Trouble bipolaire : “Devenir expert de sa maladie permet de mieux la soigner.”
Publié le 24 avr. 2024 • Par Candice Salomé
Manon, dite @bipolarodyssey sur Instagram, a été diagnostiquée du trouble bipolaire de type 2 à ses 25 ans, pourtant sa première phase dépressive sévère a eu lieu à ses 18 ans. Parallèlement à sa bipolarité, elle a développé d’autres comorbidités telles que l’anorexie et les troubles obsessionnels compulsifs.
Au cours de sa vie et de sa pathologie, elle a connu de nombreuses hospitalisations mais en est reconnaissante. Désormais stabilisée, après avoir essayé plusieurs traitements, elle parle librement de la maladie et fait tout son possible pour aider d’autres patients.
Elle se livre dans son témoignage, découvrez vite son histoire !
Bonjour Manon, vous avez accepté de témoigner pour Carenity et nous vous en remercions.
Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus sur vous ?
Je m'appelle Manon, j'ai 30 ans et je vis à Paris. Je suis une personne curieuse dans divers domaines : une grande passionnée d'art, je retrouve des ressources intérieures en étant en contact avec des œuvres qui me parlent. J'aime aussi être en contact avec des personnes venant de cultures différentes. De nature joyeuse, rigolote, j'essaye quand c'est possible de voir le positif dans les événements de la vie.
Vous êtes atteinte de troubles bipolaires. A quel âge avez-vous été diagnostiquée ? Qu’est-ce qui vous a poussé à consulter pour les troubles bipolaires ? Combien de temps a-t-il fallu pour poser le diagnostic et combien de médecins avez-vous rencontrés ?
J'ai été diagnostiquée à seulement 25 ans mais ma première phase dépressive sévère a eu lieu lorsque j'avais 18 ans. De 18 à 25 ans, j'ai erré dans une vie faite de hauts, de très bas, avec des pensées parfois de l'ordre de l'insupportable.
J'ai donc utilisé des produits comme l'alcool à visé hypnotique et des anxiolytiques pour réussir à faire taire temporairement mon mal-être. J'ai développé d'autres comorbidités, toutes aussi handicapantes que la maladie, telles que les Trouble du Comportement Alimentaire (Anorexie) ou les Troubles Obsessionnels et Compulsifs (TOC).
Il a donc fallu 7 ans avant que le diagnostic soit posé. J'ai rencontré un grand nombre de médecins, psychiatres et psychologues au cours de mes hospitalisations mais aussi en dehors.
Vous êtes atteinte de bipolarité de type 2. Quelles sont les manifestations de la maladie ? Pourriez-vous nous parler des différentes « phases » que vous traversez ?
En effet, je suis atteinte du trouble bipolaire de type 2. Me concernant, je fais principalement ce qu'on appelle de l'hypomanie, donc une version atténuée de la manie. Cela étant, mes phases hypomaniaques peuvent être pathologiques et m'emmener dans des situations risquées. J'ai fait une seule crise maniaque sévère qui m'a d'ailleurs beaucoup marquée et, encore aujourd'hui. Mes phases dépressives étaient également très sévères et m’ont amenée systématiquement à une hospitalisation. Mes phases down s'accompagnaient d'une souffrance psychique extrême, avec idées noirs persistantes et une déconnexion totale avec la réalité.
Avez-vous déjà été hospitalisée ? Si oui, combien de fois ? Pourriez-vous nous parler des conditions de ces hospitalisations ?
J'ai été hospitalisée une dizaine de fois, à Saint-Anne et à Bichat. Mes séjours ont varié d'une dizaine de jours à plusieurs mois. Je n'ai jamais mal vécu mes séjours à l'hôpital, malgré le fait que j'ai parfois assisté à des situations très dures.
Evidemment, ce n'est pas la colonie de vacances et, souvent, on fait face à des journées où l'ennui est très présent. Il faut noter aussi que selon la gravité de notre phase, toutes nos affaires (vêtements, téléphones, etc.) peuvent nous être confisquées. J'ai beaucoup de reconnaissance envers les infirmières et les aides-soignants qui veillent sur nous jour et nuit. Ce qui est super, c'est quand on commence à sympathiser avec d'autres patients. Il y a des liens forts qui se créent même si on ne garde pas forcément contact une fois à l'extérieur.
Quel a été, ou est encore actuellement, l’impact de la maladie sur votre vie privée et professionnelle ?
La maladie a évidemment beaucoup impacté ma vie personnelle mais aussi professionnelle.
Sur la sphère privée, j'ai eu des histoires de couple très tumultueuses où parfois je cachais longtemps ma maladie. A un moment, une phase se déclenchait et c'était souvent double peine : fin de l'histoire et augmentation de la gravité de la phase. Je dirais que mes histoires de couple dans la maladie ne m'ont pas aidée dans le bon sens mais c'était parce que je n'étais pas dans la bonne démarche et je n'allais pas vers les bonnes personnes.
Côté pro, j'ai eu la chance de réussir à faire une bonne carrière malgré la maladie. En revanche, j'ai quitté plusieurs fois mes entreprises lorsque je sentais que je commençais à être "repérée". Aujourd'hui, j'ai opté pour un travail où je suis très autonome sur ma gestion du temps et j'organise ma semaine en fonction des résidus de phases qu'il me reste.
Êtes-vous traitée pour les troubles bipolaires ? Si oui, quel est votre traitement ? Est-ce efficace ? Vos phases s’atténuent-elles ? Avez-vous un suivi psy ?
Oui je suis traitée. Avant d'être stabilisée, je prenais du lithium, un autre régulateur de l'humeur, un antipsychotique, un anxiolytique, un antidépresseur et des somnifères. Depuis que je suis bien, je prends uniquement les régulateurs. En effet, je n'ai plus de phases majeures depuis 10 mois. Il y a de légers résidus de phases hautes et basses mais elles ne sont plus pathologiques. Mon docteur m'a bien dit que c'est normal et que cela va se lisser avec le temps.
Avant votre diagnostic, remarquiez-vous que vous étiez “différente” ? Comment avez-vous vécu l’avant-diagnostic ? Qu’est-ce qui a changé pour vous depuis le diagnostic ?
Autour de l'âge de 10 ans, mes parents m'ont envoyée voir un pédopsychiatre car je présentais un trouble anxieux assez important. J'avais beaucoup de TOCS et parfois je faisais des cauchemars qui me marquaient par leur violence. J'étais une enfant avec des émotions parfois très fortes et difficilement contrôlables. J'ai vécu un événement traumatique dans ma jeunesse qui m'a ensuite amenée à avoir une relation à mon corps pathologique. Lors de mon diagnostic, j'étais plutôt contente de savoir qu'on allait pouvoir peut-être me soigner. Je n'ai jamais refusé de prendre un médicament que l'on me donnait. Le temps de trouver le bon traitement a cependant été long, 4 ans.
Avez-vous des antécédents familiaux de bipolarité ?
Ma grand-mère côté paternel portait un trouble maniaco-dépressif.
Vous parlez de la maladie sur Instagram au travers de votre compte « Bipolar Odyssey ». Pourquoi avoir fait ce choix ? Qu’est-ce que cela vous apporte ?
Quelques mois après ma stabilisation, je ressentais un fort besoin de parler de tout ce que j'avais vécu. Comme j'étais dedans depuis plus de 10 ans, je n'avais aucun recul sur la maladie.
Quand le chemin que j'ai parcouru m'a paru plus claire, j'ai commencé à m'ouvrir à plus grande échelle. Pour moi, ce blog était dans un premier temps un témoignage, où je pouvais m'exprimer librement et traiter des sujets autour de la maladie. J'ai longtemps fait du journalisme et j'adore écrire donc pour moi c'était assez libérateur.
Assez rapidement, des personnes sont venues s'inscrire à ma page et nous avons créé une communauté autour de la bipolarité. Je prends du temps pour écouter, conseiller et témoigner auprès de mes pairs et je trouve un nouveau sens à ma vie grâce à cela.
Comment allez-vous aujourd'hui ? Et quels sont vos projets pour l'avenir ?
Aujourd'hui, je vais très bien, je profite de ma "deuxième vie". Je passe du temps avec les personnes qui ont été là tout au long du processus et le reste de mon temps pour aider les autres.
J'ai repris aussi un travail à temps plein et je suis globalement très épanouie dans ma vie.
En mai, je commence une formation de psychopathologie chez l'enfant en cours du soir. J'ai en effet conscience de l'importance de traiter les problèmes "à la racine" afin de pouvoir anticiper certains troubles qui se développeraient par la suite. Cette formation sérieuse et reconnue par l'état va durer 1 an et je suis très heureuse d'avoir été acceptée dans cette école. Je travaille également avec une entreprise dans la santé mentale pour témoigner de mon parcours lors de conférences.
Enfin, que conseillerez-vous aux membres Carenity également atteints par les troubles bipolaires ?
Je dirais que devenir expert sur sa maladie va permettre de mieux la soigner. J'entends par là d'analyser la fréquence de ses phases (cycle rapide vs cycle long), l'intensité de celles-ci, les facteurs externes qui peuvent influer sur le déclenchement d'un état. Je pense qu'il faut vraiment être acteur de sa guérison, en demandant aux psychiatres des détails sur les molécules qui nous sont données, prendre du recul sur les médicaments que l'on nous donne de manière à comprendre ce qui est efficace chez nous et ne l'est pas.
Enfin, je dirais qu'il faut être gentil avec soi-même et ne pas tomber dans la culpabilité. Je dis toujours : si on donne un trouble bipolaire à la personne la plus équilibrée de la terre alors elle aussi va faire "n'importe quoi". Je regrette aussi de ne pas avoir découvert la pair-aidance quand j'étais malade, je pense que de discuter avec des personnes vivant la même chose que nous donne beaucoup de ressources.
Un dernier mot ?
"Si tu t'efforces d'être toujours normal, tu ne sauras jamais à quel point tu peux être exceptionnel".
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