Soutenir la greffe dans les Antilles
Publié le 5 janv. 2018 • Par Léa Blaszczynski
Découvrez le parcours de Guy Alloucherie. Cet informaticien de 57 ans, père de trois enfants, est né à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) mais vit depuis dix ans en Martinique. Passionné de krav-maga, d'informatique et de cuisine, Guy fait la lumière sur le parcours de soin dans les DOM-TOM.
Comment vit-on son parcours de soin en Martinique ?
Lors d’un suivi normal chez un cardiologue, cela se déroule comme en métropole. Par contre, il existe un certain manque de confiance (pas forcément justifié) envers le CHU Martinique de la part des Antillais et surtout des métropolitains récemment installés.
Pour la rythmologie, avant 2016, il y avait un seul rythmologue au CHU pour environ 8000 patients suivis (sous réserve de vérification) d’où des temps d’attente pour les rendez-vous important et une attente sur place parfois importante (par exemple, rendez-vous prévu à 14 heures, passage à 19 heures). En règle générale, quand les patients le peuvent, ils préfèrent se faire opérer en métropole et même les cardiologues poussent à le faire. Ce qui a été mon cas, l’on s’arrange pour planifier des opérations lors d’un déplacement professionnel par exemple ou les vacances.
Par contre, pour avoir fréquenté plusieurs fois en hospitalisation le service de cardiologie du CHU Martinique, je pense qu’ils sont compétents sur le plan médical, la désorganisation est souvent administrative et dans les services annexes comme la restauration, la gestion du linge etc. Mais j’ai vu aussi les mêmes disfonctionnement en métropole.
Le plus difficile à gérer lors des opérations en métropole, c’est l’éloignement des proches et le coût des billets d’avion quand il n'est pas pris en charge par la Sécurité sociale.
Quelles sont, selon vous, les différences avec la métropole ?
La grande différence, c'est que parfois, suivant les cas, il faut se faire transférer en métropole. Particulièrement dans le cas de bilan greffe ou d’urgence vitale nécessitant une transplantation. Certaines techniques peuvent aussi ne pas être applicables sur place en raison du manque de praticiens formés sur certaines interventions. Mais des partenariats avec principalement la Pitié Salpetrière et d’autres CHU sont de plus en plus mis en place et permettent les échanges.
De plus, comme beaucoup de métiers aux Antilles, le problème de la formation continue qui du fait de l’éloignement pose des problèmes financiers et d’organisation. Les techniques de visioconférences commencent à atténuer le problème.
Comme dit précédemment reste un cas de transfert en urgence ou programmé vers la métropole le souci de l’éloignement. Les Antillais, de fait, n’ont pas le même accès aux soins qu'en métropole. Et même en cas de rapatriement sanitaire, la Sécurité sociale ne rembourse pas le transfert autre que sur Paris. Au patient, de financer le reste s'il désire se faire hospitaliser vers un hôpital proche de sa famille. Reste aussi qu’en cas d’urgence, c’est moins risqué de faire le transfert sur Paris que de fatiguer le patient en organisant un transfert en ambulance vers un autre hôpital car les lignes intérieures ne sont pas équipées pour les transports sanitaires.
Actuellement, le CHU de Martinique département de la cardiologie se bat pour monter une cellule locale de suivi des greffés du cœur en liaison avec la Pitié Salpêtrière d’ici un an je crois, et, d’autre part, pour obtenir l’habilitation de l’agence de la biomédecine pour faire des greffes de cœur (les greffes de reins peuvent se faire en Guadeloupe au CHU de Pointe à Pitre), mais cela à l’échelle des Antilles Guyane voir d’autre îles des Caraïbes, car il faut augmenter la potentialité d’obtenir des greffons et la Martinique seule ne permet pas d’atteindre un seuil acceptable.
Comment s'est déroulée votre greffe ?
Le 11 décembre au matin, je suis placé sur la liste d’attente normale. Le 12 décembre à 2h 30 du matin, l’interne me réveille en m’annonçant que l’on m’a trouvé un cœur et qu’il faut me préparer. Dans les faits, j’ai bénéficié de la priorité de 48 heures lors du placement sur la liste normale (procédure que je ne connaissais pas). Début de l’opération à 8h30, après confirmation de la viabilité du greffon. Après seulement 24 heures, je me réveille, mon corps souhaite sortir du coma artificiel et la respiration redémarre. Après trois jours sous HECMO en réanimation, je suis placé en soins suivi quatre jours puis en chirurgie cardiaque. J’ai repris forme très rapidement sauf une phlébite à la jambe gauche au branchement de l’HECMO - en cours de traitement et de résorbassions.
Je suis fortement étonné de la gestion de la douleur car à part lors des toux, je n’ai pas souffert de la douleur. Le greffon se porte bien et pour l’instant le dosage des anti-rejet est stable. J'ai eu ma première biopsie du cœur le 28 décembre.
Pour résumé, j’ai eu la Baraka, car j’étais parti comme beaucoup pour quatre à huit mois d’attente plus une année de suivi avant d’envisager le retour en Martinique. Cela m’a permis d’échapper à l’attente et la détérioration de mon état général. Ma famille a aussi été soulagée du stress de l’attente et de l’angoisse d’un incident en plus de l’anxiété liée à l’éloignement.
Comment vivez-vous cette année de soins à Paris ?
Elle commence seulement donc sans objet pour l’instant. Je prends les choses avec patience et humour afin de garder le moral, ma famille se déplacera en février et en juillet-août, ce qui soulagera. Je vais profiter de ce séjour prolongé en métropole pour, entre deux rendez-vous, voir ma famille à Bordeaux, Rennes et Boulogne-sur-Mer. Et je vais profiter de mon fils et ma belle-fille chez qui je vais loger dans l’attente de mon retour.
Quels sont vos projets à court et long terme ?
A court terme, je prévois de me remettre en forme et de retrouver une forme physique perdue depuis longtemps, j’envisage dans huit mois ou plus selon la forme de passer un monitora de formateur en Krav Maga et ma ceinture marron.
Dans l’attente de mon retour en Martinique, je prépare une page et groupe Facebook afin de partager mon expérience et faire le point sur la problématique de la greffe de cœur aux Antilles.
Et à mon retour, je souhaite monter une association locale sur cette problématique afin de militer pour la création d’un centre de greffe et de soutenir les patients et leurs famille et leurs fournir les informations nécessaires et aussi militer pour le don d’organes localement. Car je n’ai vu pour l’instant sur le Net d’association locale allant dans ce sens.
Quel message souhaitez-vous transmettre au sujet des personnes greffées ou transplantées ?
Rester positif. Tout arrive avec la volonté de voir la vie du bon côté, malgré les moments de doute, de peur, d’anxiété. Cela augmente les possibilités du corps à se remettre, voir vers l’avant et faire des projets personnels et plus.
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Le parcours de santé de Guy.
- - Infarctus du myocarde antérieur en 1999 et en 2003 (deux stents dont un sur l’IVA).
- - Hyalinose segmentaire et focale (maladie des reins à évolution lente) diagnostiquée en 2000, sans traitement spécifique.
- - Septembre 2016 : accident ischémique transitoire (AIT) et séquelle d’AVC antérieur à l’AIT. Première évocation de bilan greffe du cœur.
- - Mai 2017 : Fibrillation ventriculaire, hospitalisation à Toulouse (ablation du substrat de l’infarctus, syndrome bronchique avec d’importantes lésions d’emphysème centro-lobulaire bilatérales. Prévoir un bilan greffe dès le prochain événement. Mise en place pour soulager l’insuffisance cardiaque de l’ENTRESTO).
- - Octobre 2017 : hospitalisation au CHU de Martinique (tachycardie ventriculaire, fibrillation auriculaire, infection, embolie pulmonaire).
- Transfert prévu vers CHU de la Pitié Salpêtrière à Paris pour Endocardite sur extraction et réimplantation d’un DAI triple chambre.
- - Décembre 2017 : greffe du coeur.
- - Depuis le 2 janvier : rééducation à Maison Lafitte (pour trois semaines).
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