Bernard Bégaud: «Pour le paracétamol, les effets secondaires ont pu être ignorés»
Publié le 10 mars 2015
Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie à l’université de Bordeaux, est l’un des grands spécialistes français des médicaments et de leurs effets secondaires. En septembre 2013, avec Dominique Costagliola, il avait rendu un rapport à la ministre de la Santé, Marisol Touraine, «sur la surveillance et la promotion du bon usage des médicaments en France». Il revient sur l’étude anglaise, publiée la semaine dernière (1), qui pointe les risques, longtemps sous-estimés, liés à la prise de paracétamol à long terme.
L’incontournable Doliprane, médicament le plus vendu en France, serait-il dangereux ?
Non, mais on assiste toujours au même scénario. On fait semblant de découvrir qu’un produit, qui est actif et efficace, peut avoir des effets secondaires. Les deux marchent toujours de pair. Que dit l’étude des chercheurs de Leeds ? C’est d’abord une méta-analyse sur des utilisateurs à long terme, c’est-à-dire un travail mené à partir d’études déjà publiées. Elle montre un taux de mortalité accru pouvant atteindre 63% chez les patients consommant de manière répétée des doses relativement importantes (3 grammes par jour). La prise régulière de paracétamol augmenterait le risque de maladies cardiovasculaires (jusqu’à 68%), en cas de consommation de plus de 15 comprimés par semaine. Quant au risque de développer des problèmes gastro-intestinaux et rénaux, il est augmenté en cas de consommation régulière.
Une surprise ?
Pas vraiment, on connaissait en grande partie ces effets secondaires sur les gros consommateurs de paracétamol. Certains, comme la toxicité pour le rein, sont suspectés depuis l’origine. La toxicité pour le foie est un classique, et probablement le problème principal. Pour autant, il ne faut pas jeter l’anathème sur le paracétamol, car son rapport bénéfice-risque reste très bon.
Pourquoi n’évoque-t-on ces risques que maintenant ?
Cela tient peut-être à l’histoire du paracétamol. Ce produit a longtemps été considéré comme un médicament particulièrement sûr. Les raisons ? Découvert après l’aspirine, il s’est peu à peu imposé au fil des effets indésirables que l’on découvrait chez l’aspirine, tels sa toxicité pour le tube digestif ou le risque en cas de fièvre éruptive (scarlatine et autres) du jeune enfant, etc. Son succès s’est fait là-dessus, le paracétamol étant, en quelque sorte, promu comme l’antidouleur qui ne provoquait pas… de douleurs à l’estomac. Et les effets secondaires du paracétamol ont pu être en partie ignorés.
Aujourd’hui se pose la question de la surveillance de ces médicaments aussi massivement prescrits…
C’est une question prioritaire. Le paracétamol, c’est 400 millions de boîtes vendues en France, un marché énorme. Il faut absolument mettre en place des études et une surveillance ciblée sur ces médicaments si massivement prescrits et utilisés parfois durant des dizaines d’années. Si l’on ne fait rien, nous risquons de déboucher sur ce que l’on a vu récemment avec les pilules de troisième génération : on a étalé publiquement des chiffres contradictoires sur un risque pourtant déjà bien connu.
Pourquoi ce type de surveillance n’existe-t-il pas ?
Les auteurs de l’étude britannique le reconnaissent eux-mêmes : ils n’ont retenu que 8 enquêtes sérieuses sur les 1 900 qu’ils avaient recensées et regrettent que si peu de données soient disponibles. Ceci nous amène à la vraie question : est-il acceptable que même pour le médicament le plus consommé en France, les prescripteurs n’aient pas à leur disposition des données sérieuses concernant les conséquences sur le foie, le rein ou autre d’une utilisation prolongée ? Il me paraît indispensable de surveiller de façon prioritaire ces expositions de masse.
Qu’attend-on ?
Nous restons un pays en crise par rapport au médicament, et j’avoue ne pas comprendre qu’il n’y ait pas eu un effort plus grand pour développer une information indépendante et largement accessible. Pour l’instant, ce sont les médias qui jouent ce rôle et les autorités qui réagissent. Il me paraîtrait plus sain que ce soit l’inverse.
(1) Dans la revue britannique «Annals of the Rheumatic Diseases».
Libération.fr
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