Trouble dissociatif de l’identité (TDI) : “Je connais 7 de mes alters.”
Publié le 1 févr. 2023 • Par Candice Salomé
Naomi, dite @partiellement.moi sur les réseaux sociaux, est atteinte du trouble dissociatif de l’identité (TDI). Elle a pris conscience de la maladie à ses 15 ans. Ce n'est qu’à 24 ans que Naomi a été diagnostiquée. Aujourd’hui, elle est suivie par une psychiatre et une psychologue qui lui conviennent et son état de santé s’améliore. Elle se livre dans son témoignage pour Carenity.
Découvrez vite son histoire !
Bonjour Naomi, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
Je m’appelle Naomi, j’ai 24 ans. Je suis passionnée d’art visuel sous toutes ses formes, mais aussi de militantisme et de sciences humaines et sociales. J’ai un compte Instagram nommé Partiellement.moi et une boutique en ligne où je vends des impressions de mes illustrations et des stickers ayant pour thème la santé mentale.
Vous êtes atteinte de trouble dissociatif de l’identité (TDI). Pourriez-vous nous dire comme se manifeste la maladie dans votre quotidien ? Quels en sont les symptômes / les manifestations ?
Je dissocie énormément : cela me cause des absences, de la confusion mentale, un détachement de moi-même, de mon corps et de mes émotions, etc. Comme la dissociation s’est installée très tôt dans ma vie d’enfant suite à des traumatismes graves et répétés, mon identité est également fragmentée. J’ai donc ce qu’on appelle plusieurs alters, qui ont tous une identité et un sens d’eux-mêmes propre. Ils peuvent prendre le contrôle de mon corps suite à un rappel traumatique par exemple, cela va alors complétement modifier ma vision de qui je suis, ma manière de penser et de ressentir des émotions, mon rapport à mon corps… Cela peut me causer des amnésies, partielles ou totales. Il arrive également que j’entende leur voix, comme si quelqu’un d’autre pensait dans ma tête. Ce trouble étant lié à des traumatismes, je vis aussi avec des flashbacks, des reviviscences traumatiques, de l’anxiété, etc…
Quand la maladie a-t-elle débuté ? Qu’est-ce qui vous a poussé à consulter pour le TDI ? Combien de temps et de médecins vous a-t-il fallu rencontrer pour obtenir le diagnostic ?
Le TDI est un trouble qui se développe dans l’enfance. Mes premiers souvenirs de symptômes dissociatifs remontent à l’adolescence : incapacité à bouger et à parler pendant mes crises, amnésies, hallucinations intrapsychiques, perte totale du contrôle de mon corps à cause de mes alters… J’ai été suivie par un psychiatre à la fin de l’adolescence mais aucun diagnostic n’a été évoqué à l’époque (beaucoup de professionnels refusent de diagnostiquer les adolescents).
A 22 ans, j’ai fait une dépression sévère qui a complétement mis en pause mes projets professionnels et personnels. J’ai réalisé à quel point mes symptômes étaient envahissants, et que j’avais réellement besoin d’aide.
A 23 ans, j’ai entendu parler du TDI sur les réseaux sociaux, et je me suis mise à lire beaucoup de littérature scientifique et de témoignages sur ce trouble car je m’y reconnaissais beaucoup. J’en ai parlé à ma psychologue qui m’a dit que même si elle n’avait pas le droit de me donner un diagnostic officiel, elle suspectait fortement ce trouble chez moi.
Après avoir vu deux psychiatres qui ne me convenaient pas du tout et qui n’ont pas pu m’aider, j’ai enfin pris la décision de chercher un professionnel qui me correspondait pour entamer un parcours diagnostique et de soins plus adapté. J’ai rencontré ma psychiatre actuelle à 24 ans, qui m’a diagnostiqué un TDI au bout de 4 mois.
Quel est l’impact de la maladie dans votre quotidien ? Quels sont ses retentissements sur votre vie professionnelle / scolaire et personnelle ?
Comme énormément de personnes atteintes d’un trouble psychique grave, j’ai plusieurs autres maladies mentales très handicapantes : trouble anxieux, trouble borderline, dépression, addictions… J’ai donc des difficultés à identifier l’impact réel du TDI parmi tous ces symptômes, car mes troubles s’entremêlent et s’entre-nourrissent.
Je peux dire qu’actuellement je suis reconnue comme étant atteinte d’un handicap psychique sévère dans le pays où je vis, et comme étant inapte médicalement à travailler.
J’ai travaillé en salariat dans des emplois peu qualifiés de mes 18 à mes 22 ans sans jamais réussir à tenir un temps plein, ni garder un emploi plus de quelques mois. C’était une expérience très douloureuse, c’est pourquoi je tente aujourd’hui de me lancer à mon compte en tant qu’artiste et militante pour la santé mentale, car c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour gagner ma vie sans me mettre en grave danger.
J’ai dû passer mon bac en candidat libre à cause de mes maladies, et j’ai entamé plusieurs formations post bac que j’ai dû rapidement arrêter principalement à cause de l’anxiété.
Dans ma vie personnelle, j’ai l’immense chance d’avoir trouvé un aidant en la personne de mon compagnon avec qui je vis depuis plus de 7 ans. Nous sommes très heureux ensemble et je pense que nous nous comprenons car nous sommes tous deux handicapés. Fort heureusement, il a la capacité de travailler en temps plein, sans lui je serai probablement à la rue.
Ma phobie sociale rend le moments passés en groupe très difficiles : je pense souvent que tout le monde me déteste, que les autres sont dangereux… J’ai quand même réussi à nouer des amitiés fortes avec des personnes bienveillantes et ouvertes d’esprit, j’aime passer des moments avec eux en petit groupe et oublier un peu mes maladies.
Quelle est votre prise en charge actuelle ? Vous satisfait-elle ? Comment évolue la maladie ?
Actuellement, je vois ma psychiatre toutes les deux semaines pour mon traitement médicamenteux et un accompagnement psychiatrique. Je suis également en thérapie avec une psychologue chaque semaine. J’ai enfin trouvé des professionnelles qui me conviennent et je suis heureuse de constater que mon état s’améliore au fil des mois.
Pourriez-vous nous parler de vos alters ? Combien êtes-vous ? Quels sont leur personnalité et leurs rôles ?
Beaucoup de personnes ayant un TDI ne sont pas conscientes de combien d’alters elles ont. J’en connais 7, mais il est possible que nous soyons plus.
Il y a une alter hôte qui est en contrôle la majorité du temps et gère le quotidien, deux alters enfants qui permettent au corps de lâcher prise, une alter adolescente qui tente de nous protéger mais finit souvent par avoir un comportement délétère malgré elle, une alter très maternante qui aide pour rassurer les alters enfants, s’occuper du corps, de nos proches et de la maison, un alter masculin qui nous protège principalement face à la violence sexiste et une alter protectrice qui a énormément confiance en elle et nous aide tous à nous battre pour nous même.
Pourquoi avez-vous décidé parler de votre parcours sur les réseaux sociaux ? Qu’est-ce que cela vous apporte ? Quels sont les retours de vos abonnés ?
Car je me sentais très isolée, et j’avais besoin d’une activité pour occuper mes journées qui m’aide à me sentir utile et comprise. Cela m’apporte beaucoup sur le plan personnel : m’exprimer autant m’aide à me comprendre mieux et à moins me juger. J’ai également pu développer ma capacité à retranscrire dans mes illustrations ce que mes troubles me font vivre. Mes abonnés m’expriment souvent le fait que cela leur fait du bien de savoir que d’autres personnes vivent les mêmes choses qu’eux, ou alors que mon compte les aide à mieux comprendre ce à quoi peut ressembler la vie avec des troubles psy.
Le TDI semble se développer à la suite d’évènements traumatiques survenus dans l'enfance. Avez-vous pu faire le lien avec certains évènements ?
Oui, car j’ai vécu de la négligence et des abus sexuels dans mon enfance.
Avant votre diagnostic, remarquiez-vous déjà que vous étiez “différente” ? Enfant, vos parents se posaient-ils des questions sur certains de vos agissements ?
J’avais remarqué, depuis mes 15 ans, que j’avais des crises que les autres n’avaient pas, des difficultés au quotidien différentes de celles des autres personnes de mon âge, etc. Ma mère étant elle-même atteintes de troubles psy graves et mon père étant très absent, mes parents n’étaient pas vraiment disponibles pour se poser des questions sur ma santé mentale.
Il y a encore beaucoup de questionnements et de préjugés au sujet du TDI, notamment du fait de sa représentation dans les films / séries… Qu’en pensez-vous ?
Je pense que, d’une manière générale, notre société gagnerait à faire davantage confiance à la science, surtout pour les sujets comme le TDI où il y a clairement un consensus scientifique établi. J’ai grandi dans des dérives sectaires importantes qui tournaient beaucoup autour du fait de nous détourner de la médecine, cela me dérange donc énormément de voir qu’autant de personnes croient pouvoir se faire un avis si facilement sur une maladie grave à partir de sources non fiables.
Malheureusement, l’éducation à la santé mentale (et physique) de notre société est loin d’être suffisante, et cela a des conséquences catastrophiques sur les usagers de la psychiatrie. Je pense que tant qu’il y aura une proportion si grande de la population qui a une si faible connaissance de ce que sont les troubles psy, les médias et les œuvres de fictions ne devraient pas se permettre de mal parler d’un sujet aussi grave pour faire de l’audimat.
Vous sentez-vous soutenue par votre famille et vos amis ? Comprennent-ils votre quotidien avec la maladie ?
Je me sens principalement soutenue par mon compagnon, car je suis sévèrement handicapée et mes amis qui ont leur propre vie à gérer n’ont pas la possibilité de me soutenir au quotidien. Cependant, leur présence dans ma vie et les moments que nous passons ensemble m’apportent énormément de joie, et cela m’aide à tenir dans les moments difficiles.
Mon cadre familiale n’est pas très stable (c’est d’ailleurs pour cela que j’ai développé autant de troubles psy). Je ne compte donc pas vraiment sur le soutien de ma famille.
Avant mes 22 ans, j’arrivais à maintenir un masque social et à cacher tous mes symptômes à mes amis. Depuis que ce n’est plus le cas, beaucoup m’ont laissée tomber. Je préfère largement l’entourage amicale que j’ai aujourd’hui, composé uniquement de personnes qui comprennent ce que je vis au quotidien et qui m’acceptent comme je suis.
Enfin que conseillerez-vous aux membres Carenity également touchés par une pathologie psychique ?
Je leur conseillerais de garder espoir, même si la maladie nous en empêche parfois. D’apprendre à s’accepter comme ils sont, et de se rappeler que notre valeur n’est pas définie par notre capacité à rentrer dans les normes de la société. Surtout, je leur conseille de s’entourer de personnes bienveillantes et de trouver des soignants qui leur correspondent. Je suis de tout cœur avec vous.
Un dernier mot ?
Soyons dans la bienveillance et dans l’écoute de l’autre, je pense que cela peut faire du bien à tous les humains : ceux qui ont des troubles psy, des maladies physiques, ceux qui sont en parfaite santé… Tout le monde mérite du soutien.
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