Les femmes enceintes doivent-elles s'inquiéter du virus CMV ?
Publié le 2 juil. 2015
«Il y a 5 ans, jour pour jour, Aubin, mon fils, mourait dans mes bras. Enfin, dans nos bras, à ma compagne et à moi. Il était âgé de 5 semaines et avait contracté durant la grossesse un virus, le CMV». Ce message, posté sur Facebook la semaine dernière, a été partagé en quelques jours à peine plus de 200 000 fois. Ce père en colère y dénonce le manque d’information autour du CMV, le «premier virus qui touche les nourrissons» et s’interroge : «Pourquoi tant de gynécologues continuent-ils de considérer le CMV comme un truc anodin, pas dangereux ?». Les femmes enceintes doivent-elles s’inquiéter ? Ce virus est-il si dangereux et pourquoi la majorité des femmes enceintes n’en ont-elles jamais entendu parler ? Libération fait le point.
Qu’est-ce que le CMV ?
Le cytomegalovirus, ou CMV, est un virus de la même famille que la varicelle et l’herpès. Il se transmet par les sécrétions corporelles comme la salive, l’urine ou les larmes et par les sécrétions génitales (sperme et sécrétion vaginale). C’est un virus très fréquent : «En région parisienne, par exemple, un adulte sur deux l’a déjà contracté, explique Olivier Picone, gynécologue-obstétricien qui a réalisé des travaux sur ce virus. Mais dans la grande majorité des cas, ces personnes ne se sont aperçues de rien; elles n’ont eu aucun symptôme; ou seulement de la fièvre et des courbatures comme pour une grippe.»
Trois catégories de personnes ont plus de risque d’avoir le CMV : les adolescents et les jeunes adultes (période propice aux baisers langoureux avec plusieurs partenaires), les enfants de moins de trois ans en crèche (où les sécrétions corporelles sont très importantes), les mères de ces enfants et tout le personnel qui travaille avec la petite enfance (pédiatre, auxiliaires puéricultrice, sage femme…) «Un enfant sur deux en crèche est susceptible de contaminer sa mère», explique Olivier Picone.
Quels sont les risques pour une femme enceinte ?
«En France, environ une patiente sur 100 est contaminée par le CMV durant sa grossesse», explique Olivier Picone. Lorsque le CMV touche une femme enceinte, les risques de contamination du bébé sont réels. Le risque de transmission de la mère à l’enfant est de 15% au premier trimestre et augmente ensuite jusqu’à 60%. Les conséquences sont plus graves pour le fœtus au cours des trois premiers mois de grossesse «avec des risques de mort in utero ou des séquelles psychomotrices» mais la majorité des fœtus infectés n’ont pas de séquelles. «Un suivi prénatal spécialisé permet de prédire avec une bonne fiabilité les risques pour le fœtus», note Olivier Picone. 10% des bébés affectés in utero par le CMV ont des symptômes et courent un risque grave. Parmi les 90% restants, 5% ont des troubles auditifs dans l’enfance (le CMV est la deuxième cause de troubles auditifs), les autres n’ont aucun symptôme. 0,5 à 1% des nourrissons sont infectés par ce virus.
Ce virus est-il aujourd’hui dépisté ?
En 2004, la Haute Autorité de santé (HAS) recommande de ne pas faire de dépistage systématique du CMV car il n’existe aujourd’hui que des traitements expérimentaux pour ce virus. Pourtant «en région parisienne, environ une femme sur deux fait un dépistage du CMV, parfois même sans le savoir car il est prescrit en même temps que la toxoplasmose, la rubéole et l’hépatite B», explique Olivier Picone. Mais ce dépistage reste selon lui très inégal selon les régions. Certains gynécologues craignent que le dépistage systématique n’aboutisse à un excès de stress, à des interruptions volontaires de grossesse (IVG) ou à des interruptions médicales de grossesse (IMG) injustifiées. Au-delà du dépistage systématique qui reste controversé, les parents confrontés à ce virus restent incrédules face au manque d’information.
«Une femme enceinte sur deux n’est pas informée sur ce virus alors qu’elle vient avec son premier enfant de moins de trois ans chez son gynécologue», explique Anne Hélène Labissy, présidente de l’association CMV Chanter marcher vivre. Depuis le post de Yann Champion, cette association a reçu des centaines de messages de parents qui ne connaissaient pas non plus le CMV avant d’y avoir été confrontés et «ils sont nombreux alors qu’ils pensaient être un cas isolé.» Pourquoi peu de gynécologues en parlent-ils ? «Il y a plus de professionnels de santé qui en parlent que de femmes qui se souviennent qu’on leur en a parlé, remarque Suzanne Breig, gynécologue au centre hospitalier d’Annecy avant d’ajouter : les conséquences dramatiques liées à ce virus restent rares. Sur 800 000 grossesses par an, le drame vécu par ce monsieur [Yann Champion] reste exceptionnel. Il ne faut pas faire psychoter les femmes.» «C’est peut-être anxiogène, lui répond Anne Hélène Labissy. Mais qu’est-ce que ce stress supplémentaire représente par rapport à moi qui vit avec ma fille polyhandicapée depuis la naissance ou une mère qui doit subir une IMG à huit mois de grossesse ?»
Comment limiter les risques ?
Pour le gynécologue Olivier Picone, il faut pour cela respecter des règles d’hygiène assez simples avec les enfants de moins de trois ans : se laver les mains en cas de contact avec les urines, ne pas manger avec les mêmes couverts ou boire dans le même verre et ne pas embrasser le bébé sur la bouche. Des recommandations qui irritent Elisabeth Paganelli, secrétaire générale du Syngof, le syndicat national des gynécologues et obstétriciens : «C’est de la prévention inapplicable. Si votre enfant est malade vous n’allez pas le toucher ? Et si vous travaillez en crèche vous devez arrêter de travailler ? Ne cherchons pas à perturber les femmes.» Pourtant une étude réalisée en 2008 et en 2009 dans une revue internationale montre que ces simples mesures d’hygiène permettent de diviser le risque d’avoir le virus par quatre.
La Haute Autorité de santé avait recommandé voilà plus de dix ans d’assurer la prévention sur le CMV. «Qu’est-ce qu’on attend pour la mettre en place ?», s’interroge Yann Champion. Mais Elisabeth Paganelli l’assure : «Cette recommandation n’est pas officielle. Ce n’est pas inscrit sur les fiches de santé. On ne nous dit pas officiellement ce qu’on doit dire aux femmes.» Pour ne pas que les futurs parents revivent son cauchemar, Yann Champion aimerait lui en faire «un enjeu sanitaire».
Liberation.fr
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