Rectocolite hémorragique (RCH) et santé mentale : existe-t-il un lien caché ?
Publié le 7 avr. 2025 • Par Somya Pokharna
Vivre avec la rectocolite hémorragique (RCH), c'est bien plus que gérer les allées et venues aux toilettes et les poussées. Si vous avez déjà remarqué que le stress, l'anxiété ou la déprime semblent aggraver vos symptômes, vous n'êtes pas en train d'imaginer les choses. Les chercheurs découvrent un lien puissant entre votre bien-être émotionnel et votre santé intestinale, ce que l'on appelle le lien entre l'esprit et l'intestin.
Quel est donc l'impact de la santé mentale sur la rectocolite hémorragique, et vice versa ? Et le fait de prendre soin de votre bien-être émotionnel peut-il également contribuer à calmer votre intestin ?
On vous dit tout dans notre article !

Quelle est la prévalence des troubles de santé mentale chez les personnes atteintes de rectocolite hémorragique (RCH) ?
La dépression et l’anxiété sont beaucoup plus fréquentes chez les personnes vivant avec une rectocolite hémorragique (RCH) que dans la population générale. En effet, des études suggèrent que jusqu’à 65 % des patients atteints de RCH présentent des symptômes d’anxiété, tandis que près de 60 % montrent des signes de dépression, en particulier lors des poussées de la maladie. Même en période de rémission, de nombreux patients continuent à ressentir une détresse émotionnelle, notamment lorsque des symptômes persistants, comme la fatigue ou l’urgence fécale, interfèrent avec leur quotidien.
Au-delà du fardeau émotionnel lié à la gestion d’une maladie chronique et imprévisible, les patients peuvent également faire face à la stigmatisation, à l’isolement ou à une gêne liée à leurs symptômes. Ces aspects sont souvent passés sous silence et restent non traités, laissant de nombreuses personnes souffrir en silence. Cette sous-reconnaissance est pourtant problématique, car des troubles de santé mentale non pris en charge peuvent affecter non seulement la qualité de vie, mais aussi l’efficacité des traitements et l’évolution de la maladie.
Qu’est-ce que l’axe intestin-cerveau et quel est son lien avec la rectocolite hémorragique (RCH) ?
L’axe intestin-cerveau désigne le réseau complexe de communication entre le tube digestif et le système nerveux central. Ce système bidirectionnel permet aux signaux de circuler entre le cerveau et l’intestin via le nerf vague, les réponses immunitaires et un écosystème de bactéries intestinales appelé microbiote.
La science de l’axe intestin-cerveau
Des découvertes récentes ont montré que l’intestin abrite des milliards de micro-organismes qui produisent et interagissent avec des neurotransmetteurs comme la sérotonine, dont plus de 90 % sont fabriqués dans l’intestin. Ces microbes ne se contentent pas de réguler la digestion et la fonction immunitaire ; ils influencent également l’humeur, la cognition et la résilience émotionnelle. Chez les personnes atteintes de RCH, la composition du microbiote intestinal subit souvent des modifications importantes, en particulier lors des phases inflammatoires actives. Des études ont mis en évidence une réduction de la diversité microbienne et une augmentation des bactéries pro-inflammatoires chez les individus souffrant à la fois de RCH et de troubles anxieux ou dépressifs.
L’inflammation chronique, caractéristique de la RCH, est également associée à des niveaux élevés de cytokines, des substances chimiques pouvant perturber le fonctionnement cérébral et affecter l’humeur. Cela pourrait expliquer pourquoi certains patients développent des symptômes dépressifs même en l’absence de facteurs de stress psychologiques.
Inflammation, humeur et symptômes de la RCH
Le stress émotionnel peut à son tour influencer le système immunitaire et le fonctionnement intestinal. L’anxiété peut aggraver l’urgence fécale, la sensibilité à la douleur et la fatigue, tandis qu’un état dépressif peut altérer la capacité du corps à réguler l’inflammation. Il en résulte un cercle vicieux où les symptômes physiques aggravent la santé mentale, et inversement. Ce lien n’est pas purement théorique : les recherches en neuro-immunologie et en psycho-gastroentérologie continuent d’identifier des voies biologiques reliant les maladies intestinales aux troubles psychologiques.
Les troubles de santé mentale peuvent-ils déclencher des poussées de rectocolite hémorragique (RCH) ?
De plus en plus de preuves suggèrent que la détresse psychologique peut jouer un rôle dans l’évolution de la maladie. Le stress, qu’il soit aigu ou chronique, est un facteur susceptible de déclencher des poussées chez certaines personnes atteintes de rectocolite hémorragique. Ce phénomène peut s’expliquer par des comportements modifiés, tels qu’une moindre observance des traitements ou des troubles du sommeil, mais aussi par des réactions physiologiques, notamment la libération d’hormones de stress et une dérégulation du système immunitaire.
Les sentiments de deuil, de traumatisme ou d’inquiétude prolongée peuvent constituer des déclencheurs puissants. Les personnes ayant des antécédents de dépression ou d’anxiété sont plus susceptibles de connaître des poussées plus fréquentes ou plus intenses. Par ailleurs, de nombreux patients diagnostiqués récemment rapportent un événement stressant majeur ayant précédé l’apparition de la maladie. Même en période de rémission, des symptômes proches du syndrome de l’intestin irritable (SII) peuvent survenir, alimentant l’anxiété liée aux poussées et altérant le bien-être global.
Le poids émotionnel de la RCH, en particulier chez les jeunes adultes et les femmes, peut également engendrer des préoccupations liées à l’image corporelle, des tensions relationnelles ou des craintes concernant l’emploi et l’autonomie. Ces sources de stress ajoutent une charge psychologique qui alimente davantage le cycle de la maladie.
En quoi le traitement des troubles de santé mentale peut-il améliorer la prise en charge de la rectocolite hémorragique (RCH) ?
Prendre en charge les troubles psychologiques associés à la RCH ne se limite pas à un simple mieux-être émotionnel. Les études montrent que cela peut également améliorer les symptômes physiques, réduire la fréquence des poussées et renforcer l’efficacité des traitements médicaux. La prise en compte de la santé mentale est donc un élément essentiel d’une approche de soins globale.
Thérapies psychologiques
Plusieurs types de thérapies psychologiques ont démontré leur efficacité chez les patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) est l’une des approches les plus étudiées et les plus efficaces. Elle vise à identifier et modifier les schémas de pensée et les comportements négatifs contribuant au stress et à la dépression. La TCC a montré qu’elle pouvait réduire l’anxiété, améliorer l’humeur et même diminuer certains marqueurs inflammatoires.
L’hypnothérapie dirigée vers l’intestin est une autre approche prometteuse. Elle repose sur des techniques d’imagerie mentale et de relaxation profonde pour influencer le fonctionnement intestinal et réduire la sévérité des symptômes. Cette thérapie peut être particulièrement bénéfique pour les patients présentant des symptômes proches du SII ou une détresse persistante malgré une rémission.
D’autres approches thérapeutiques incluent la gestion du stress, la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience et la thérapie d’acceptation et d’engagement. Bien qu’elles ne permettent pas de guérir la RCH, elles contribuent significativement à alléger le fardeau émotionnel de la maladie et à améliorer le fonctionnement quotidien.
Traitements
Dans certains cas, un traitement médicamenteux peut être nécessaire pour gérer l’anxiété ou la dépression. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et d’autres antidépresseurs se sont révélés efficaces chez les patients atteints de RCH. Certains d’entre eux pourraient même apporter des bénéfices légers sur les symptômes intestinaux grâce à leur action sur les voies de la sérotonine. Il est essentiel de collaborer étroitement avec un gastro-entérologue et un professionnel de santé mentale afin de s’assurer que les traitements sont adaptés et compatibles avec la prise en charge de la RCH.
Changements de mode de vie
L’activité physique régulière, même sous une forme douce comme la marche ou le yoga, peut aider à réguler l’humeur et à réduire l’inflammation. Une bonne hygiène de sommeil, une alimentation équilibrée et anti-inflammatoire, ainsi que des techniques de relaxation comme la respiration profonde ou la méditation, peuvent également favoriser le bien-être physique et émotionnel. De nombreux patients trouvent aussi du soutien en rejoignant des groupes de discussion ou des communautés en ligne, ce qui peut atténuer le sentiment d’isolement.
Quand faut-il demander de l’aide ?
Il est important de reconnaître les signes indiquant qu’un soutien est nécessaire. Une tristesse persistante, une perte d’intérêt pour les activités habituelles, des troubles du sommeil, des difficultés de concentration ou des modifications de l’appétit et du niveau d’énergie peuvent être des indicateurs de dépression ou d’anxiété.
Les personnes atteintes de RCH devraient discuter de leur santé mentale avec leur équipe médicale lors des consultations de suivi. La santé mentale n’est pas une question secondaire, mais un élément clé de la gestion des maladies chroniques. Une prise en charge précoce peut améliorer non seulement l’humeur et la résilience, mais aussi réduire les hospitalisations, la consommation de médicaments et les complications liées à la maladie.
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