Se réveiller sous anesthésie : un cauchemar bien réel
Publié le 23 sept. 2014
Ce type d'événement indésirable a lieu dans près d'un cas sur 20.000. Rare, mais traumatisant.
Des bruits de pas, du monde, les paroles d'un chirurgien… Sandra vient de se réveiller au beau milieu d'une opération d'orthodontie sous anesthésie générale. Incapable de bouger ou de s'exprimer, elle est terrorisée et croit mourir. Personne ne se rend compte de son état. Personne ne la croira non plus lorsqu'elle racontera cet épisode.
Voilà un récit typique des 300 rapports de réveil conscient sous anesthésie générale collectés par des chercheurs britanniques. Ils viennent de mener la plus vaste enquête jamais réalisée sur ce problème rare, mais traumatisant.
Le projet NAP5 (National Audit Project) a été mené par le Collège royal des anesthésistes et l'Association des anesthésistes de Grande-Bretagne et d'Irlande. Il a mobilisé la totalité des 375 hôpitaux publics du Royaume-Uni et d'Irlande qui, entre 2012 et 2013, ont rapporté tous les événements de ce type déclarés spontanément par des patients. Ce travail colossal a permis de déterminer la fréquence de ces incidents, mais aussi leurs causes identifiables et leurs conséquences. Des données publiées dans Anaesthesia et le British Journal of Anaesthesia.
Facteurs de risques
«Il s'agit d'un vrai sujet, un phénomène connu et mal appréhendé», reconnaît Francis Bonnet, vice-président de la Société française d'anesthésie et de réanimation. «Nous savons qu'au cours de ces événements très rares, le patient a une perception réelle de son environnement pendant quelques minutes et s'en souvient à l'issue de l'opération, immédiatement ou dans les jours qui suivent, précise-t-il. C'est presque toujours un événement psychologiquement traumatisant.»
D'après les auteurs britanniques, ce type de réveil intempestif, rarissime, surviendrait au cours d'une anesthésie générale sur 19.600. Mais plusieurs facteurs augmentent le risque, à commencer par l'utilisation de myorelaxants au cours de l'opération ; le taux passe à alors à un réveil pour 8000 anesthésies, contre un pour 136.000 quand l'anesthésiste se passe de ces produits.
«Ils sont très souvent utilisés au cours des opérations pour permettre le relâchement des muscles afin d'intuber le patient, d'accéder à certains organes, par exemple dans l'abdomen, et pour éviter des gestes involontaires du patient », détaille Francis Bonnet. Lorsqu'un myorelaxant a été donné, aucun mouvement ne permet d'alerter l'anesthésiste en cas de réveil débutant.
Plus de risques pendant une césarienne
D'autres facteurs sont associés à ces réveils, car ils compliquent le travail de l'anesthésiste: une obésité, des voies aériennes mal dégagées ou encore une situation d'urgence. Le fait d'être une jeune femme et l'utilisation du thiopental sont d'autres éléments favorisants. Une femme qui subit une césarienne sous anesthésie générale et cumule à peu près tous ces facteurs risque donc de se réveiller dans un cas sur 670! «Les traumatismes ou la césarienne en urgence sous anesthésie générale sont en effet des situations à risque de réveil, car des événements comme une hypotension liée à une hémorragie ou encore la nécessité de contrôler rapidement les voies aériennes peuvent amener à induire une anesthésie moins profonde», confirme Francis Bonnet.
L'expérience peut être lourde de conséquences, avec des séquelles psychologiques à long terme dans environ la moitié des cas, selon les Britanniques. Il se peut qu'une douleur ou un tiraillement soient ressentis, mais les patients sont dans la plupart des cas placés sous morphine, la douleur est donc modérée. Dans l'étude, 18 % des personnes ont évoqué une douleur, moins traumatisante cependant que les difficultés à respirer à cause de l'intubation ou le fait de se sentir totalement paralysé.
«Elle a senti l'incision»
«Il s'agit effectivement d'un événement traumatisant», estime le Dr Soraya Chabbouh, anesthésiste à l'hôpital Cochin à Paris. Au cours de sa carrière, deux patientes lui ont rapporté de telles expériences. «L'une s'est réveillée au début d'une opération pour une hernie discale après avoir été endormie dans une autre salle puis déplacée dans le bloc opératoire. Elle a senti l'incision. Dix ans après, sa qualité de sommeil était toujours altérée et elle continuait à faire des cauchemars. Il y a moins de deux ans, une autre patiente m'a raconté le même genre d'expérience à la suite d'une opération de gynécologie. Cela l'a d'autant plus effrayée que c'était la seconde fois que ça lui arrivait.»
Pourtant, 75 % de ces réveils seraient évitables selon les chercheurs britanniques, qui émettent 64 recommandations. «Nous proposons une “check-list” de tout ce qui doit être effectué et vérifié. Par exemple, il faut utiliser un stimulateur neuronal pour s'assurer que les myorelaxants n'ont pas inhibé totalement l'activité musculaire. Nous proposons aussi, quand c'est possible, de remplacer le thiopental par un autre produit. Enfin, nous insistons sur la prise en charge des patients en cas de réveil. L'indifférence du corps médical et de l'entourage peut aggraver le ressenti avec un risque de syndrome post-traumatique à long terme. Le patient doit être écouté et pouvoir bénéficier d'un accompagnement psychologique», détaille Jaideep Pandit, coordinateur principal de l'étude à l'hôpital universitaire d'Oxford.
Restent les 25 % d'éveils qui semblent inévitables. «Nous ne savons pas les expliquer. Il s'agirait d'une résistance du patient à l'anesthésie. Parmi ces personnes, 5 % avaient déjà connu un tel événement, eux-mêmes ou un membre de leur famille. Il faudrait donc peut-être aller regarder du côté des gènes», conclut Pandit.
LeFigaro.fr
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