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La thèse de Damien de Carenity : la plasticité, ou quand le cerveau se rééduque

Publié le 23 mai 2019 • Par Louise Bollecker

Data Scientist chez Carenity, Damien est également l’auteur d’une thèse sur la plasticité du cerveau, c’est-à-dire les mécanismes par lesquels le cerveau est capable de se modifier lors d’une phase d’apprentissage. Il a particulièrement travaillé sur les facultés du cerveau à rééduquer l’un des yeux après un certain âge, en étudiant le cortex visuel binoculaire chez la souris. Il nous parle de ses recherches et des possibilités qu’ouvrent les récentes découvertes pour soigner des maladies chroniques.

La thèse de Damien de Carenity : la plasticité, ou quand le cerveau se rééduque

Bonjour Damien, quand es-tu arrivé chez Carenity et quel est ton rôle ici ?

Bonjour Louise, je suis arrivé chez Carenity en février 2019 à la suite de ma thèse. Au sein de Carenity, je suis dans l’équipe de Data Science. Nous nous efforçons de porter la voix du patient grâce à l’élaboration de questionnaires, de l’analyse des réponses et par la restitution des résultats le plus fidèlement possible aux acteurs du système de santé.

portrait

Ta thèse en neurosciences s’intéresse à la plasticité du cerveau. Peux-tu nous expliquer ce qu’est la plasticité et comment elle évolue au cours de notre vie ?

La plasticité correspond à la capacité du cerveau à être modifié à la suite d’un changement d’environnement. Au cours de notre développement, il existe des fenêtres temporelles précises à forte plasticité (appelées périodes critiques). Ces périodes critiques sont des fenêtres d’apprentissage étalées au cours du développement. En effet, nous n’apprenons pas tout en même temps : c’est d’abord nos aires sensorielles primaires (vue, audition, ouïe …) qui sont plastiques, puis les zones du cortex correspondant à la locomotion, langages et enfin des aires cognitives supérieures (pour plus d’information voir Hensch et al., 2005). Une fois adulte, toutes ces périodes critiques sont terminées, et le cortex adulte est peu plastique (Figure 1). Cette plasticité nous permet d’expliquer qu’il est plus facile à apprendre à marcher ou à parler une nouvelle langue lorsqu’on est jeune qu’adulte.

figure 1

Figure 1 : Les différentes périodes critiques au cours du développement postnatal

Un cerveau trop plastique ou, au contraire, trop peu plastique serait à l’origine de certaines maladies. Peux-tu nous en dire plus ?

C’est une bonne chose que le cortex adulte ne soit plus plastique, cela nous permet de mémoriser ce qui a été appris. En effet, si notre cerveau était toujours plastique, nous n’arriverons pas à garder l’information apprise, ce qui ressemblerait à des symptômes d’Alzheimer. Par exemple, j’ai appris à faire du vélo quand j’étais jeune (au cours d’une période critique) mais cela fait 2 ans que je n’en ai pas fait. Pourtant, aujourd’hui, je pourrais refaire du vélo sans problème car cette information a été enregistrée.

Il existe certaines maladies qui peuvent être dues à une mauvaise période critique (trop courte ou trop longue) ou dues à un mauvais apprentissage durant cette période (pas les stimuli adéquats). C’est notamment le cas de l’amblyopie, pour laquelle les afférences des yeux au cortex visuel binoculaire n’est pas optimal. Dans ces cas-là, il serait intéressant de pouvoir rouvrir temporellement une fenêtre de plasticité chez l’adulte pour pouvoir apprendre plus tard ce qui a été mal appris. De même, la rééducation après un AVC pourrait être facilitée par une réouverture de la période critique en enlevant ce frein à l’apprentissage.

Ta thèse est centrée sur le cortex visuel, où une fenêtre de plasticité chez les enfants permet d’apprendre aux deux yeux de se connecter au bon endroit du cortex visuel. Lorsque cela a été mal appris, on parle en effet d’amblyopie, ou syndrome de « l’œil paresseux », c’est-à-dire une différence d'acuité visuelle entre les yeux. Sur quel point précis de ce phénomène t’es-tu penché ?

En effet, l’amblyopie correspond à une maladie qui affecte les patients ayant les afférences des deux yeux qui ne sont pas bien connectées au niveau du cortex visuel binoculaire. Nous pouvons corriger ce problème si nous fermons l’œil qui se connecte trop à ce cortex pendant la période critique. Chez l’homme,cette période critique se ferme entre 10 et 12 ans. Après 12 ans, l’amblyopie est plus difficile à corriger car le cortex visuel adulte est moins plastique (période critique fermée). Au cours de ma thèse, je me suis intéressé à développer des outils permettant de redonner de la plasticité au cortex visuel adulte en ré-ouvrant une période critique.

Que sait-on du fonctionnement de la plasticité visuelle chez les souris ?

Les premières études sur les périodes critiques ont été effectuées sur le cortex visuel. Ces études ont mis en lumière les mécanismes biologiques qui permettent d’expliquer l’ouverture et la fermeture de la période critique. Parmi tous ces facteurs, il a été démontré que la concentration d’une certaine molécule (appelée Otx2) contrôle l’ouverture et la fermeture de la période critique (fenêtre de plasticité). Ce qui est intéressant est le fait que cette molécule n’est pas produite par les cellules du cortex visuel mais y arrive grâce au liquide cérébro-spinal (produit par le plexus choroïde). Ainsi, Otx2 reconnaît les cellules qui contrôlent cette plasticité grâce à la matrice extracellulaire qui entoure ces cellules, et notamment un « sucre » de cette matrice.

Il est maintenant admis un modèle de période critique avec deux seuils d’accumulation d’Otx2 dans ces cellules qui contrôlent la plasticité du cortex visuel. A partir d’un premier seuil d’accumulation d’Otx2, il y a ouverture de la période critique (en bleu Figure 2). Otx2 continue à s’accumuler jusqu’à un deuxième seuil qui ferme cette fenêtre de plasticité. Ce qui est primordial est le fait qu’Otx2 doit continuer à s’accumuler chez l’adulte pour maintenir l’état non plastique de ce cortex (Figure 2).

figure 2

Figure 2: modèle à deux seuils d’accumulation d’Otx2 au contrôle de la période critique

Comment peut-on jouer sur ce mécanisme pour ouvrir plus tard une nouvelle fenêtre de plasticité ?

Etant donné qu’Otx2 doit continuer à s’accumuler dans ses cellules cibles chez l’adulte pour maintenir l’état non plastique, si nous diminuons la quantité d’Otx2 qui y parvient, nous pouvons passer sous le deuxième seuil d’accumulation d’Otx2 et ainsi rouvrir une fenêtre de plasticité (Figure 2). Il existe différentes façons de diminuer cette quantité d’Otx2. Au cours de ma thèse, je me suis plutôt intéressé à l’interaction d’Otx2 avec le « sucre » qu’il reconnaît. Ainsi, si nous injectons ces sucres dans le cortex, Otx2 s’y accroche et ne s’accumule plus dans les cellules qui contrôlent la plasticité, ce qui diminue la quantité d’Otx2 et donc une réouverture de plasticité. Il est difficile de réaliser cela, car ce sucre précis est difficile à extraire et à synthétiser (près d’un an de synthèse). Ainsi, avec l’aide de chimistes, nous avons caractérisé un composé facile à synthétiser (1 semaine de synthèse) qui mime le sucre qu’Otx2 reconnait. L’injection de ce composé dans le cortex de souris a permis de tromper Otx2 et d’interagir avec lui. Ainsi, moins d’Otx2 est disponible pour les cellules du cortex ce qui réouvre une fenêtre de plasticité chez l’adulte. Cette molécule innovante a été brevetée au cours de ma thèse.

Quelles perspectives ce brevet ouvre-t-il pour la recherche médicale ? Quelles sont les prochaines étapes ?

Ce brevet possède de nombreuses perspectives, aussi bien pour la recherche médicale que pour la recherche fondamentale. En effet, réussir à mimer des sucres grâce à une synthèse rapide et facile permettra d’étudier plus finement les rôles physiologiques de ces sucres. Bien entendu, cette découverte est la première étape d’un long chemin avant de trouver la formulation optimale à l’interaction de ces mimes avec les protéines ayant un rôle physiologique important.

À terme, est-ce que d’autres cortex pourront-ils être ainsi ajustés, de la même manière que la vision ?

Le rôle d’Otx2 dans la plasticité a tout d’abord était caractérisé dans le cortex visuel. Etant donné qu’Otx2 est notamment sécrété par le plexus choroïde dans le liquide cérébro spinal, nous retrouvons Otx2 dans plusieurs différents cortex (Figure 3). C’est pourquoi, son rôle dans d’autres cortex a été étudié et ces études ont démontré qu’il avait un rôle similaire dans deux autres cortex (auditif et piriforme). Il serait ainsi envisageable qu’Otx2 contrôle de nombreuses périodes critiques au cours du développement de notre cerveau (pour plus d’information Di Nardo et al., 2018).

figure 3

 


Merci beaucoup à Damien d’avoir partagé ses recherches avec nous !
Aviez-vous déjà entendu parler de la plasticité du cerveau ?
Avez-vous des questions ou des remarques ?

 

 

Hensch TK (2005) Critical period plasticity in local cortical circuits. Nat Rev Neurosci 6:877–888.

Di Nardo AA, Fuchs J, Joshi RL, Moya KL, Prochiantz A (2018) The Physiology of Homeoprotein Transduction. Physiological Reviews, 98(4):1943-198.

avatar Louise Bollecker

Auteur : Louise Bollecker, Community Manager France & Content Manager

Community Manager de Carenity en France, Louise est également rédactrice en chef du Magazine Santé pour proposer des articles, vidéos et témoignages centrés sur le... >> En savoir plus

7 commentaires


la3ziza
le 08/07/2019

@Guy.Belgique je 


Rochambeau
le 27/07/2019

Je me demande bien ce qu'Adrien, après sa thèse, peut bien espérer de ce site... enfin, si ça lui permet un certain temps, de "mettre du beurre dans les épinards"... mais ensuite, il faut savoir rebondir ! moi, je n'ai travaillé que 2 mois en France, avant de partir à Hong Kong, et depuis, je fais partie de la communauté des français de l'étranger, où tout le monde connaît tout le monde, même si nous ne cessons d'être mutés dans des pays différents.

Je suis très proche de la Fondation Française de Recherche sur l'Epilepsie (www.fondation-epilepsie.fr) et de l'ICM www.institutducerveauetdelamoelle.fr. J'ai pris mon bâton de pèlerin et je distribue l'intégralité de la traduction de mes 3 mois en service de pointe en Allemagne (1 mois en neurochirurgie à l'Uniklinik de Köln, puis 2 mois dans un hôpital de Bonn où tous les patients étaient en fauteuil roulant, pour des raisons TRÈS différentes), à des médecins de campagne en France, car c'est ma façon de lutter contre les "déserts médicaux".

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