Y a-t-il un remède au vieillissement ?
Publié le 24 mars 2015
Faisons un peu de science-fiction… Vous avez autour de soixante-cinq ans et, sans encore vous sentir « vieux », les années commencent à vous peser. La vitalité de votre belle jeunesse, vous le sentez bien, s'est envolée. Aussi vous décidez-vous à aller voir le Pr Sinclair à Boston. Il vous garde auprès de lui une semaine, au cours de laquelle vous subissez à intervalles réguliers de simples injections. A la fin du processus, quand vous prenez congé du bon docteur, vous vous dites que vous ne vous êtes pas senti aussi bien depuis longtemps. Et cette impression n'a rien de trompeur : la molécule que le Pr Sinclair vous a administrée vous a rendu vos muscles de quand vous aviez seize ou dix-sept ans !
Un scénario de mauvaise série B ? Voire. Car le Pr Sinclair existe bel et bien : il se prénomme David, est né il y a quarante-cinq ans en Australie et travaille à la Harvard Medical School. Et sa molécule miracle aussi : la nicotinamide adénine dinucléotide ou NAD. David Sinclair l'a testée sur des souris de deux ans, ce qui, étant donné la longévité moyenne de ces rongeurs (deux ans et demi) et l'espérance de vie moyenne en France (quatre-vingt-deux ans), correspond à peu près à l'âge de la retraite pour nous. Après une semaine d'injections de NAD, les souris ont retrouvé leur musculature et leur vitalité de six mois. Ces résultats ont été publiés dans la très sérieuse revue « Cell ».
Évidemment, l'expérience de David Sinclair n'est pas passée inaperçue dans le petit cénacle des biologistes du vieillissement, même si ce n'est pas, loin s'en faut, la seule du genre à avoir été réalisée ces dernières années. Produite naturellement par le corps de l'homme comme par celui de la souris, la NAD est une molécule présente dans la mitochondrie, un élément essentiel, à l'instar du noyau, de toute cellule vivante. Si le noyau est ce qui renferme l'ADN, support de notre patrimoine génétique, la mitochondrie - qui contient d'ailleurs son propre ADN, dit mitochondrial - joue un autre rôle tout aussi important.
« Véritable centrale à énergie de la cellule, elle utilise l'oxygène (que nous inhalons) pour brûler les nutriments (que nous ingérons) et en tirer l'adénosine triphosphate, ou ATP, ce carburant du vivant », explique le biologiste du vieillissement Hugo Aguilaniu, chercheur au Laboratoire de biologie moléculaire de la cellule (CNRS-ENS Lyon). Dans cette très complexe chaîne de réactions chimiques, la NAD peut être vue comme une sorte d'oléoduc, acheminant l'ATP au bon moment au bon endroit à l'intérieur de la cellule.
Pour cette raison et beaucoup d'autres, les mitochondries jouent un rôle clef dans le processus de vieillissement d'un organisme. Comme toutes les usines, celles-ci se délabrent avec le temps, et les dysfonctionnements résultant de cette dégradation progressive sont à l'origine d'un certain nombre de maladies ou d'infirmités apparaissant le plus souvent avec l'âge, qu'il s'agisse de problèmes cardiaques ou de difficultés motrices.
La chasse aux « gérontogènes »
Quelques mois avant la publication de David Sinclair dans « Cell », une autre étude très intéressante faisait l'objet d'une publication dans les « Proceedings of the National Academy of Sciences ». Une équipe menée par David Walker (université de Californie à Los Angeles) y montrait que, en surexprimant un gène donné, Parkin, on augmentait de 25 % la durée de vie en bonne santé de la mouche drosophile. Sous sa forme mutée, le gène Parkin favorise une forme de la maladie de Parkinson. Mais, sous sa forme non mutée, il remplit une fonction vitale en contribuant notamment au « marquage » des mitochondries abîmées, aux fins d'élimination.
Le gène Parkin n'est que l'un des multiples gènes dont la modulation positive ou négative (en le surexprimant ou en le neutralisant) permet d'allonger la longévité. Depuis la découverte en 1993, par Cynthia Kenyon de l'université de Californie à San Francisco, du gène DAF-2, le premier identifié comme ayant un impact sur la longévité, la chasse aux « gérontogènes » a été menée tambour battant, avec de substantiels résultats. « Sur le nématode Caenorhabditis elegans, dont le génome compte approximativement 16.000 gènes, la communauté des chercheurs en a isolé une centaine ayant un impact sur la longévité », indique Hugo Aguilaniu, qui étudie tout particulièrement ce petit ver transparent d'un millimètre de long comme modèle simplifié du génome humain.
Une structure génétique flottante
Cette relative abondance de gènes susceptibles, si l'on en modifie l'expression, d'ajouter des années de vie à un organisme n'est pas tellement surprenante, explique le généticien. « Cela suggère que la longévité d'un organisme, à l'inverse d'autres traits comme sa capacité à se reproduire facilement par exemple, n'a pas d'impact significatif sur la survie de l'espèce et sur la transmission de son patrimoine génétique d'une génération à l'autre. » En effet, un organisme perd la capacité de se reproduire au-delà d'un certain âge. N'étant pas primordiale pour la survie de l'espèce, la longévité individuelle n'est pas soumise, de la part de la sélection naturelle, à une forte pression tout au long du processus évolutif. D'où sa structure génétique relativement flottante, sur laquelle les généticiens modernes peuvent assez facilement jouer - serrer un boulon ici, en desserrer un autre là.
Plus de vingt ans après la découverte initiale de Cynthia Kenyon, la course aux gérontogènes s'est un peu essoufflée, ce qui ne veut pas dire que la biologie du vieillissement soit une discipline moins active aujourd'hui que naguère. Mais elle a changé de visage. Plutôt que de s'acharner à augmenter la longévité, ce qui a déjà largement été fait avec les organismes inférieurs (dans le laboratoire lyonnais de Hugo Aguilaniu, le petit ver qui vit normalement moins de trois semaines a été maintenu en vie trois cents jours !), les scientifiques, qu'ils soient généticiens ou biologistes cellulaires, se concentrent désormais sur la qualité de ces années de vie gagnées sur le temps. Leurs travaux visent de plus en plus à comprendre et, si possible, neutraliser les innombrables mécanismes à l’œuvre dans la sénescence, dans l'espoir d'offrir demain aux laboratoires pharmaceutiques des armes efficaces pour lutter contre les maladies liées à l'âge. La biologie du vieillissement n'en est encore qu'à la fleur de l'âge.
Les Échos.fr
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