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De Kanye West à Mariah Carey : quand la culture pop s’empare du trouble bipolaire
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Il est normal que les artiste annoncent leur maladie, ça peut aider d'autres personnes de savoir' qu'ils sont'nombreux à souffrir de cette maladie.
bon courage à tous
Marie-France
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Louise
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La chanteuse Mariah Carey annonçait en couverture du magazine américain People, le 23 avril, son "combat contre le trouble bipolaire". Le rappeur Kanye West évoque également le sien, à plusieurs reprises, dans son dernier album sorti le 1er juin.
Ces artistes ont, l’un après l’autre, parlé publiquement de leur trouble bipolaire, caractérisé par des variations anormales de l’humeur. Une telle médiatisation est à ce jour inédite dans le champ des troubles psychiques. Elle constitue une vraie chance pour diminuer la stigmatisation dont sont victimes les personnes concernées.
Le trouble bipolaire, un trouble à la mode ?
Certains détracteurs voient dans ces coming out (annonce volontaire d’une caractéristique personnelle habituellement jugée honteuse) de célébrités l’expression d’une mode, portée par une pathologie qu’on imagine récente. Pourtant, la maladie était déjà évoquée par Hippocrate et sa théorie des humeurs.
Par la suite, elle s’est fait connaître sous le nom de psychose maniaco-dépressive, dû à un psychiatre allemand de la fin du XIXe siècle, Emil Kraepelin. Ce n’est que depuis 1980 et la troisième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM 3) qu’on parle de trouble bipolaire.
L’abandon du terme psychose maniaco-dépressive n’était pas expressément destiné à diminuer la stigmatisation lié à la maladie. Mais nombreux sont les patients à préférer son nom actuel.
Des phases caractéristiques d’excitation ou d’euphorie
Le trouble bipolaire se caractérise par des phases dites "maniaques" – rien à voir avec le sens courant, évoquant le goût extrême pour la propreté, l’ordre ou les habitudes. Le terme médical désigne des phases d’excitation et/ou d’euphorie qui durent quelques jours à quelques semaines.
Ces phases sont parfois plaisantes pour les patients, avec une estime de soi et une énergie augmentées. Mais elles peuvent être l’occasion de troubles du comportement et de mise en danger, avec des achats inconsidérés, des rixes, des rapports sexuels à risque, l’usage de substances psychoactives ou des infractions.
Concernant ces phases, les formes d’intensité modérée (qu’on appelle hypomanes) passent parfois inaperçues, n’amenant pas les personnes à consulter. En revanche, les troubles induits par les formes les plus intenses (dans lesquelles il y a parfois des symptômes délirants) peuvent être très impressionnantes. Chez les patients, y compris les célébrités, elles ont des conséquences néfastes, tant dans la vie professionnelle que personnelle.
En alternance de ces phases, des épisodes dépressifs peuvent être présents. On les identifie par une rupture du comportement habituel de la personne pendant au moins quinze jours, avec une humeur triste toute la journée ainsi que des symptômes associés comme un trouble de la concentration, du sommeil ou de l’appétit.
Dans l’édition la plus récente du DSM, le DSM 5, on distingue deux formes de trouble bipolaire, le type I en présence de phase maniaque, et le type II lorsqu’il y a uniquement des phases hypomanes.
Un trouble tellement cinématographique
Le trouble bipolaire exerce une fascination certaine, comme en atteste la présence de protagonistes touchés par cette maladie dans de nombreuses œuvres cinématographiques ou audiovisuelles, par exemple les séries à succès Homeland et Empire. Premier constat positif : les tableaux cliniques présentés dans ces fictions sont bien plus vraisemblables que pour d’autres troubles psychiques comme la schizophrénie. Par ailleurs, les phases du trouble bipolaire servent l’intrigue pour quelques épisodes seulement. Une fois stabilisé, le trouble en lui-même devient très périphérique dans l’histoire. Il n’est pas l’essence même du personnage, qui n’a pas l’étiquette de "malade mental".
Dans la vraie vie aussi, le trouble bipolaire évolue par épisodes, entre lesquels les patients peuvent tout à fait retrouver une vie normale – c’est un aspect qui mérite d’être souligné.
Ainsi, dans le soap opera américain Empire, le personnage secondaire Andre Lyon présente une phase maniaque, qui l’amène à être hospitalisé. Son humeur s’équilibre ensuite avec un traitement. La stigmatisation envers les personnes touchées par le trouble bipolaire, encore très fréquente, y est représentée de manière simple mais réaliste. Il en est de même pour la composante héréditaire de la maladie, la grand-mère du personnage en étant également atteinte. La qualité des informations dispensées par la série est d’autant plus remarquable que celle-ci n’a aucune vocation médicale – elle est centrée sur le monde de la musique hip-hop à New York. Globalement, la mise en scène de la maladie dans cette fiction représente une avancée dans la lutte contre la discrimination des patients atteints.
Une maladie banalisée par sa médiatisation ?
La médiatisation de la maladie a cependant pour effet dommageable sa banalisation aux yeux de certains. L’hebdomadaire Le Nouvel Obs l’avait ainsi qualifiée de "tendance" et "sexy", lui consacrant la couverture d’un numéro en 2013. Que des célébrités soient touchées par le trouble bipolaire rendrait cette maladie "glamour", selon le raisonnement avancé dans l’article. Cela pousserait des personnes non concernées à revendiquer ce trouble, entraînant un phénomène de contagion. On entend fréquemment des poncifs comme "tout le monde se dit bipolaire maintenant".
L’argument, pourtant, est difficilement recevable. Des patients arrivent parfois en consultation chez un psychiatre avec ce diagnostic, qui s’avère erroné. C’est alors au médecin de poser un nouveau diagnostic. Les patients réellement atteints, eux, vivent comme une double peine d’entendre que leur trouble – fréquemment sévère, chronique et invalidant – puisse être considéré comme enviable.
Rappelons que le trouble bipolaire est associé, dans la littérature scientifique, à une santé physique moins bonne, une espérance de vie plus courte et un risque suicidaire 20 fois plus élevé que dans la population générale.
Revendiquer un trouble dont on ne serait pas atteint ? Dans les faits, le discrédit jeté par la maladie sur les patients bien réels est tel… qu’il ne leur viendrait pas à l’idée de s’en vanter. Il est d’ailleurs extrêmement rare qu’ils puissent faire connaître leur diagnostic à leur entourage familial, amical et professionnel. Quand c’est le cas, ils se heurtent bien souvent à la méconnaissance voire même négation de la souffrance endurée. Les célébrités n’échappent pas plus que les autres à ce phénomène.
Un cas clinique nommé Mariah Carey
Star extrêmement populaire aux États-Unis – et ailleurs dans le monde – Mariah Carey a évoqué son trouble bipolaire (de type 2) à la une d’un magazine très diffusé dans son pays. Elle y évoque notamment son déni de la maladie au moment où le diagnostic a été posé – une réaction fréquente chez les patients. Elle aborde aussi la rémission, obtenue à l’aide d’un traitement alliant médicaments et psychothérapie.
Il est déjà rare qu’une personnalité de cette envergure aborde publiquement un problème de santé mentale. Et plus encore, qu’elle parle de l’aide apportée par les soins et de la notion de rétablissement. L’annonce faite par Mariah Carey a eu un impact certain sur ses concitoyens. Celui-ci est même mesurable puisqu’il s’en est suivi, aux États-Unis, un pic de requêtes sur le moteur de recherche Google, le record sur quatre ans, pour les mots "trouble bipolaire".
De la même façon, l’actrice hollywoodienne Angelina Jolie avait évoqué en 2013 sa double mastectomie (ablation des seins) à titre préventif. Elle est, en effet, porteuse d’une mutation génétique l’exposant à un risque élevé de cancer du sein. Sa courageuse tribune dans le quotidien américain The New York Times a permis une augmentation importante des connaissances de tout un chacun sur le sujet et aussi une amélioration de la prise en charge en cancérologie du sein aux États-Unis. Un "effet Angelina Jolie" devrait être possible dans le champ de la santé mentale.
Des réactions négatives sur les réseaux sociaux
Pourtant, les réactions à la révélation de Mariah Carey sur le compte Twitter et la page Facebook du magazine People n’ont pas toutes été empreintes d’empathie. Depuis la parution de son témoignage, environ un tiers des messages sur ces réseaux sociaux sont de teneur négative, selon l’observation que nous avons réalisée.
Des messages accusent par exemple la star de se donner l’excuse d’un trouble psychique pour justifier des écarts dans son comportement. D’autres moquent le fait qu’elle porterait depuis longtemps déjà des stigmates de ses difficultés psychiques. "Is this supposed to be a secret ?" (C’est censé être un secret ?), ironise une internaute en réponse à un tweet du magazine annonçant la révélation du trouble de Mariah Carey.
Ce sont d’ailleurs deux des stéréotypes attribués aux personnes atteintes de trouble bipolaire, à l’origine de mécanismes de discrimination. De telles idées reçues légitiment, s’il le fallait, que des célébrités prennent la parole sur ces sujets, permettant ainsi de les démonter.
De son côté, Kanye West revendique avec humour sa qualité de bipolaire sur la couverture de son dernier album, taguée de la phrase pleine de contradiction "I hate being bi-polar it’s awesome" (je déteste être bipolaire c’est super). Il va même au-delà avec le titre "Yikes", dans lequel il revendique sa bipolarité comme un "superpouvoir" et non un "handicap" : "That’s my superpower, nigga ain’t no disability."
Le rappeur est l’une des premières vedettes à recevoir des soins psychiques dans l’ère de l’ultra-médiatisation. Rappelons qu’il est aussi le mari de Kim Kardashian, vedette avec sa famille d’une émission américaine de télé-réalité et incarnation de la célébrité comme lucratif art de vivre. A ce titre, il est particulièrement intéressant de voir comment Kanye West s’approprie le diagnostic dans une démarche entre opération de communication et émancipation militante. On peut faire le parallèle avec d’autres discriminations, raciales ou sexuelles, qui ont subverti l’injure en se la réappropriant. C’est encourageant pour l’avenir, même si on déplore encore le manque d’exemple d’un tel empowerment dans la culture pop française.
Et si ces exemples pouvaient aider les autres personnes touchées ? En effet, une étude a montré que la psychoéducation des patients atteints de trouble bipolaire était un vecteur de diminution du stigma. La psychoéducation consiste à leur délivrer de l’information sur la maladie et à leur donner des outils pour y faire face. Dans le service de psychiatrie à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, un groupe de psychoéducation enrichi du thème "Trouble bipolaire et médias" est proposé depuis 2017. L’exemple de personnalités comme figures positives auxquels s’identifier y est utilisé. Le même effet est recherché à travers un échange autour de la comédie hollywoodienne Silver Linings Playbook (Happiness Therapy selon le titre français) évoquant le trouble bipolaire. Le film peut aussi se révéler par la suite un support pour les patients, afin d’évoquer plus facilement la maladie avec leur entourage.
La culture pop pourrait ainsi devenir un moyen puissant, ludique et novateur dans la lutte contre la discrimination des personnes atteintes de troubles psychiques et dans leur émancipation.
The Conversation