Cancer corticosurrénalien : “Je me rends compte que la vie est précieuse !”
Publié le 23 févr. 2022 • Par Candice Salomé
MissLibellule, membre de la communauté Carenity en France, est atteinte d’un cancer rare : le corticosurrénalome. Après une longue errance diagnostique, elle a enfin pu être opérée et suit désormais un traitement lourd en effets secondaires. Sa vie a basculé du tout au tout. Néanmoins, cela lui a permis de s’apercevoir à quel point elle pouvait la chérir. Elle se livre dans son témoignage pour Carenity.
Découvrez vite son histoire !
Bonjour MissLibellule, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
Bonjour, je m’appelle Sabrina, j’ai 37 ans, célibataire et sans enfant. Je suis préparatrice en pharmacie hospitalière. Je suis passionnée par la photographie, plus particulièrement la macrophotographie mais aussi l’astrophotographie. J’apprécie aussi la lecture ainsi que l’écriture. Le jardinage et le bricolage sont des activités qui me manquent. Toutes ces activités que j’ai un peu laissées de côté par manque d’énergie ou par difficulté de concentration des suites de mes pathologies.
Vous êtes atteinte d’un corticosurrénalome qui est un cancer rare. Pourriez-vous nous parler de la maladie et de ses symptômes ?
Le corticosurrénalome ou cancer corticosurrénalien est un cancer rare développé dans l’une des deux surrénales, plus particulièrement à partir de la couche extérieure de la surrénale (cortex surrénalien ou corticosurrénale).
Il existe 2 types de corticosurrénalome : le corticosurrénalome sécrétant et le non sécrétant.
Pour le corticosurrénalome sécrétant, il peut fabriquer en excès du cortisol mais aussi d’autres hormones surrénaliennes comme la DHEA (qui se transforme en testostérone, hormone masculine, et en œstrogènes, hormone féminine), l’aldostérone (qui contrôle le sodium et le potassium et qui régule la pression artérielle).
Me concernant il s’agit d’excès de cortisol : c’est la maladie de Cushing, les symptômes dus à un taux anormalement élevé de cortisol peuvent donc être observés à des degrés divers :
- Un changement physique apparait. On remarque souvent une prise de poids et un changement d’apparence de la personne malade : la graisse s’accumule dans le haut du corps et au niveau du cou. Le visage s’arrondit, il devient gonflé, rond, bouffi décrit comme "lunaire" et rouge. Le patient prend du ventre, on appelle cela une obésité androïde, c'est-à-dire principalement au niveau de l'abdomen.
- La peau devient plus fragile et moins épaisse, ce qui entraine des hématomes, des vergetures pourpres (sur le ventre, les cuisses, les fesses, les bras et les seins), et des difficultés de cicatrisation.
- Une perte de la masse musculaire surtout au niveau des bras et des cuisses, à tel point que cette « amyotrophie » peut entraver la mobilité de la personne atteinte ; ce qui entraîne un manque de force, des difficultés à faire des efforts physiques.
- Une fragilité osseuse par ostéoporose ou ostéopénie qui peut entrainer des fractures.
- Il ne faut pas non plus délaisser l’atteinte psychique importante due à l’action cérébrale du cortisol : fatigue, anxiété, irritabilité, troubles du sommeil et de la concentration, troubles du comportement, dépression qui altèrent la qualité de vie.
- Chez les femmes, les règles peuvent devenir irrégulières ou même s’interrompre. Elles peuvent aussi développer une acné et une pilosité excessive.
- Les hommes et les femmes peuvent se plaindre d’une perte du désir sexuel. La fertilité peut être aussi diminuée.
- On remarque un arrêt de la croissance chez l'enfant.
- L’ostéoporose, des infections, des thromboses, de l’hypertension artérielle et du diabète sont des complications courantes.
Pourriez-vous nous dire comment la maladie s’est-elle manifestée dans votre vie ? Quels ont été vos premiers symptômes ?
Pour ma part, tout allait à « peu près bien » jusqu’au jour où, lors d’une nouvelle crise de colique néphrétique (calcul rénal), j’ai passé un scanner et là, l’imagerie a révélé une masse, un adénome de 13 millimètres. On parle alors d’incidentalome.
Puis, au quotidien, mes symptômes devenaient de plus en plus gênants. J’avais de grosses migraines, des bouffées de chaleur, des palpitations, de l’hypertension artérielle parfois. Mon cerveau était comme « englué ». Je me sentais tout le temps fatiguée et mes jambes avaient de plus en plus de mal à me porter. Je ne me sentais plus comme avant, j’étais devenue différente, tout le temps au ralenti.
Puis, je finissais par faire des malaises sans perte de connaissance, cela m’arrivait beaucoup en voiture, alors je trouvais vite une aire de repos ou une sortie d’autoroute pour pouvoir m’arrêter et attendre que cela passe.
Deux de mes collègues qui me sont très chères, m’ont poussée à aller voir un pharmacien de mon travail pour lui parler de mon cas car il connaissait très bien un professeur endocrinologue du CHRU où je travaille.
J’ai eu une consultation immédiate avec lui et il penchait plus vers le phéochromocytome (sincèrement j’aurais préféré) suite aux résultats d’examens biologiques et imageries (Scanner, IRM et PET-scan). C’était en 2018.
Puis, je devais réaliser d’autres consultations, d’autres examens, mais je devais retourner en formation 1 année pour valider mon diplôme, j’ai donc « mis cela de côté ».
Ma formation étant finie… j’ai continué à fermer les yeux jusqu’au jour où tous mes symptômes se sont amplifiés.
A un moment, j’ai essayé de relancer les médecins mais je me trouvais souvent sans réponse, tout restait en stand-by.
Puis, par une nuit de juillet, pendant mes vacances d’été, j’ai été réveillée à 2 heures du matin, par une douleur très intense. C’était la nuit de vendredi à samedi… et j’ai attendu jusqu’au lundi matin pour consulter car la douleur était toujours aussi intense.
Mon médecin m’a bien sûr arrêtée, m’a fait faire une prise de sang et une échographie. Cette dernière n’a révélé aucune anomalie mais comme la prise de sang n’était « pas belle », le médecin m’a alors prescrit un scanner.
Je m’en rappelle encore, j’attendais dans la salle d’attente avec d’autres personnes. Je suis passée et j’ai attendu de nouveau en salle d’attente. Et là, je voyais tous ceux qui étaient passés après moi, partir avant moi. Le radiologue, après un certain moment, m’a appelée et m’a annoncé une rupture d’anévrisme de la fameuse masse, qui était passée de 13 millimètres à 46 millimètres.
Je me suis faite hospitalisée par le professeur qui m’a suivie depuis le début, pour essayer d’obtenir un diagnostic, afin de découvrir la cause de cette masse. Puis, on m’a fait de nouveau plusieurs examens biologiques et imageries. On m’a aussi dit qu’il fallait attendre que l’hématome se résorbe pour pouvoir retirer cet « adénome ».
Lors de ma consultation avec le chirurgien, il voulait m’opérer début septembre (2020) mais faute de place pour cause de patients Covid, mon intervention a été repoussée 1 mois plus tard, soit le 1er octobre 2020.
Connaissiez-vous ce cancer avant que le diagnostic soit rendu ? Qu’avez-vous ressenti à l’annonce de ce dernier ? Avez-vous pu recevoir toute l’information nécessaire à la compréhension de la maladie ?
J’ai donc été opérée le 1er octobre 2020. Un mois plus tard, j’ai eu ma consultation post-opératoire avec le chirurgien.
L’analyse anatomopathologique faite, j’ai enfin obtenu le diagnostic ! Le chirurgien m’a annoncé que c’était un corticosurrénalome ainsi que son score de Weiss.
Sincèrement, je voulais toutes les pathologies sauf celle-ci. Je connaissais la gravité de ce cancer, sa rareté, son agressivité, ses chances de survie, le grand risque de récidives métastatiques…
Je connaissais évidement ce cancer car je connaissais tout au sujet des maladies touchant les surrénales, à défaut d’avoir obtenu des réponses avant mon opération, j’avais donc essayé de chercher par moi-même.
Le chirurgien m’avait dit que j’étais assez chanceuse d’avoir découvert ce cancer à mon âge car, généralement, on le découvre trop tard et lorsqu’il s’est beaucoup développé. Tout de suite, il a appelé son confrère, le professeur qui me suivait depuis 2018 pour avoir une consultation et pour qu’il m’explique tout.
Avant ma consultation, j’avais écrit sur un papier toutes les questions que je voulais poser.
Le professeur qui me suit est très charmant, patient, attentif, empathique, à l’écoute et avec une belle pointe d’humour ! Sincèrement, je l’adore ! Il a pris le temps de tout m’expliquer, de répondre à mes questions et de me montrer des vidéos sur l’auto-injection d’hydrocortisone sous cutanée.
Je suis donc sous anti-tumorale per os (par voie orale) et je suis aussi insuffisante surrénalienne. Nouvelle pathologie !
En effet, à force que ma tumeur sécrétait du cortisol, les surrénales ne travaillaient plus. De plus, lors de mon intervention, j’ai omis de vous préciser que ma surrénale gauche a été retirée avec la tumeur. J’ai donc des risques de faire une insuffisance surrénale aigue (ISA) qui est une urgence vitale.
Le docteur m’avait conseillé de ne pas vivre seule par rapport à cette dernière. Je vis donc chez mes parents.
Pendant la consultation, je me rappelle même que je lui avais posé cette question sereinement « quel est mon taux de survie ? ». Il n’a su me répondre. Je pense que je l’ai décontenancé par rapport à mon comportement calme, serein et même « jovial ». Ce n’est pas de sa faute, je n’avais pas à lui faire la gueule, et puis, tout au fond de moi, je le savais déjà que j’avais une épée de Damoclès sur ma tête !
Le diagnostic est juste enfin posé. J’ai tout de suite accepté mon diagnostic. Je n’ai pas ressenti de colère, ni d’injustice… uniquement de la peine.
Quelle est votre prise en charge actuelle ? En êtes-vous satisfaite ?
Cela fait un plus d’un an que je suis sous anti-tumorale per os et sous hydrocortisone.
J’ai eu des hauts et des bas et c’est toujours le cas. J’ai plus eu du mal à un moment avec beaucoup de vomissements, de douleurs abdominales, et même des incontinences fécales ! Je suis suivie tous les 3 mois pour bilan d’extension.
Le professeur est très abordable, si j’ai la moindre question, il m’a toujours dit que je pouvais l’appeler ou lui envoyer des mails. A toutes mes questions, je reçois des réponses, je n’ai jamais eu à me plaindre.
Je suis très satisfaite de ma prise en charge notamment lorsque je tombe dans « mon » service d’endocrino.
Quel est l’impact de la maladie sur votre vie privée et professionnelle ?
Le plus difficile durant mon arrêt maladie c’est… de rester à la maison !
Je voulais à tout prix reprendre au plus vite. Je devenais folle à ne rien faire. Evidemment, j’étais très fatiguée et j'avais beaucoup d’autres symptômes mais je voulais revivre ma vie d’avant.
Au travail on a toujours été compréhensif envers ma situation. J’ai vraiment de la chance. Et mes collègues sont de vrais amours. Souvent, je recevais par la poste des colis, des cadeaux, des fleurs, des cartes, on m’appelait souvent ou on m’envoyait des messages presque quotidiennement.
Niveau familial, mes parents ont beaucoup caché à la famille et à l’entourage mon cancer pour les préserver mais cela me pèse de plus en plus.
Je décline souvent les invitations, je parais donc comme une personne froide et indifférente mais là aussi personne ne voit le temps passé dans mon lit à recharger mes batteries. Personne ne voit mes hospitalisations, tous les 3 mois, et tous les autres examens biologiques et imageries non plus, ni la surveillance de mes constantes régulièrement… et tout ce que je ne dis pas.
En effet, je reçois beaucoup de réflexions. Et oui, je suis une personne souriante et je ne manque pas d’humour, mes forces et mes faiblesses combinées. Lorsque l’on ne perd pas ses cheveux et que l’on ne maigrit pas, les autres ne vous perçoivent pas comme une personne malade. Je grossis même (je remercie mon antitumoral atypique et mon corticoïde) mais j’ai tous les autres effets indésirables… qui les voit ? Je retravaille (à mi-temps - juste pour essayer de rattraper ma vie d’avant) alors, pour eux, je ne suis pas malade mais personne ne sait qu’il y a des conséquences après, que je dois réévaluer mon traitement pour paraître « normale » et personne non plus ne voit que le lendemain je le paie et que parfois je dois me faire des injections pour urgence vitale (pour cause de fatigue, émotion, brûlure, fièvre…).
Je ne suis pas difficile en alimentation, j’ai juste du dégoût et beaucoup de nausées. Je décline souvent les invitations, je passe pour une personne froide et indifférente mais, là aussi, personne ne voit le temps que je passe dans mon lit à recharger mes batteries. Personne ne voit mes hospitalisations tous les 3 mois et tous les autres examens biologiques et imageries non plus, ni la surveillance de mes constantes régulièrement… et tout ce que je ne dis pas ! Mais je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, de vouloir protéger tout le monde, de n’en dire qu’un minimum et de vouloir préserver mon intimité.
Alors soit, d’apparence, je suis froide, indifférente, grosse, feignante et j’ai même perdu mon travail pour certain. Qui peut prétendre connaître la vie d’autrui ? Le jugement est tellement facile et je trouve que faire des conclusions hâtives est relativement faible et petit. Je n’ai pas choisi d’être malade. Je suis consciente que j’ai des pathologies rares et compliquées, que beaucoup de personnes ont du mal à comprendre ce que je vis mais ça m’est parfois difficile.
Et c’est aussi dans ces moments-là que l’on peut s’apercevoir des personnes sur qui l’on peut compter, il y a ceux qui restent et ceux qui partent…
Niveau sentimentale, alors là si j’ai le malheur de raconter mon histoire alors que le courant passe très bien, je peux vous assurer que le super pouvoir de volatilisation existe bien ! Pas pour des hommes qui me connaissaient avant et qui seraient peut-être prêts à m’accompagner dans mon épreuve. Mais ce n’est pas ma priorité. Et ai-je le droit d’aimer et surtout d’être aimée avec toutes les conséquences qui peuvent en découler ?
La reprise de mon travail à mi-temps thérapeutique m’a fait énormément de bien moralement.
Ce qui est pesant pour moi ce sont toute la paperasse à répétition, pour le travail, la sécurité sociale par exemple et les rendez-vous multiples, des médecins, des spécialistes, des examens, des prises de sang mensuelles, des médecins experts, du médecin du travail. Penser à les relancer s’il y a des loupés. Ne pas oublier de renouveler son ordonnance, le temps file à toute vitesse et il y a tellement de choses en tête. J’ai l’impression de ne faire que ça. Difficile à suivre lorsque l’on est épuisée et lorsque l’on perd la mémoire… vive l’organisation et les post-it !
Ce qui est difficile à accepter c’est d’avoir le statut handicapé, travailleur handicapé, la carte mobilité inclusion etc. Ce qui est très bien pour mon quotidien mais très difficile à endosser.
Avez-vous dû adapter votre style et mode de vie depuis l’annonce de la maladie ?
Avec mes tous mes symptômes, j’ai dû effectivement adapter mon mode de vie.
Au travail, j’ai un poste aménagé et mes collègues m’aident énormément lorsque je ne peux pas faire certaines tâches.
Evidemment, je ne suis plus la même. J’ai arrêté le sport et tous mes loisirs car un rien me fatigue. Il m’arrive de marcher comme une personne âgée tellement je suis fatiguée. Et comme j’ai repris le travail je dois me reposer encore plus. Je suis même plus fatiguée qu’avant… alors est-ce la reprise de mon travail ou mes traitements médicamenteux ?
De plus, je dois me faire opérer bientôt pour un macrokyste ovarien, qui ne fait que grossir. Il me fait parfois très mal. J’espère juste une chose, que cette fois-ci, il ne sera pas malin. Donc pour éviter les douleurs, j’ai arrêté les sports doux (yoga, marche, vélo d’appartement etc.). Je compte bien reprendre mes activités après mon intervention. Je n’ai plus la même vision de la vie, je relativise beaucoup ! Je me rends compte que la vie est précieuse, qu’il ne faut pas la gâcher. Et je pense plus à moi, je prends plus soin de moi.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Je n’ai pas de projet. Mon plus grand regret est de n’avoir eu d’enfant.
Je me rappelle avoir demandé à mon gynécologue si, après 40 ans (après les 5 années de chimiothérapie, voir plus car c’est une molécule liposoluble qui reste très longtemps dans le corps et surtout tératogène), je pourrais avoir des enfants, il m’a dit que oui. Ça me met du baume au cœur. On verra bien ce que la vie me réserve d’ici là.
Et puis les cancéreux et les banques ne sont pas amis… alors pour les projets où les finances rentrent en jeu, ce n’est plus pour moi non plus.
J’écris, je suis même sur plusieurs livres. A voir si je les finirai… Difficile avec mes problèmes de concentration. Même pour lire, il m’est malheureusement difficile maintenant de commencer un livre alors que j’adore ça !
Par contre, durant mon arrêt, j’ai eu le temps de créer un carnet de suivi pour les patients souffrant de maladies des surrénales. J’en suis au stade de l’édition. J’espère pouvoir être éditée pour aider les patients comme moi. Le professeur qui me suit ainsi que sa consœur, et même des internes, trouvent qu’il est génial et n’attendent que sa mise à disposition pour les malades. J’ai même un autre projet qui en résulte… à suivre !
Que pensez-vous des plateformes d’échanges entre patients comme Carenity ? Y trouvez-vous les conseils et le soutien recherchés ?
J’apprécie beaucoup Carenity, c’est le premier forum sur lequel je suis tombée lorsque je cherchais à échanger et à obtenir des informations. Je le trouve intuitif, interactif, avec de l’échange et beaucoup d’entraide.
Enfin, que conseillerez-vous aux membres Carenity également touchés une maladie rare ?
Qu’ils ne restent pas seuls, qu’ils se fassent aider dans tous les domaines possibles. Qu’ils n’hésitent pas à poser des questions à leurs médecins, qu’ils ne restent pas sans réponse et surtout, si leur médecin ne leur convient pas, qu’ils changent !