Attentats: l'urgence des soins passée, les médecins digèrent le choc
Publié le 19 nov. 2015
Même avec plusieurs décennies d'expérience, chirurgiens et secouristes reconnaissent que cette soirée « apocalyptique » était une rare épreuve. Ils avaient fini leur journée de travail, étaient rentrés chez eux. Mais aux premières mentions de fusillades dans Paris, beaucoup de soignants, médecins, infirmiers, secouristes, sont revenus sur leurs pas pour prêter main forte face à la vague attendue de blessés.
Quand elle s'est déversée dans les hôpitaux parisiens, l'onde a pris la forme inédite de jeunes gens d'une trentaine d'années, «passés de la fête à l'horreur en une seconde, criblés de balles mais pas toujours conscients de la gravité de leurs blessures», se souvient le Dr Philippe Nuss, psychiatre à l'hôpital Saint-Antoine, de garde ce soir-là.
«On a accueilli les blessés dans un restaurant réquisitionné près du Bataclan», se souvient Stéphane Dupuis, cadre de soins au Samu 94, parmi les premiers sur les lieux. Une pause. «Il y avait vraiment beaucoup de sang dans ce restaurant.»
Ils ont beau se dire «aguerris», afficher plusieurs décennies d'expérience au compteur, chirurgiens et secouristes reconnaissent que cette soirée «apocalyptique» était une rare épreuve, et pas seulement à cause du défi technique et logistique. «On organise régulièrement des exercices pour être prêts à des situations similaires, on sait ce qu'il faut faire, trier les urgences absolues des relatives, traiter, évacuer. Mais là, il y a eu une petite sidération au début. C'était réel», constate Stéphane Dupuis.
«Le travail bien fait, un baume qui nous protège»
Pudeur, tabou, crainte de passer pour le maillon faible: les professionnels de santé ne sont pas les plus enclins à déverser leurs états d'âme. Pour évoquer la nuit du 13 novembre, ils préfèrent insister sur la beauté de l'effort collectif, le sans-faute de la coordination, l'efficacité des soins, la mobilisation générale, y compris des cadres administratifs, des paramédicaux, des ambulanciers. «C'est un baume qui nous protège, ce sentiment d'avoir bien fait notre travail», résume Philippe Nuss.
Mais dans les hôpitaux de l'APHP, des cellules de soutien psychologique ont été ouvertes, parfois dès samedi, pour les victimes et leurs proches, bien sûr, mais aussi pour ceux qui s'occupent d'eux.
«Certains professionnels peuvent ressentir un stress, pas pendant l'action mais plutôt après. Les identifier n'est d'ailleurs pas toujours évident. Cela fait partie des points qu'on découvre avec l'expérience», explique le Pr Éric Allaire, chirurgien vasculaire et coordinateur des blocs opératoires à Henri-Mondor (Créteil), centre traumas où 8 blocs ont fonctionné simultanément. À Saint-Antoine (Paris XII), Philippe Nuss souhaite notamment sensibiliser les plus jeunes de ses confrères. «On essaie de les amener à parler mais de façon pas trop officielle, un peu comme un partage entre pairs.» Le stress post-traumatique est une science très récente. «On ne sait pas bien quels sont les profils les plus vulnérables. Sûrement les gens qui ont déjà été blessés psychiquement dans leur vie. Et ceux qui verbalisent peu leurs émotions.»
Le processus d'acceptation
Sans doute, lorsque les drames font partie du quotidien, mesurer l'ampleur d'un choc n'est-il pas évident. Il est possible que, pour certains, le processus d'acceptation ne fasse que commencer. Un secouriste, en première ligne au Bataclan, a vu mourir dans ses bras un jeune homme, une «gueule cassée» atteint par une balle dans la joue. Le soignant s'est confié à son épouse en rentrant chez lui et se sent «très entouré». Il admet toutefois dormir «moins bien», penser à cette nuit «en permanence».
Hier matin, un chirurgien parisien confiait à une amie: «Je ne suis pas en forme, c'est dur. On fait comment si ça recommence et qu'on récupère encore plus de blessés?»
Le Figaro Santé
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