Trouble de la personnalité schizotypique : “Toute ma vie, j’ai eu des croyances très bizarres et un comportement un peu excentrique.”
Publié le 15 nov. 2023 • Par Candice Salomé
Diane, trentenaire et maman de deux enfants, est atteinte du trouble de la personnalité schizotypique et du syndrome catatonique. Elle a toujours eu des croyances qu’elle qualifie de très bizarres, un comportement un peu excentrique et chaotique dans les relations sociales. Pendant longtemps, elle pensait que c’était normal. La maladie s’est aggravée à la trentaine, c’est là qu’elle a pris conscience qu’il fallait consulter.
Désormais, elle est suivie par une psychologue ainsi qu’une psychiatre et la maladie s’est stabilisée. Elle partage son quotidien sur les réseaux sociaux et permet à d’autres patients de pouvoir partager leur parcours également. Elle a écrit une bande dessinée sur la thématique et espère bientôt pouvoir la faire éditer.
Découvrez vite le parcours de Diane !
Bonjour Diane, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
Je suis Diane, j’ai la trentaine, j’ai deux enfants. J’ai des relations très proches avec ma mère et mes sœurs. J’aime la botanique et les sciences.
Vous êtes atteinte du trouble de la personnalité schizotypique. Pourriez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?
Un trouble de la personnalité, c’est un trouble où la personnalité s’est rigidifiée autour de pensées et de croyances qui nuisent à notre fonctionnement, en particulier à notre fonctionnement social.
Le trouble de la personnalité schizotypique fonctionne autour de la croyance qu’on est fondamentalement différent des autres, et bizarre, et que pour cette raison on sera toujours seul, ou accepté seulement si on fait semblant d’être quelqu’un de normal. C’est un trouble qui est caractérisé par une grande souffrance dans les rapports sociaux, des distorsions cognitives et des comportement excentriques. C’est dans la famille de la schizophrénie.
Et pour le côté fun, il y a des théories sur le fait que Luna Lovegood, un des personnages de Harry Potter, remplit les critères de diagnostic de ce trouble.
Aussi, vous êtes atteinte du syndrome catatonique. De quoi s’agit-il ? Comment se manifeste-t-il dans votre quotidien ?
La catatonie, c’est un trouble à la fois neurologique et psychiatrique. La forme la plus connue rend complètement immobile. On est toujours conscient, mais on ne bouge plus, on ne parle plus. Ça peut durer de quelques heures à des mois. De l’extérieur on est un peu comme une statue. De l’intérieur, j’ai juste plus envie de bouger. C’est comme si j’avais une giga flemme. En fait, c’est un bug au niveau du cerveau.
Maintenant que je sais ce que c’est, quand ça arrive, je me dis qu’il suffit que je veuille bouger. Et quand j’essaye, je me rends compte qu’en fait, je n’arrive pas à avoir envie de bouger. C’est assez perturbant comme sensation. La catatonie a d’autres formes, des formes très agitées, on répète des mots, on fait les 100 pas, on a beaucoup de tics. Pareil, pour les gens qui ont des tics, vous savez que c’est juste une drôle d’envie de faire le mouvement en question. C’est des mouvements qu’on fait de notre plein gré, entre guillemets. Mais quand on essaye de se retenir, on peut le faire un petit moment, et ensuite ça démange, l’envie de le faire devient plus forte, alors on le fait.
La crise de catatonie avec agitation, c’est comme une grosse crise de tics, les pensées nous paraissent normales, mais on est envahi de ce besoin de bouger, de faire des mouvements répétitifs, de répéter des bruits, des mots. On a aussi souvent l’instinct de dire non à tout. Ça s’appelle le négativisme, c’est un des symptômes de la catatonie.
Au quotidien, c’est très pénible. Pour moi, j’ai des crises courtes qui sont sous la forme agitée ou immobile. La crise en elle-même est épuisante. J’ai l’impression qu’on m’a roulé dessus quand c’est fini. Mais le pire, c’est entre les crises : je reste très ralentie, j’ai du mal à commencer des activités et j’ai du mal à organiser mes pensées.
De l’extérieur, c’est comme avoir une personne très lente, très paresseuse et un peu confuse. De l’intérieur, tout semble normal, mais je suis plus capable de fonctionner.
C’est très compliqué surtout professionnellement. D’un point de vue familiale, ça a moins de répercussions parce que j’ai beaucoup d’aide de mes proches, en particulier avec les enfants. On a trouvé des systèmes pour que ça fonctionne. Par exemple, j’ai des repas déjà prêts si je suis seule avec les enfants, je ne cuisine pas quand je m’occupe d’eux. On communique beaucoup sur ce qui se passe. Et leur père s’occupe beaucoup d’eux. Mes parents et mes beaux-parents aident pour les garder pendant les vacances. Au début, je m’en voulais, je me disais que j’étais une mère absente. Maintenant, je reconnais que je suis une mère handicapée et je me concentre sur ce que j’arrive à faire.
A quel âge et dans quel contexte vous êtes-vous rendu compte que votre perception de la réalité était différente ? Est-ce cela qui vous a amenée à consulter ? Combien de temps a-t-il fallu pour que le diagnostic soit posé ?
Toute ma vie, j’ai eu des croyances très bizarres et un comportement un peu excentrique et chaotique dans les relations sociales, mais je croyais que c’était normal. La maladie s’est aggravée soudainement, en début de trentaine, suite à des violences et du harcèlement. J’ai passé un an à peu près sans me rendre compte que j’avais des croyances et des comportements qui n’étaient vraiment plus normaux. Je croyais que des messages m’étaient envoyé dans les musiques, par exemple. Du coup je passais des jours et des nuits à produire des œuvres d’art sur ces musiques. Je croyais aussi que je pouvais deviner ce qui était vrai ou faux et que je devais vérifier que toutes mes actions me protégeaient d’une menace invisible. Je croyais que le Tarot pouvait m’aider à prendre les bons choix pour être en sécurité.
Du coup, je tirais les cartes pour absolument toutes les décisions dans ma vie. J’ai pris des décisions assez bizarres, assez régulièrement. Je cachais bien mes symptômes, mon entourage ne s’est rendu compte de rien. D’autant que je m’isolais et que je fonctionnais bien pour le reste. Je travaillais, je ne parlais pas de mes croyances étranges, j’avais une vie qui avait l’air normale.
Ensuite, les crises catatoniques ont commencé, il y avait de vrais délires paranoïaques à ces moments et je pétais les plombs littéralement et, ensuite, je restais sans bouger à fixer le mur pendant des heures, sans comprendre pourquoi je n’avais plus envie de bouger.
Mais là encore, j’avais conscience que les gens ne devaient pas voir ça, donc je cachais mes crises. En dehors d’un cercle très restreint, personne ne voyait ces crises et ceux qui les voyaient ne comprenaient pas ce qu’il se passait. Je ne parlais pas de mes délires. J’ai compris que j’avais quelque chose à ce moment. Mais j’avais peur de consulter. Il s’est passé une autre année où les symptômes ont empiré et, cette fois, je savais que j’avais un problème. Mais j’espérais que c’était quelque chose d’explicable par autre chose qu’un trouble de la famille de la schizophrénie.
C’était compliqué parce que la folie ne ressemble pas du tout à ce qu’on nous dit. Je n’étais pas folle tout le temps. J’étais même capable de me dire que peut-être mes croyances étaient un peu bizarres et qu’elles étaient un peu fausses. Il y a beaucoup de médecins qui disent que si on se rend compte qu’on est fou, on n'est pas fou. Alors qu’il y a vraiment tout un spectre entre la folie et la non-folie. J’étais capable d’avoir des discussions normales. J’étais capable de cacher mes symptômes. J’étais même capable de croire et de ne pas croire en mes délires. Un peu comme quand une personne normale et croyante se dit « Je sais que peut-être Dieu n’existe pas, mais moi j’y crois ».
J’ai commencé à lire de la littérature scientifique. J’avais un début d’idée du diagnostic qui correspondait à ce que j’avais, après plusieurs mois de recherche. Et j’ai fini par tomber sur des articles scientifiques qui parlent de la perte de matière grise et blanche dans le cerveau à chaque crise psychotique non traitée. C’est à ce moment que j’ai compris que les crises ne s’arrêteraient pas, et que les difficultés cognitives que je commençais à avoir allaient s’empirer, parce que les crises psychotiques étaient en train d’abimer mon cerveau.
J’ai une profession intellectuelle, mon cerveau c’est tout ce que j’ai. J’ai réalisé que je ne devais pas simplement cacher ce que j’avais, mais je devais aussi me soigner. Ça a pris bien un an pour que je saute le pas. Les crises s’enchaînaient. Un jour j’ai décidé que j’allais le faire, j’ai pris un rendez-vous avec une psychiatre spécialisée en schizophrénie et une psychologue spécialisée dans les troubles de la personnalité. Ça a été la croix et la bannière pour avoir un rendez-vous avec ma psychiatre, et ma psychologue avait une liste d’attente, elle était très demandée. Je suis arrivée avec mon diagnostic en fait. Je leur ai dit que je pensais que j’avais un trouble de la personnalité schizotypique et que j’enchainais les crises psychotiques.
Les symptômes se sont calmés en quelques mois grâce à la psychothérapie. Quand j’ai enfin eu mon premier rendez-vous avec ma psychiatre, j’avais plus de symptômes. Elle m’a dit qu’à ce stade, les bénéfices des médicaments n'étaient pas certains, mais qu’on attendrait de voir s'il y avait une rechute. Ma psychiatre a continué son suivi, au cas où. On a fait un test d’antipsychotique à un moment où je n’allais pas bien. Mais ça a été assez catastrophique. Et il a fallu deux ans de plus pour qu’on mette enfin le doigt sur la catatonie. J’ai eu d’autres crises après deux ans de rémission. Et j’ai dit à ma psychiatre que c’était comme mes crises psychotiques, mais sans psychose, donc que ce n’était pas des crises psychotiques. Le mot est arrivé, c’était des crises catatoniques depuis tout ce temps. En fait la catatonie peut être accompagnée de psychose, mais c’est juste un détail, on peut aussi avoir des crises catatoniques sans psychose. Dans mon cas, c’est la psychose qui m’avait fait consulter, mais le vrai problème, c’était la catatonie. On a pu tester des médicaments pour la catatonie, et cette fois ça a fonctionné.
Donc si on fait le bilan, il y a eu 2 ans de maladie non traitée, puis un premier diagnostic, puis deux autres années avant qu’on ait le deuxième diagnostic et enfin un traitement adapté.
Comment vos pathologies ont-elles évolué ?
Disons que j’ai été toute ma vie schizotypique. Puis il y a eu une aggravation, avec des crises répétées. Puis stabilisation avec la prise en charge en psychothérapie. Et maintenant, les crises catatoniques sont contenues grâce à des médicaments. Mais c’est une maladie chronique, les crises peuvent revenir quand il y a du stress.
Quelle est votre prise en charge actuelle ? Qu’en pensez-vous ? En êtes-vous satisfaite ?
Je prends du Lorazépam pour la catatonie. J’ai un suivi une fois tous les deux mois avec une psychiatre qui a des consultations longues où on a le temps de discuter de l’évolution et des préoccupations. Et j’ai fait une thérapie des schémas, qui est la thérapie efficace pour les troubles de la personnalité. J’ai aussi demandé à avoir une batterie de tests pour écarter la catatonie de cause non psychiatrique. Je suis vraiment satisfaite. La thérapie des schémas m’a énormément aidée, a diminué les symptômes psychotiques, l’anxiété et la dépression. Le suivi psychiatrique m’aide à être rassurée qu’en cas de rechute, je ne resterai pas des années sans traitement. Et le Lorazépam marche super bien pour ce que j’ai.
Quel est l’impact de ces pathologies sur votre vie privée et professionnelle/solaire ?
Sur ma vie privée : mes amitiés sont difficiles. Mais je commence à avoir une vie sociale maintenant que j’ai accepté que j’avais certains besoins particuliers : je limite le temps passé pour me ménager, je privilégie des relations où j’arrive à être moi-même sans me sentir jugée.
Professionnellement, c’est un peu catastrophique. J’ai eu de la chance d’avoir une hiérarchie très empathique à qui j’ai très vaguement évoqué mes difficultés sans donner le diagnostic, mais la maladie a vraiment un gros impact sur ma productivité. Ces dernières années ont été très difficiles, en particulier quand je n’avais pas de traitement. Mais je remonte la pente, j’ai certaines capacités cognitives qui sont revenues. Je pense qu’il faudra encore quelques années avant que je vois ce que je suis capable de faire à nouveau.
Puis, du point de vue relationnel, je ne suis vraiment pas bonne pour le travail en groupe. Je sais que si je veux rester sur le marché de l’emploi, il va falloir que je trouve des postes où j’ai suffisamment de temps seule pour supporter les relations sociales sans que le stress redéclenche des crises. Mais je crois que c’est possible.
Vous avez un compte Instagram, @Spectre.schizophrenie, où vous partagez du contenu dont le but est de vulgariser le discours scientifique au sujet du spectre schizophrénique. Dans quel but vous êtes-vous lancée sur cette plateforme ? Qu’y partagez-vous ? Quels sont les retours de vos abonnés ?
Au début, je voulais organiser mes pensées pour pouvoir échanger correctement avec les médecins généralistes et déstigmatiser le spectre de la schizophrénie. Puis, je voulais récolter des témoignages pour humaniser la question, avoir plein de profils, montrer que nous étions des personnes très variées et que les stéréotypes ne traduisaient pas la diversité des malades.
Instagram m’a paru être une plateforme pratique, où il y avait déjà des comptes d’éducation sur différentes maladies. Je savais que je serais motivée par les likes et les partages - tout bêtement - et que ça me permettrait de ne pas perdre mon intérêt pour le sujet, d’être soutenue par une communauté. C’est littéralement ce qui s’est passé. On critique beaucoup la course aux likes, personnellement je suis assez sensible à ce genre de dynamique et je sais que ça a un côté négatif très réel. Mais je savais que ça allait me motiver et que si je gardais en tête mon objectif initial, ça pouvait être un énorme levier de motivation.
Toutes les connaissances accumulées pour le compte, j’en ai fait une bande dessinée que j’espère pouvoir partager bientôt. Je crois que je n’aurais pas fait toutes ces lectures et tous ces posts, si c’était juste un projet que j’avais gardé pour moi avant de pouvoir le partager avec des médecins.
J’y partage donc des portraits de personnes du spectre de la schizophrénie (schizophrénie, trouble schizo-affectif, trouble de la personnalité schizotypique et schizoïde, épilepsie psychotique), et aussi des résumés d’articles scientifiques sur le sujet.
Je partage aussi des conseils pour gérer la maladie. Les retours sont vraiment cools. J’avais l’impression d’être hyper seule et bizarre, et ça me semblait terrible d’avoir une maladie psychiatrique. Mais en fait, ces portraits d’autres personnes du spectre, ça m’a permis de moi-même réhumaniser la maladie, me réhumaniser moi-même du coup.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
J’aimerais bien passer à la phase 2 de mon plan, à savoir, discuter avec les médecins généralistes pour leur dire qu’on est des patients comme les autres, pour toutes les autres maladies, et leur parler de comment ils peuvent mieux nous accompagner. Peut-être qu’en 2024, je me lancerai plus sérieusement !
Puis ma BD étant terminée, il va falloir que je trouve un éditeur. Et il y aura probablement un travail à refaire dessus si le projet est accepté.
Quels conseils pourriez-vous donner aux membres Carenity également touchés par une maladie psychiatrique ?
J’aime beaucoup cette citation de Marc-Aurèle et je pense qu’elle s’applique vraiment bien à la maladie psychiatrique : « Donne-moi la force d’accepter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être, mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre. ». La maladie psychiatrique, c’est tellement mal compris. Je crois qu’il y a de la force à comprendre ce qu’on peut changer et ce qu’on ne peut pas. Avoir la dose de compassion pour ne pas s’accabler et demander l’aide dont on a besoin, et la dose de courage pour tout faire pour s’en sortir. Et c’est très compliqué de savoir où il faut pousser un peu plus, et où il faut se reposer et accepter.
Un dernier mot ?
Bonne chance aux familles aussi ! Personnellement ma famille est un de mes plus grands soutiens.
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17 juil. 2024 • 15 commentaires