi à des activités comme le jeu vidéo. Ces fatigues-là ont des causes relativement faciles à détecter.
Celle liée à des raisons purement médicales est moins évidente. On va la définir en fonction de causes organiques, fonctionnelles ou psychiques. Les causes psychiques peuvent découler d’anxiété généralisée, de certaines psychoses comme la schizophrénie (parfois épuisante), de troubles obsessionnels compulsifs, de la dépression… La fatigue d’origine organique (diabète, tumeur, infections…) est finalement résolue aujourd’hui dans 90 % des cas après un bon interrogatoire, un examen clinique et quelques analyses complémentaires. La fatigue fonctionnelle, en revanche, liée au mauvais fonctionnement d’un organe ou d’un système, est un peu plus compliquée à cerner. Différentes causes peuvent se superposer.
Personne n’a isolé LE gène qui serait responsable de la fatigue. En revanche, il existe des familles qui sont plus fatiguées que d’autres. La cause en est souvent un terrain fonctionnel avec des facteurs génétiques mal identifiés, des éléments environnementaux mais aussi psychologiques. On peut inclure dans ces catégories des syndromes somatiques fonctionnels, comme le syndrome de l’intestin irritable, celui de fatigue chronique, la fibromyalgie… Enfin, tous ces syndromes pour lesquels la médecine n’a pas encore d’explication, mais dont la cause n’est pas essentiellement psychique, comme beaucoup le pensent.
Difficile de s’y retrouver. Quels sont les signes qui doivent alerter?
Faire preuve de bon sens d’abord. L’impression d’être à plat, d’un réel manque d’énergie, une sensation de vide intérieur doit alerter la personne si cela dure au moins trois semaines à un mois. Il faut distinguer cela de troubles plus significatifs comme le mal-être ou la somnolence. On a fait d’énormes progrès dans la compréhension des troubles du sommeil.
Et on s’est aperçu que l’apnée du sommeil était beaucoup plus fréquente qu’on ne l’imaginait et qu’elle n’affectait pas seulement des catégories de populations comme les obèses, les hypertendus… On la retrouve en fait chez beaucoup de sujets qui ne correspondent pas du tout à ces critères. Aujourd’hui, les médecins disposent de tests très simples pour diagnostiquer ces syndromes. Le questionnaire d’Epworth, par exemple, est très efficace pour détecter une somnolence diurne anormale.
S’il fallait donner une définition médicale de la fatigue en tant que maladie, que diriez-vous?
Une définition toute simple : c’est une fatigue qui dure et qui n’est pas améliorée par le repos, contrairement à une fatigue purement d’ordre physiologique et qui va disparaître si la personne récupère.
Les spécialistes ont tendance à dire que la fatigue est un des symptômes les moins spécifiques en médecine. Partagez-vous cet avis ?
Oui, c’est compliqué, car la fatigue est un ressenti physico-psychique. Le travail du médecin va consister à bien caractériser ce qui se passe, notamment en analysant le verbatim des patients. Il faut distinguer ce qui est une fatigabilité à l’effort ou simplement le fait que le patient n’arrive plus à faire naturellement ce qu’il faisait avant. Cela peut être une difficulté à marcher, dans ce cas, l’origine de « la fatigue » sera neuromusculaire, ou un essoufflement rapide, dont la cause peut être cardiaque ou encore respiratoire. Des causes donc diverses et très disparates. S’ajoutent à cela des ressentis qui peuvent être très variables d’un sujet à l’autre. Quelqu’un de très actif, constatant une perte de ses performances, va se sentir fatigué alors qu’il a toujours une activité largement supérieure à la moyenne!
Faut-il accepter sa fatigue ?
Oui, si elle est explicable. Si je fais trop de choses, si je me surmène, si je puise dans mes réserves, si je ne mange pas assez, si je suis en dette de sommeil, alors il est logique que je sois fatigué. La plupart du temps, le manque de sommeil est au cœur de cette spirale. Nous ne dormons plus assez. Cela finit par être très handicapant.
Dans une période de forte sollicitation professionnelle ou du fait des enfants, voire les deux, existe-il des gestes simples pour éviter un état de fatigue handicapant ?
Dans ces passages d’une vie à forte tension, il faut rester très à l’écoute de son corps. Il faut d’abord s’alimenter correctement. Ensuite, prendre particulièrement soin de son sommeil. Cela ne veut pas dire dormir beaucoup mais faire en sorte qu’il soit de bonne qualité. Pour une majorité de la population, c’est un minimum de 6 à 8 heures par jour. On peut avoir des nuits plus courtes, mais à condition de s’accorder des temps de récupération dans la journée.
La relaxation est essentielle dans notre vie moderne, où l’on est constamment sur la brèche. Et, enfin, il faut s’entretenir physiquement. L’exercice physique fatigue, certes, mais il tonifie l’organisme. Au-delà de 50 ans, c’est indispensable.
Un conseil : analyser son état au réveil. Si vous êtes fatigué, que vous avez des courbatures et des douleurs, vous êtes dans une situation de surmenage dont le stade extrême peut être l’épuisement professionnel, le burn-out bien connu. Alors attention.
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Le syndrome de fatigue chronique
Cette pathologie pas si rare toucherait entre 0,2 % et 2 % de la population et préférentiellement les femmes. Il s’agit là, pourtant, d’une estimation approximative compte tenu de la difficulté à poser un diagnostic. Il n’existe en effet aucun test biologique, aucun marqueur spécifique.
Une fois que l’on a éliminé d’autres causes possibles de fatigue, on applique une grille de critères qui a été récemment simplifiée. « Le syndrome est évoqué en cas d’épuisement intense et durable, empêchant les activités, avec un sommeil non réparateur, si un effort important provoque une sorte de malaise et que la personne éprouve des difficultés à rester debout ou présente des troubles cognitifs », détaille le Pr Jean-Dominique de Korwin.
La cause de cette fatigue extrême n’est pas connue. « Cela est très déroutant car, malgré de très nombreux travaux réalisés, sa physiopathologie n’est toujours pas élucidée », remarque le Pr de Korwin. « A ce jour, nous prenons en charge tous les patients de la même façon alors qu’il y a probablement derrière cet état d’épuisement durable plusieurs causes différentes. C’est l’inconnu ! », renchérit le Dr Laurent Chiche, interniste à l’Hôpital européen de Marseille. Quelques pistes se dessinent néanmoins. Notamment une origine multifactorielle avec des facteurs déclenchants, probablement des infections, des facteurs d’entretien, probablement psychologiques. Le tout sur fond d’anomalies inflammatoires, immunitaires et musculaires.
Les médecins n’ont pas de solution
Identifier un mécanisme pathologique permettrait de trouver des solutions thérapeutiques car, pour l’instant, les médecins n’ont pas grand-chose à proposer. La prise en charge repose sur un soutien psychologique pour apprendre à gérer son énergie ou encore sur la réadaptation à l’effort, mais les résultats ne sont pas toujours probants.
Des travaux se poursuivent donc pour tenter de comprendre les mécanismes de la maladie et tester de nouvelles approches thérapeutiques. « Il y a un réel intérêt des chercheurs et des industriels dans le domaine car ce syndrome concerne des milliers de personnes et a un impact médico-économique majeur », rappelle le Dr Chiche. « Des moyens financiers importants sont investis dans la recherche aux Etats-Unis et une coordination européenne se met en place », précise le Pr de Korwin. Un projet de cohorte est également en cours de discussion en France, sous l’impulsion du conseil scientifique de l’Association française du syndrome de fatigue chronique.
Les patients, eux, cherchent également de leur côté, souvent sur Internet ! C’est ainsi que certains dénoncent le risque d’intoxication aux métaux lourds, l’exposition aux radiofréquences, la maladie de Lyme chronique, autant de facteurs suspectés d’entraîner une fatigue chronique mais sans preuve établie à ce jour.
Face à tant d’inconnues et à l’absence de traitements, est-il utile de consulter ? Oui, pour Laurent Chiche, car le fait d’éliminer la présence d’une maladie et de préciser un état de santé permet de rassurer les patients et d’éviter une surconsommation médicale.
Et vous, êtes-vous fatigué ?
Le Figaro Santé
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