Incontinence fécale : “L’incontinence anale est un sujet encore plus tabou que l’incontinence urinaire”
Publié le 31 août 2022 • Par Berthe Nkok
Dorieg, membre de la communauté Carenity France, a développé une incontinence fécale suite au traitement d’un cancer du canal anal. Elle a dû subir une multitude d’examens pour recevoir le diagnostic d’incontinence fécale et aujourd’hui, elle partage son expérience sur Carenity.
Découvrez vite son histoire !
Bonjour Dorieg, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
Je suis mariée et mère de trois enfants âgés de 12, 18 et 20 ans. J’ai 50 ans aujourd’hui et j’ai servi dans l’armée pendant 25 ans. Je n’ai cessé de me former tout au long de ma carrière, j’aspirais à un poste à responsabilités. J’étais une femme très active avant l’annonce de mon cancer du canal anal. Je devais gérer les enfants, le travail, les activités sportives, les courses, le ménage comme toutes les femmes qui travaillent.
Je pratique la natation une fois par semaine en club et j’ai débuté cette année le pilates.
En quelle année avez-vous reçu le diagnostic de l’incontinence fécale ? Dans quelles circonstances avez-vous consulté ? Quels étaient vos premiers symptômes ?
En 2016, mon gastro-entérologue m’a diagnostiqué un cancer du canal anal. J’ai donc subi une exérèse puis 34 séances de radiothérapie associée à de la chimiothérapie. Au cours de ces traitements, les diarrhées étaient quotidiennes. J’avais également des douleurs abdominales, des nausées, des impériosités et une incontinence anale en fin de traitement.
J’ai alerté le personnel soignant mais ni mon radiothérapeute, ni les internes, ni les médecins ne m’ont pris au sérieux. Tous m’ont assuré que ces symptômes étaient réversibles avec une attitude hautaine, condescendante et méprisante. Parfois même, ils étaient las de répondre à mes questions et à mes doutes.
Combien de temps a-t-il fallu pour poser le diagnostic ? Combien de médecins avez-vous rencontré ? Quels examens avez-vous dû passer ?
Trois mois après le traitement, j’ai subi une échographie ando-anale. Le médecin m’a assuré que tout allait bien et que la tumeur ne reviendrait pas. J’étais soulagée mais je lui ai fait part de ma profonde détresse car j’étais incontinente depuis l’arrêt des rayons. Il m’a répondu « vous ne serez pas incontinente ma petite dame, vous allez faire 15 séances de biofeedback chez un kinésithérapeute ».
Il m’a orienté vers un spécialiste de l’incontinence anale qu’il connaissait bien. Après ces 15 séances, je n’ai constaté aucune amélioration. Alors, au cours de ma consultation avec mon radiothérapeute, je lui en fais part. Elle me dira : « c’est comme les abdominaux, ça se travaille ». Elle me prescrira alors 15 séances supplémentaires. Au bout de 30 séances, aucun résultat.
J’ai consulté ensuite mon gastro-entérologue qui me dira : « ce n’est pas assez ». Il m’envoie poursuivre 10 séances supplémentaires de biofeedback. Face à ma détresse, ma kinésithérapeute qui s’était transformée en psychologue se résignera après 33 séances. Elle m’annonce que cela ne sert à rien, il faut envisager éventuellement une défécographie pour comprendre d’où vient le problème.
Elle me propose d’en parler à mon radiothérapeute. Je passe donc cet examen, le plus humiliant que j’ai eu à subir ! Je suis reçue par deux hommes. Allongée sur une table froide en métal qui se redresse, le radiologue m’a alors injecté dans le rectum une pâte blanche. A ce moment, la pâte s’écoule le long de mes cuisses sans que je ne puisse bouger car le radiologue et son assistant prennent les radiographies. Ensuite, on m’apporte un siège d’aisance. Je m’assois et je dois déféquer toute cette pâte pendant que le radiologue et son assistant prennent les clichés.
Le compte rendu confirmera noir sur blanc « une incontinence anale et un prolapsus rectal muqueux ». Je suis enfin soulagée, je ne suis pas folle. Les médecins, gênés, sont contraints de constater que j’avais raison. Je dois également subir une manométrie anorectale. Cet examen montrera que j’ai un micro-rectum, donc une capacité de rétention des selles très faible.
Je suis quelques mois plus tard opérée d’un prolapsus rectal muqueux. Le spécialiste me dira alors « nous allons corriger le prolapsus et vous ne serez plus incontinente ». Celui-ci s’est encore trompé, je n’ai obtenu aucune amélioration. Je retourne consulter mon gastro-entérologue, il me propose alors pour la deuxième fois une stomie que je refuse. Je lui demande de me prescrire des tampons obturateurs anaux. Ma kinésithérapeute m’en avait parlé et avait réussi à me convaincre. Elle avait demandé des échantillons. Après un temps de refus, j’ai finalement décidé d’essayer. C’était une aide ponctuelle qui me permettait de me déplacer plus facilement et de pratiquer des activités comme le ski, la natation, le vélo... Mon gastro-entérologue me dira « ce n’est quand même pas terrible d’avoir un truc dans le derrière ». Je lui ai répondu que s’il avait mieux à me proposer j’étais preneuse. En fait, il était simplement vexé que ma kiné se soit permise de m’en parler.
Ce jour-là, je décide d’arrêter le suivi avec mes médecins. Je prends rendez-vous à l’Hôpital Nord de Marseille avec une spécialiste de l’incontinence anale, que je rencontre 8 mois plus tard. Je suis reçue avec douceur, humanité et gentillesse. Elle me proposera dans un premier temps d’essayer la neurostimulation électrique transcutanée (TENS) du nerf tibial postérieur. Tous les jours pendant 20 minutes et durant trois mois, j’ai utilisé cette stimulation. Aucun résultat. Elle me dirige alors vers le chirurgien pour une neuromodulation des racines sacrées, c’est un pacemaker de l’incontinence que l’on insère dans la fesse. Elle m’informe que la correction ne sera jamais à 100 % et j’accepte d’être implantée.
La première phase consiste à me placer quatre électrodes pour savoir laquelle sera efficace éventuellement. Je repars donc avec un fil qui sort de mon dos et une ceinture qui permet de porter la télécommande. L’essai se fait sur une semaine pour chaque électrode. La première et la deuxième seront sans effet. J’étais complètement démoralisée. Et par miracle, la troisième fonctionne ! J’ai tenté la quatrième pour voir si c’était encore mieux mais non, une seule fonctionne. Le chirurgien décide donc de me l’implanter définitivement, précisant qu’il faudra changer la pile dans 5 ans. C'est une révolution pour moi, je peux maintenant aller chercher une baguette à la boulangerie sans stresser parce qu’il y a une file d’attente !
J’ai donc dû attendre 2 ans pour obtenir une solution notable !
Aujourd’hui je suis reconnue handicapée à vie. J’ai obtenu la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé mais aujourd’hui, j’ai 50 ans et ma vie professionnelle s’éteint. Les séniors ne sont pas les bienvenus sur le marché encore moins s’ils sont handicapés.
Qu’avez-vous ressenti à l’annonce de ce diagnostic ? Connaissiez-vous l’incontinence fécale avant cela ? Avez-vous reçu toutes les informations nécessaires à la compréhension de la maladie et sur ses traitements ?
J’ai constaté au cours de mon parcours médical que les médecins ne sont pas formés à l’incontinence anale. C’est uniquement grâce aux informations recueillies sur internet que j’ai pu m’informer sur toutes les solutions thérapeutiques existantes et trouver des spécialistes de l’incontinence anale. Durant mon traitement pour mon cancer personne n’osait me dire qu’il y avait un risque d’incontinence. Au cours d’une consultation avec mon radiothérapeute, très en colère, je lui dis que j’aurais aimée être informée des risques. Elle m’a répondu ceci : « c’est 5 % des personnes, je ne peux tout de même pas faire peur à tous mes patients ». Le risque était donc réel et connu. C’est inacceptable ! Toute personne a le droit de connaître les risques et les effets secondaires des traitements proposés. Le spécialiste de l’incontinence anale m’avouera plus tard que ce domaine n’est pas étudié à la faculté. Les médecins ne sont pas suffisamment formés.
Quel est l’impact de la maladie sur votre vie professionnelle et privée ?
Evidemment, dans ces conditions, impossible de reprendre le travail. J’ai essayé mais le RH n’a rien compris. J’avais clairement demandé la proximité de toilettes handicapés, or, mon poste se trouvait au 1er étage et les toilettes au rez-de-chaussée. Mais un officier aurait répondu : « elle est capable de descendre pour se rendre aux toilettes handicapés du rez-de-chaussée ». Certes j’ai mes deux jambes mais si les toilettes sont trop loin, je me vide sans pourvoir me retenir et parfois je ne sens pas les pertes fécales. Je suis donc repartie en congé maladie. Ma vie ressemble à un confinement qui dure maintenant depuis plus de 6 ans. Je ne vois ni amis, ni collègues. Je ne parle qu’à mes enfants et à mon mari, sortir est compliqué. L’après-midi c’est mieux, mais il faut quand même qu’il y ait des toilettes à proximité. On en trouve seulement dans les galeries commerciales.
Vos rapports avec votre entourage ont-ils changé depuis l’annonce du diagnostic ? Parlez-vous facilement de la maladie ? La comprennent-ils ? Vous sentez-vous entourée ?
Mes enfants et mon mari sont au courant, mais impossible d’en parler à qui que ce soit. C’est trop humiliant. Je pense que c’est le sujet tabou par excellence !
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Aucun projet pour l’avenir n’est envisagé. Chaque jour est un défi !
Enfin, quels conseils aimeriez-vous donner aux membres Carenity également atteints d’incontinence fécale ?
Si vous êtes atteint d’incontinence fécale, il faut oser consulter. Dans un premier temps, une consultation avec un gastro-entérologue est conseillée. Mais s’il ne vous écoute pas, n’hésitez pas à aller voir quelqu’un d’autre ! Dans ce domaine, il y a toujours quelque chose à faire. Même si vous devez parcourir quelques centaines de kilomètres, cela en vaut la peine. Certes les examens sont impudiques mais nécessaires. Il faut laisser sa pudeur à la porte du cabinet. Des solutions existent : changement d’alimentation, prise de médicaments, séances de kinésithérapie, stimulation TENS, pause de neuromodulateur, etc. Le traitement par cellules souches pour l’incontinence anale est en cours d’étude, c’est peut-être l’avenir. J’avais demandé à faire partie de l’essai, hélas, à ce moment-là, les médecins n’avaient pas les budgets.
Un dernier mot ?
Nous sommes en France 1 million de personnes incontinentes et cela ne concerne pas uniquement les personnes âgées. Ces personnes peuvent avoir 16, 25, 36, 45 ans… Suite à des traitements contre le cancer, un accident, un accouchement, une maladie, etc.
L’incontinence anale est un sujet encore plus tabou que l’incontinence urinaire !
Faisons bouger les choses !
Osez consulter !
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