Surmonter le cancer : la thérapie des montagnes
Publié le 24 oct. 2017 • Par Léa Blaszczynski
Christine Janin, médecin alpiniste, a relevé beaucoup de défis dans sa vie. Parmi eux, gravir les plus beaux sommets du monde mais aussi créer l'association A Chacun son Everest qui aide les enfants et les femmes à "guérir mieux" du cancer.
Son sourire désarmant et sa silhouette énergique font d’elle un personnage sans âge. L’expérience transparaît pourtant sur son visage marqué par l’altitude et le soleil. Car Christine Janin n’a jamais eu peur d’avancer, ni même de reculer parfois. « Il y a deux choses essentielles dans la vie : oser et partager », explique-t-elle avec simplicité. Retour sur le parcours hors du commun de cette alpiniste médecin qui a su transformer sa vie et celle des autres.
Christine Janin n’a que 24 ans lorsqu’elle part gravir son premier sommet au Pakistan. Elle s’embarque dans cette aventure tout en débutant sa sixième année de médecine. 8 035 mètres sur le Gasherbrum II qui font d’elle la première Française à atteindre 8 000 mètres sans oxygène. D’ailleurs c’est bien simple : pendant dix ans, elle ne fait que des ascensions. « Ma vie, c’était des vacances », résume-t-elle en riant. Elle ne pratique pas la médecine traditionnelle dans un bureau mais celle des cordées et de la haute-montagne. « C’est une autre forme de médecine, la prévention, on fait attention à l’autre. »
La première Française sur l’Everest
En 1990, elle est ainsi la première Française à gravir le toit du monde, l’Everest, malgré la concurrence de douze autres femmes. Un challenge de deux mois, difficile et solitaire, qu’elle raconte sans fioritures. « Pour monter là-haut, il faut être libre d’échouer. » Ce matin-là, le 5 octobre, avec son ami et photographe Pascal Tournaire, ils quittent le camp des 7000 mètres à 3 heures du matin. A partir des 8 000 mètres « c’est chacun pour soi. S’il y en a un qui tombe, on doit le laisser. Heureusement, Pascal est resté debout et moi aussi. » A ce moment-là, ils n’ont que 10% d’oxygène et avancent à 100 mètres à l’heure. « A 8 005 mètres, on fait vingt pas, puis dix, puis cinq. Là, on prend la décision de continuer ou non. Il n'y avait pas de vent et la pleine lune, on a continué. On marche, on rentre en pleine conscience. On fait cinq pas, on s’arrête. La vie est hyper simple finalement. Il fait froid, -40, mais c’est simple », rit-elle. Ils atteignent la barre des 8 048 mètres pile pour le coucher de soleil à 17 heures. « On a pris quelques photos (voir ci-dessous) et on est redescendu. C’est là, que c’est réellement dur et dangereux, en fait. On est fatigué, épuisé psychologiquement, on n'a rien avalé, ni bu en quinze heures. Il faut être très concentré. C’est seulement après, quand on est au camp, qu’on réalise, qu'on vit ce moment de plénitude. »
Mais après un tel exploit, il faut savoir transformer l’expérience. « On peut toujours faire d’autres sommets mais l’Everest, c’est le plus grand… » D’autres continuent de poursuivre le rêve, quitte à s’y perdre. « Une crevasse, un fossé… Tous les grands alpinistes de ma génération sont morts aujourd’hui. » Christine Janin, elle, s’est vite trouvé un nouveau projet. En 1992, elle est la première Française à réaliser le challenge des Seven Summits soit les sommets les plus élevés des sept continents (Everest en Asie, Aconcagua en Amérique du Sud, Denali en Amérique du Nord, Kilimandjaro en Afrique, Elbrouz en Europe, Massif Vinson en Antarctique et Mont Kosciuszko en Australie). Ce qu’elle en retient ? « Les rencontres avec les gens, le partage. Incroyable. » A cette époque, elle a d’ailleurs commencé à raconter son histoire dans des écoles mais aussi dans le service de cancérologie de l’hôpital Trousseau. « Après le challenge, je me suis demandé ce que j’allais faire de ma vie. Les enfants ont donné du sens à mes expéditions. »
Inventer la médecine de l’âme
Car au bout de deux ans, Christine Janin décide d’emmener les enfants avec elle. « 800 mètres de dénivelé avec des gamins qui sortaient de chimio. Je ne sais même pas si ce serait encore possible aujourd’hui… » Et c’est comme ça que naît l’association A Chacun son Everest en 1994 dans un chalet de Chamonix où les enfants viennent passer une semaine pendant les vacances. « On a inventé la médecine de l’après-cancer, la médecine de l’âme. Ce sont des enfants à qui on dit: "Maintenant t’es guéri, tu vas faire comme avant" mais ils ne sont plus comme avant. Et à l’école, on ne veut pas en parler. Dans la famille, on ne veut plus en parler. Parce qu’un cancer, c’est lourd pour tout le monde. Finalement, il n’y a que d’autres enfants qui ont eu un cancer qui peuvent comprendre. On fait de la résilience: en une semaine, on passe du malheur au merveilleux malheur. »
Pas moins de 4 300 enfants sont déjà passés par Chamonix. Là, ils se réapproprient des qualités qu’ils ont déjà en eux : la confiance en soi, la force, la foi… Tout ce qui leur a permis de battre le cancer. Ils échangent, escaladent, rient et marchent sur le Mont Blanc. Certains reviennent d’ailleurs comme ces deux trentenaires qui ont refait leur première ascension cet été. « Quand ils ont réalisé ce qu’ils avaient fait à 7 ans juste après la chimio, ils m’ont traité de folle », plaisante Christine.
Et parmi tous ces enfants, neuf ont eu le privilège de rejoindre Christine en hélicoptère en 1997 alors qu’elle devenait la première femme au monde à atteindre le Pôle Nord à pieds. « On a marché soixante-deux jours sur la banquise. C’était très méditatif sauf quand on a croisé deux ours… C’était rude, il faisait entre -20 et -40 mais j’ai marché pour eux. Je savais qu’ils m’attendaient à l’arrivée. »
"Libres, fières et légères"
Pour les vingt ans de l’association, Christine Janin a décidé d’ouvrir ses portes aux femmes atteintes d’un cancer du sein. « C’était important de franchir une nouvelle étape. On a choisi les femmes parce que je suis partisane "des femmes et des enfants d’abord". » C’est une autre forme de séjour qui est alors proposé. « Les enfants, j’insiste pour qu’ils mettent la table alors que les femmes ne doivent pas lever le petit doigt, sourit Christine. On prend soin d’elles pendant une semaine. On les traite comme des princesses. Elles ont des massages, des ateliers sportifs, des petits plats diététiques… »
Les femmes sont accueillies quatre mois après la fin de leur traitement, au moment du creux de la vague. Quand, après un suivi intense pendant deux ans, elles se retrouvent seules chez elles. « Ce moment où la peur les envahit. Il y a beaucoup de solitude chez les femmes. Même leurs amies ou le plus aimant des maris ne peuvent pas les comprendre. Et puis, il y a la chute des cheveux qui pose des problèmes avec l’image de soi, la féminité, la sexualité. La guérison n’est pas simple. Surtout qu’elles ont le sentiment de n’être pas entendues car le cancer du sein est banalisé. Les gens disent que ce n’est rien, qu’on en guérit facilement, qu'ils connaissent quelqu'un qui l'a eu... C’est très violent. »
Le but de leur semaine est de repartir « libres, fières et légères ». « Je les secoue tellement qu’elles sont obligées de lâcher. » Une fois que la carapace s’est brisée, elles peuvent alors rire comme des enfants. « C’est déjà arrivé qu’elles jouent dans la neige, seins nus, avec leurs cicatrices. Ensemble, elles appartiennent au même groupe. C’est une vraie libération. »
Huit cent femmes ont déjà été accueillies à Chamonix en cinq ans. Et les demandes sont si importantes que des associations tentent de faire la même chose dans d’autres massifs en France. Pour les enfants, de multiples associations existent déjà même si elles n’ont pas la même démarche thérapeutique qu’A Chacun son Everest : aller à Disney, réaliser un rêve, etc. Quant à Christine Janin, cette année, elle a choisi de prendre du recul pour faire le point. « Une association, c’est un peu un sacerdoce. On aide 230 enfants et 168 femmes par an. C'est épuisant et il vaut mieux savoir s’arrêter à temps plutôt que de tout perdre... Je vais donc mettre quelqu'un d'autre sur le terrain et faire une pause. » Christine Janin vient aussi d’écrire un livre où elle raconte les ascensions mais aussi le chemin plus compliqué de la redescente, celui de la guérison, celui de la transformation. Dame de pics et femmes de cœur (éditions Glénat) est un récit à son image : plein d’enthousiasme, d’intuition et de courage.
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